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Gouvernement et corruption: Scandales et jeux de pouvoir

par Ghania Oukazi

Les dénonciations tenaces contre l'ancien ministre de l'Energie semblent porter une fixation qui cacherait mal des velléités de règlement de comptes.

Au milieu de tout cet acharnement contre Chakib Khelil et les sales affaires dont il est affublé depuis plus de deux ans au plan interne et curieusement au plan externe, une voix du droit et de la légalité a eu le courage de recentrer le débat sur la corruption. Recentrage par lequel l'auteur vise certainement à atténuer les ardeurs de ceux qui veulent absolument que l'Algérie soit uniquement ce pays de scandales et de problèmes et dont les conséquences devraient, selon cette logique, en emporter institutions, cadres et peuple, à défaut de «printemps arabe». Hier, Maître Miloud Brahimi a eu la sagesse d'esprit d'aborder le sujet avec une parfaite sérénité, dans le cadre du droit et des caractéristiques des pouvoirs législatif, judiciaire et exécutif du pays. Règlement de comptes a été un des mots clés de ses déclarations sur les ondes de la radio nationale. Ce qu'il ne lui fait pas dire que la corruption n'existe pas. Il pense seulement qu'il n'y a ni plus ni moins de corruption qu'avant.

 Il faut admettre que l'ère Bouteflika a laissé remonter à la surface toutes les sales affaires même si certaines d'entre elles prennent leurs origines des époques qui l'ont précédée. La main « des pouvoirs » derrière la publication des nombreux scandales notamment celui de Sonatrach, y pèse certainement avec toute la force qui la leur permette en tant que tels. L'on rappelle que dans ces mêmes colonnes il a été écrit que le dossier Sonatrach a été jeté sur la place publique à l'insu du président de la République et à un moment où il s'attendait le moins. Pour cette fois, c'est l'affaire Tiguentourine qui a dû réveiller des démons dont le répit n'est toujours que conjoncturel. Nous le disions lundi dans ces mêmes colonnes, « l'effet Tiguentourine sert aussi à recadrer les pouvoirs au plus haut sommet de l'Etat et à redéfinir les périmètres d'interventions notamment en cas de crise et que le pays en a beaucoup à résoudre ». Le sursaut seul des élites de l'armée dans la gestion de l'affaire d'In Amenas confère au président une largesse de manœuvre dont il est le seul à savoir faire rentabiliser.

A l'approche de 2014, date de l'élection présidentielle, tous les coups sont permis pour repousser toute candidature gênante. Celle pour un 4e mandat de Bouteflika en est une en toute évidence. Des sources qui lui sont proches affirment qu'il refuse d'en parler « parce qu'il n'en veut pas ». Vrai ou faux, mais nos sources affirment que « c'est une décision qui aura provoqué des prises de bec au sein de sa propre famille, c'est-à-dire entre ceux qui sont pour (on pense à son frère Saïd) et ceux qui sont contre (à sa sœur) ». Mais là n'est pas la seule raison qui provoquerait ces grandes agitations notamment contre un ministre compté comme un de ses amis.

UN «TAB EDJNANA» QUI TOURMENTE LES ESPRITS

Ceux qui détiennent des postes influents au sein du pouvoir gardent fraîchement en tête le discours que le chef de l'Etat a prononcé à Sétif et à travers lequel un «tab edjnana» n'a laissé aucun d'entre eux indifférent. L'heure du départ, si elle devrait véritablement sonner, elle le serait pour tous ceux qui ont exercé et manipulé le pouvoir depuis l'indépendance du pays. Nous avions toujours mentionné que Bouteflika, s'il aurait l'intention de céder la place, il ne le ferait pas seul. Il entraînerait dans son départ tous ceux avec qui il a été contraint de partager le pouvoir sur la base d'intérêts bien précis. L'on se souvient que depuis son intronisation à la tête de la présidence de la République, il a procédé à de nombreux changements de responsables militaires à la tête des différentes régions de commandement du pays. « Aujourd'hui, l'armée avec ses nouveaux généraux est véritablement ce contre-pouvoir qui agira dans le sens le plus large et le plus profond des intérêts de l'Algérie », nous disait dernièrement un haut responsable institutionnel. « Bouteflika le sait pour avoir lui-même opté pour le choix de ces hommes », ajoute-t-il. Un journaliste a demandé récemment à un diplomate américain si en cas de son arrestation par la justice algérienne, Chakib Khelil sera extradé des Etats-Unis ? Au passage, l'on sait qu'Alger et Washington n'ont signé ensemble qu'un simple accord d'entraide judiciaire qui n'autorise aucune action de ce genre. Le diplomate américain a eu la présence d'esprit de répondre que même si l'accord en question le permettait, « il doit exister une disposition dans la Constitution américaine qui interdit toute extradition de toute personne vers un quelconque pays ».

