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France : l'ère du doute

par Pierre Morville

François Hollande le pressentait : son état de grâce a été très court. Il parie sur la durée...

L'action de François Hollande fait 64% de mécontents pour 36% de satisfaits (sondage Opinionway pour Le Figaro), selon l'une des nombreuses enquêtes d'opinion parues ces dernières semaines. Les Français se disent en particulier, très majoritairement mécontents de la politique du chef de l'Etat sur les dossiers du chômage et de la fiscalité. La proportion de mécontents est de 69% pour la lutte contre le chômage, 66% pour la politique fiscale et 63% en ce qui concerne le respect des engagements électoraux. La lutte contre l'insécurité offre au président son meilleur score avec 48% de satisfaits contre 51% de mécontents. Dans une autre étude récente, l'image du président de la République est mauvaise notamment sur le terrain de l'autorité : 68% pensent qu'il ne sait pas en faire preuve. Sa capacité à rassembler n'est pas reconnue par 64% des personnes interrogées, qui sont 61% à penser qu'il «ne sait pas où il va». Dégringolade !

Bref ! Deux Français sur trois sont mécontents, quatre mois seulement après l'élection du nouveau président. En 2007, Nicolas Sarkozy recueillait dans le même laps d'exercice du pouvoir, 60% d'opinions positives. De quoi rendre nerveuse la nouvelle équipe gouvernementale.

Du coup, les nouveaux ministres socialistes, souvent jeunes apprentis un peu fébriles, multiplient des petits et grands couacs de communication. Les sondages, les déclarations hésitantes et les décisions hâtives sont évidemment commentés en boucle par les médias. Ambiance.

PREVISION DU MAUVAIS TEMPS

Le fardeau de la crise économique était prévisible et François Hollande n'a pas, à ce jour commis d'erreurs majeures. Il avait prévu une météo difficile. Il bénéficie par ailleurs d'une droite totalement divisée, de syndicats hésitants mais toujours favorables, d'une opinion publique râleuse mais pas frondeuse. Certes, les mauvaises nouvelles se sont accumulées depuis la fin de l'été. La barre des trois millions de chômeurs a été franchie, tandis que les plans sociaux se sont multipliés. La ratification du traité européen a suscité des critiques au sein de la gauche. Dans ce contexte, François Hollande perd notamment la confiance des foyers les plus modestes (moins de 2.000 euros) à 36% de bonnes opinions, en baisse de 14 points. Il perd 13 points chez les ouvriers, à 30% seulement.

Rappel : les électeurs français n'attendaient pas de miracles de l'alternance politique qu'ils ont choisie au début de l'été dernier. La motivation des électeurs a plutôt été un rejet assez massif de Nicolas Sarkozy et des formations politiques de droite qui dirige le pays depuis trois mandatures présidentielles.! Les Français ont voté d'abord contre l'ancienne majorité, portant leurs scrutins vers le Parti socialiste majoritairement, mais également vers le Front national de Marine le Pen ou le Front de gauche de Mélenchon. On peut penser que François Hollande, candidat improbable en début de campagne électoral mais qui est sorti victorieux de la très longue élection «primaire», avait parfaitement conscience de la fragilité de ses marges de manœuvres en cas de victoire.

La France et l?Europe sont en croissance zéro et ce au moins jusqu'à fin 2013. Le risque d'une longue récession au-delà n'est pas écarté. L'investissement des entreprises est en berne, l'Etat français est endetté, les recettes fiscales s'amoindrissent, la locomotive est en panne.

Côté Union européenne, la crise économique, loin de renforcer justement l'unité, aiguise les égoïsmes nationaux. Du côté des principaux pays-membres, la Grande-Bretagne accroît sa politique «d'un pied dedans, un pied dehors» vis-à-vis de l'UE. La France et l'Allemagne ont de sérieux et de moins en moins discrets désaccords tant sur le rôle de la Banque centrale européenne, qu'éventuellement même sur le cours de l'Euro, jugé surévalué par des nombreux économistes. Le problème est compliqué par le fait qu'Angela Merckel rentre elle-même dans une période électorale où elle est candidate à sa succession. Période qui ne favorise pas les compromis ?

