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Algérie-Mali : Entre pressions françaises et américaines

par Ghania Oukazi

L'Algérie se retrouve depuis quelques mois coincée entre les fortes pressions de la France pour la pousser à régler la question malienne militairement et celles des Etats-Unis de la voir tenir le rôle de médiateur entre les groupes maliens en conflit. La récente visite à Alger du commandant en chef américain de l'Africom n'a rien de fortuit et ne s'arrête pas à « renforcer et à avoir des interactions avec les dirigeants algériens et continuer le dialogue et la coopération en vue de renforcer la sécurité dans la région ». Le général Carter F.Ham est bien venu pour rappeler à l'Algérie que les Etats-Unis n'encouragent pas une intervention militaire au Mali et qu'ils veulent que le conflit se règle d'une manière «politique et diplomatique» mais conformément à leur vision. Il est clair que les Américains refusent en premier de s'aligner -pour l'instant- sur la position de Paris qui veut absolument entraîner Alger dans une guerre inutile en l'amenant à intervenir militairement au Mali. C'était le rêve de la France sarkozienne et il semble même que l'appréciation de la situation malienne par le cabinet Hollande n'a pas trop changé depuis. Il est difficile que la France change de vision vis-à-vis d'une Afrique qu'elle a tendance à vouloir toujours commander.

Il est connu qu'après les indépendances des pays qu'elle avait colonisés, elle a mis tout son savoir pour imposer une option néocolonialiste qu'elle a baptisée « France-Afrique». Option qu'elle a voulue incontournable pour toute coopération avec le continent. C'est alors plus la France des barbouzes (des services secrets) qui en a fait son terrain de prédilection pour les coups bas, les coups fourrés et les coups d'Etat. Ses propres médias -notamment France 2- ont produit tout un documentaire sur « cette histoire secrète » qui a été gardée bien au chaud depuis De Gaulle et ce pour «raison d'Etat». Sarkozy avait d'ailleurs été (in)formé par les mêmes officines pour qu'il puisse suivre la même politique en matière «d'échanges» avec notamment les pays francophones de l'Afrique noire. Une politique que les services secrets français ont mise en branle tout au début des années 60, après que leurs gouvernants eurent perdu l'Algérie comme colonie.

Il est évident que les manœuvres politiques évoluent avec le temps et les situations. Paris tente aujourd'hui de convaincre l'Algérie pour qu'elle fasse une entrée militaire «tonitruante» au Mali sous prétexte que c'est la seule manière de rétablir l'ordre et la sécurité dans la région du Sahel. « Faux ! disent les analystes, la France veut que l'Algérie remette en cause des règles qu'elle a érigées en principes fondamentaux dans toute situation de conflit de par le monde, à savoir ne pas abdiquer devant les terroristes sous quelque forme qu'elle soit, ne pas payer de rançons mais surtout dénoncer les ingérences étrangères dans les affaires internes des pays. »

LA FRANCE DES BARBOUZES ET LA RAISON D'ETAT

Le maintien de l'Algérie de sa représentation diplomate ouverte à Gao alors que les tueries faisaient rage entre factions rivales devait aussi relever de ses règles. Seulement, l'enlèvement des seuls diplomates algériens dans un Mali en plein bouleversement n'a vraiment pas l'air d'avoir été perpétré par le seul bon vouloir d'un groupe terroriste en mal de gloire. Il est admis par l'ensemble des services secrets nationaux et étrangers que le Mali vivait depuis longtemps au rythme du décryptage du renseignement étranger notamment des grandes puissances. Il semble que le Sahel valait la peine qu'il soit déstabilisé pour donner à la région un air de révolte avérée pour « raison d'Etat » occidental. La décision de Paris d'intervenir militairement en Libye en avait d'ailleurs donné le ton pour pouvoir anticiper sur la suite des événements. L'Algérie se retrouve au centre de ce décor apocalyptique. Elle est aujourd'hui le plus grand pays -en superficie- dans la région après la division du Soudan en deux Etats sous les terribles effets du complot.

Le général américain, le commandant en chef de l'Africom, est bien venu pour savoir pourquoi Alger ne s'impose-t-il pas comme médiateur pour régler le problème du Mali par « le dialogue, la politique et la diplomatie ». Les Américains tiennent à ce que l'Algérie tienne ce rôle puisqu'ils pensent que c'est le seul pays de la région qui doit connaître « qui fait quoi dans le Sahel de par sa longue et grande expérience en matière de lutte antiterroriste ». Elle se doit même selon eux de « faire la différence entre les mouvements nationalistes et les groupes terroristes ». Le général Carter F.Ham l'a d'ailleurs presque dit. « Toute résolution doit commencer par le rétablissement d'un pouvoir légitime et l'instauration d'un dialogue avec les groupes qui sont au Nord à l'exception des groupes terroristes et qu'enfin cette résolution doit être acceptée par le Mali et les acteurs régionaux », avait-il affirmé lors de la conférence de presse qu'il a animée à Alger dimanche dernier. Les Américains en poste dans cette région du monde africain refusent d'affirmer ou d'infirmer l'assassinat du vice-consul algérien. « Nous nous référons à ce que disent les services secrets algériens à ce sujet », répondent-ils à ceux qui leur posent la question.

LES SOUS-ENTENDUS AMERICAINS

Il y a quelques mois, l'Algérie a failli craquer devant le chant des sirènes après qu'elle eut stationné un nombre impressionnant de militaires et chars blindés à ses frontières avec le Mali. Elle était prête à rentrer en guerre avec un pays avec lequel elle entretenait d'excellentes relations, du moins jusqu'avant le coup d'Etat de mars dernier. Mais après réflexion, le pouvoir central algérien a reculé pour, disent les analystes, « ne pas faire le jeu de la France ». Il a aussi été question, selon les mêmes sources, au lendemain du rapt des diplomates à Gao, qu'elle envoie un commando pour les libérer avec bien sûr « une aide logistique américaine qui devait situer exactement l'endroit où ils étaient détenus ». Mais il semble que les Américains ont choisi de la pousser à réagir autrement.

La forte instabilité de la Libye et de la Tunisie a changé beaucoup de donnes et remis en cause bien des certitudes. C'est aussi peut-être pour la première fois que les Américains réfléchissent avant de partir en guerre contre le terrorisme. Une intervention militaire au Mali aurait inévitablement des répercussions désastreuses sur l'ensemble de la région avec au centre l'Algérie. Le pari leur paraît trop lourd à engager. Avec une Algérie déstabilisée, ce sont des intérêts colossaux qui seraient remis en cause et seule la France en sortirait gagnante puisqu'elle a toujours su préserver ses intérêts au milieu d'une Afrique secouée par de violents mouvements de protestation. C'est bien sûr dans ces seuls moments où l'argent et le commerce des armes connaissent des expansions importantes.

Bien que le jeu américain ressemble à celui français dans plusieurs régions du monde, il leur est quelque peu difficile de pénétrer l'Afrique alors que la France s'y trouve depuis fort longtemps. « Les USA n'ont pas la même compréhension de la situation au Mali », a avoué le commandant en chef de l'Africom. Ils auraient peut-être eu une autre approche s'ils avaient réussi à installer l'Africom dans un des pays africains. Cependant, même leur intention de pousser l'Algérie à jouer la médiation entre les groupes en faction au Mali a une durée de vie déterminée. Le général américain a prévenu que « nous sommes dans un processus d'identification des acteurs ». Les intérêts français et américains pourraient alors faire jonction à un moment où l'Algérie s'attendrait le moins.