SELLAL POURRAIT SE RETROUVER SANS MINISTRES

Au-delà des preuves que seule la justice pourrait et devrait apporter pour ouvrir d'éventuels nouveaux procès au sujet du groupe Sonatrach, ceci pour le grand bien du pays, l'on s'interroge si l'Etat algérien devra se contenter d'accepter de faire juger uniquement Khelil ou d'élargir sa décision à ses autres ministres qu'on dit mêlés à des affaires de corruption. C'est d'ailleurs la suggestion faite sur le net par ceux qui ont souligné dans un long article sur le secteur de la culture qu'il n'« y a pas que Sonatrach ». Si tel pourrait être le cas et au train où vont les dénonciations, Abdelmalek Sellal pourrait se retrouver sans ministres, voire sans gouvernement tant les noms d'un grand nombre de ses membres sont donnés pour être soit les instigateurs, les complices ou « les faisant semblant de ne rien voir » dans divers et multiples détournements, de l'argent de la brique, du ciment, du rond à béton, des médicaments, de la pomme de terre (celle des cochons du Canada comprise), des véhicules, des manuscrits, toiles et grandes manifestations culturelles, des marchés pour la réalisation de grands projets, de bouteilles de whisky (au temps de Khalifa), des palmiers, des têtes de lion décoratrices des arcades de la capitale, de stations de dessalement usagées, et encore et encore, jusqu'au lait infantile? Des hauts cadres s'empressent de répondre que « le pays n'a pas cette culture de faire juger et surtout de faire condamner des ministres ». Surtout si les relents du règlement de comptes empestent la scène politique. Il est d'ailleurs curieux que l'Italie, un pays qui n'a toujours pas réglé ses problèmes de mafia et de grande corruption, s'empresse de dénoncer Khelil. L'on se rappelle par ailleurs que c'était lors de son déplacement au Canada tout au début des années 2000 que Bouteflika avait interpellé les responsables de la société canadienne SNC Lavalin sur d'éventuels pots-de-vin contre l'obtention de marchés en Algérie (ex : la construction du complexe Ryadh El Feth). Maître Miloud Brahimi a affirmé hier que la corruption n'est ni plus ni moins importante aujourd'hui par rapport aux années passées. Il a regretté en outre que ces opérations « mains propres » ou « chasse aux sorcières » soient lancées d'une manière « conjoncturelle » et ne s'inscrivent pas ainsi dans une lutte permanente contre le fléau de la corruption et des dilapidations des deniers publics. Il a aussi précisé que derrière toutes les grandes affaires, le pouvoir a son mot à dire.

LA COMMISSION BENSALAH, UN COUP POUR RIEN

En fait, tout est dans cette manière des forces en faction de jeter des dossiers de corruption à des moments où le président de la République s'apprête à remanier, en principe, l'ordre institutionnel de l'exercice des pouvoirs. Hier, le 1er ministre a déclaré que la Constitution sera révisée au courant de l'année. Il ne sait pas encore si cette révision passera par un référendum ou pas parce qu'il a reconnu implicitement qu'il ne sait pas ce qui doit y être changé. Le référendum sera organisé si la révision touchera, selon lui, les équilibres institutionnels qui y sont consacrés. Sellal a affirmé qu'il avait reçu les partis politiques pour transmettre à qui de droit leurs propositions à cet effet. Il ne fera nullement allusion au travail effectué par la commission Bensalah qui avait pourtant rencontré toutes les formations politiques, économiques, sociales et culturelles du pays pour savoir en gros quelle sorte de gouvernance serait bonne pour le pays. C'est donc encore un coup pour rien et du temps et des énergies gaspillés.

 PREMIER «EFFET TIGUENTOURINE»

Au milieu de tout ce remue-ménage, le FLN, le RND, le MSP, pour ne citer qu'eux, « attendent » patiemment que leurs états-majors soient stabilisés. Les deux premiers n'ont toujours pas de chef permanent.

 Encore une situation qui prouve, si besoin est, que Bouteflika prépare de grands coups au milieu de tous les autres qui l'entourent au risque de déjuger ou de surprendre tout le monde. Sa décision de changer les walis est le premier « effet Tiguentourine » qu'il enclenche. Les nombreux mouvements de contestation qui ont été observés dans les wilayas du Sud en sont une première raison. Mais il clair que ce qui est le plus redouté est que ce mécontentement des jeunes soit utilisé par les milieux terroristes pour s'incruster dans ces régions. Le choix des hommes pour cette conjoncture a été bien étudié.

 Le nouveau wali d'Illizi, « wilaya qui est le cœur du mouvement », disent des responsables du ministère de l'Intérieur, est un député targui connaissant parfaitement la région et ses tribus.

 Celui désigné à El Oued a déjà fait deux wilayas en tant que tel et est originaire de la région. La nomination du wali délégué de Baraki à la tête de Tindouf est justifiée par le fait qu'il soit originaire d'Ouargla « donc connaissant le Sud et ses problèmes ». Ce changement s'est imposé en raison, nous dit-on du côté du ministère de l'Intérieur, de ce qui s'est passé à In Amenas, mais le plus gros du mouvement se fera en principe en juin prochain comme nous l'avait déjà annoncé le ministre de l'Intérieur. Les nouveaux walis devront s'atteler de suite à la mise en œuvre du lourd programme du Sud dont l'annonce a été faite il y a quelques mois par Ouyahia alors 1er ministre et avant lui par Daho Ould Kablia.

 Imprévisible qu'il est, le chef de l'Etat doit certainement penser à défendre « les acquis » de ses trois mandats. L'on dit même qu'il se pourrait qu'il fasse une sortie dans la capitale pour montrer qu'il est toujours « le président de toutes les sentences ». En attendant, il a chargé son 1er ministre de continuer à occuper le terrain jusqu'à terminer de visiter les 48 wilayas d'ici à la fin de l'année en cours.