«Le changement, c'est maintenant !». L'étymologie du mot «maintenant» est parfaitement explicite, il signifie «tenir dans la main». Le slogan électoral est bon, la promesse est plus difficile à tenir. Pour beaucoup de commentateurs, François Hollande aurait un problème : il aurait donné des engagements trop nombreux, trop vite, et serait, à présent confronté à la réalité.

Dans la réalité, François Hollande a eu la prudence de fixer un calendrier très prudent dans son mandat de cinq ans : les deux premières années pour rectifier le cours (rigueur et désendettement de l'état», une fois les moyens acquis, les trois années suivantes pour réaliser l'essentiel du programme présidentiel. Si fin 2013, les premiers signes d'une reprise économique sérieuse se profilent, François Hollande incarnera un modèle de sagesse politique. Dans le cas contraire, il devra s'adapter au cours chaotique des événements. Certains analystes, comme Emmanuel Todd, dans une récente interview à Marianne, estiment qu'il pourra, à l'occasion d'une crise majeure, briser son image trop consensuelle et enfin, innover. A voir.

«COUT DU TRAVAIL» ET «COMPETITIVITE» : CREUX DE LA VAGUE

Comment les Français vont-ils prendre ces deux années d'austérité déjà largement engagées ? C'est tout le mystère de l'affaire. Contrairement aux multiples enquêtes d'opinion, mes concitoyens ne se passionnent guère sur les dossiers du mariage des homosexuels, de la taxe carbone, chère aux écolos, du vote des immigrés dans les élections locales, ni sur les bévues de communication de tel ou tel ministre... Non pas que ces sujets manqueraient d'intérêt mais mes concitoyens ont leur attention obnubilée sur deux grands panneaux indicateurs : pouvoir d'achat, emploi, et plus particulièrement, deux signaux cruciaux : mon pouvoir d'achat et celui de ma famille, mon emploi et ceux des miens.

La hausse continue du nombre des chômeurs depuis dix-huit mois (3 millions officiellement, entre 4 et 5 en réalité), la stagnation durable des salaires, les hausses importantes prévisibles de la fiscalité inquiètent et dépriment. C'est pour cela que le débat actuel sur la «compétitivité des entreprises» prend un relief tout à fait particulier. Nul ne peut nier que la reprise économique passe nécessairement par une meilleure compétitivité des entreprises. Mais cette compétitivité espérée peut avoir plusieurs sources, principalement la compétitivité par le coût du travail et celle par les prix. L'INSEE donne la définition de la compétitivité-coût : « La compétitivité-coût compare l'évolution des coûts salariaux unitaires de la France (évolution du coût du travail corrigée de celle de la productivité) à celle de ses partenaires. Le poids donné à chacun des partenaires mesure la concurrence exercée par celui-ci sur chacun des marchés d'exportation de la France. Il prend en compte l'importance du marché pour la France (mesurée par son poids dans ses exportations) et la part détenue par le concurrent sur ce marché. De la même manière, la compétitivité-prix à l'exportation compare l'évolution de nos prix d'exportation à celle de nos partenaires. Le taux de change peut avoir un impact important sur la compétitivité-prix : une dépréciation de la monnaie nationale entraînera une amélioration de la compétitivité-prix. »

LOUVOIEMENTS

Comme on est dans l'incapacité de dévaluer l'Euro ou renforcer des mesures de protectionnisme européen, les deux mots feraient s'évanouir les responsables allemands et suffoquer la plupart des élites de l'eurocratie de la Commission européenne, la recherche d'une compétitivité nouvelle se résume à une seule exigence : baisser le coût du travail.

C'est une obsession. Pourtant l'économie, loin d'être une science exacte, est surtout largement le résultat d'une série de pratiques humaines avec une bonne part d'idéologies diverses. Il faut ainsi noter que le travail est toujours décrit de façon incantatoire comme un coût, mais on cite rarement le coût des risques et erreurs stratégiques du management des entreprises (les errements de la finance internationale sont pourtant à l'origine de la catastrophe actuelle). On n'évoque en revanche jamais le coût des dividendes versés aux actionnaires. Quelle pudeur !

Pour baisser le coût du travail, il n'y a pas 36 solutions, mais globalement, seulement trois : baisser la fiscalité des entreprises, intensifier la productivité du travail, comprimer les rémunérations directes (salaires), indirectes (protection sociale, formation?).

Les choix du nouveau gouvernement socialiste (le changement, c'est maintenant) sont donc ardus.

- Baisser la fiscalité des entreprises ? Si les impôts des petites et moyennes entreprises, toujours à la recherche de crédits trop rares proposés par le système bancaire, sont peut-être trop élevés, les grandes entreprises, et surtout celles du «CAC 40» (les 40 entreprises les plus cotées de la Bourse de Paris), en payent peu ou pas : elles ont déjà «exportées» leurs bénéfices.

- Intensifier la productivité du travail, c'est-à-dire, accroître la richesse crée par les salariés ? En clair, les faire travailler plus ? Hélas, les statiques internationales consacrent les salariés français, pourtant entourés d'une solide réputation (pastis, vacances, contestation permanente, grèves?) comme les champions internationaux de la productivité horaire ! Ce qui rend totalement vain, le débat sur les 35 heures, maladroitement relancé mardi par le 1er ministre Jean-Jacques Ayrault.

- Il ne reste plus que la stagnation des salaires et la hausse des cotisations sociales, éventuellement masquées par une hausse de la TVA, cet «impôt injuste» ! Délicat pour un gouvernement de gauche qui vient d'arriver aux manettes.

Ce même gouvernement avait donné comme mission à un très grand patron de gauche, Louis Gallois. Son rapport devait constituer le socle de la relance de la compétitivité des entreprises. Le plan drastique de l'ancien patron d'EADS s'articule autour d'une baisse des charges d'un montant avoisinant les 30 milliards d'euros : vingt milliards concerneraient une baisse des cotisations patronales, les dix autres une réduction des cotisations salariales. Délicat. Le rapport a été enterré. Mais que faire d'autre ?

L'actuel gouvernement hésite, on le comprend, à agir sur la compétitivité-coût, c'est à dire le gain de compétitivité par la seule baisse des coûts du travail, une politique initiée il y a plus de 40 ans en Angleterre par Margareth Tchatcher et théorisé en Allemagne, par Gerhard Schröder, ancien chancelier socialiste et aujourd'hui, l'un des principaux dirigeants du «combinat» russe Gazprom, un des n°1 mondiaux de l'énergie.

L'OURAGAN AU SECOURS D'OBAMA ?

Hasard du calendrier, les deux grandes nouvelles superpuissances qui devraient, dit-on, dominer le monde dans les prochaines décennies, les USA et la Chine choisiront leur nouvel exécutif politique dans la semaine qui vient : élections présidentielles américaines le 6 novembre prochain, 18ème congrès du parti communiste chinois, le 8 novembre. On ne sait pas encore, après des débats vifs mais secrets, quelle fumée sortira du concile chinois et quelle nouvelle équipe dirigeante surgira. Visiblement, ça branle dans le manche après la mise en cause de deux hauts responsables. On ne sait pas non plus ce qui sortira des urnes américaines.

 Hasard du calendrier, un ouragan, «Sandy», rebaptisé «Frankerstorm», l'ouragan Frankenstein, largement médiatisé sur toute la planète, intervient dans la dernière ligne droite d'une campagne présidentielle indécise.

Frankenstorm a-t-il voté Obama. ? La catastrophe «mondiale» semble en effet avoir été maîtrisée : seulement 13 morts, grâce aux interventions de l'état fédéral et des gouvernements locau. Pour rappel sur le même sujet, l'ouragan Katrina fit à la Nouvelle Orléans en 2005, 1836 morts. Le président républicain de l'époque, Georges Bush, fut sévèrement mis en cause pour l'incurie des pouvoirs publics face à la catastrophe.