
La mercuriale est marquée ces derniers jours par un étonnant contraste
entre les prix au marché de gros et ceux du détail.
Quelques exemples pour illustrer cette « disparité ». La pomme de terre
est à 20 DA au prix de gros, et entre 35 et 40 DA au détail. La carotte se vend
à 30 DA aux halles centrales, entre 50 et 60 DA sur les étals. La tomate
oscille dans une fourchette de 12 à 30 DA chez les mandataires, mais ne descend
pas au-dessous de 35 DA chez les détaillants. Pour le concombre, le prix de
gros et celui du détail sont respectivement 35 DA et 50 DA. Pour le poivron,
l'écart est encore plus important : entre 70 et 80 DA en gros, pas moins de 130
DA au détail. Tous les fruits et légumes sont caractérisés par un écart qui
dépasse l'entendement entre le détail et le gros. « Pas de raison de s'étonner;
ça a toujours été le cas. Tout ce qu'il y a, c'est que l'entrée en matière d'un
marché de gros réglementaire, où la mercuriale est prélevée chaque jour par
l'entreprise de gestion, a levé le voile sur cette vérité. Aujourd'hui, il faut
avoir un bandeau sur les yeux pour ne pas voir où se situent la spéculation et
la surenchère. C'est très clair, elles sont au niveau du détail. C'est là où
les cours sont dopés. Le marchand de détail fait encore et toujours ses
bénéfices sur le dos du consommateur », remarque un mandataire qui tient un box
dans le hangar A du marché de gros d'El-Kerma. Dans la plupart des cas, on ne
se contente plus de 10 DA de marge sur le kilo, quel que soit le produit.
Pourtant cette marge bénéficiaire est largement suffisante. En fait, un
marchand qui tient une table écoule, au bas mot, 5 quintaux de légumes par jour
(généralement trois ou quatre espèces différentes bien que la nature de la
marchandise en soi n'ait pas d'importance; ce qui importe, c'est le poids et le
prix unitaire). Cela correspond à un bénéfice de 5.000 DA, soit entre 3.500 et
4.000 DA de bénéfice net/jour quand on déduit les charges, dont le transport
consiste l'essentiel. Multipliés par 30, cela fait 105.000 à 120.000 DA/par
mois ! Mais nombre de détaillants ont les yeux plus gros que le ventre et n'ont
aucune gêne à presser le client comme un citron. Le comble, pour justifier une
marge de 20 à 30 DA au kilo, certains citent les frais du transport. « De qui
se moque-t-on ?! », réplique un client venu faire ses emplettes au marché de
gros d'El-Kerma en vue de la cérémonie de mariage de son fils. « Je connais
parfaitement le tarif du transport pour la simple raison je suis transporteur
privé. J'ai un véhicule bâché, une Toyota Hilux ; elle est garée là-bas,
regardez ! Je suis régulièrement sollicité par des détaillants activant au
marché de la Bastille. Je suis abonné en quelque sorte. Le prix de la course
est 1.500 DA, ni plus ni moins, indépendamment de la charge. Généralement, les
clients font le plein, jusqu'à 10 quintaux. Donc, c'est une insulte à notre
intelligence que de dire que la marge de 20 à 30 DA tient en compte la
répercussion des frais du transport. A moins qu'à notre insu, l'on transporte
une seule pomme de terre par voyage? », ironise, avec une petite pointe
d'agacement, le « client transporteur ». A vrai dire, les marges excessives
opérées par les détaillants n'ont aucune justification. Mais comment en dépit
du fait que le marché soit inondé, ces jours-ci, et que la mercuriale est à son
niveau le plus bas depuis le début d'année au niveau du marché de gros, les
prix restent tout de même relativement élevés sur les étals des détaillants. La
sur-disponibilité de la marchandise n'agit-elle pas mécaniquement sur les cours
au détail en les tirant vers le bas ? Il faut sortir de la théorie de l'offre
et de la demande et aller au terrain, c'est-à-dire le marché du détail, pour
espérer comprendre quelque chose à ce « paradoxe ». Il y a une pratique qui
s'appelle « la concertation » - ou la connivence -, entre les vendeurs du même
marché et, par extension, ceux de tous les marchés de la wilaya. A la première
heure, le mot d'ordre d'aligner les prix sur un même seuil circule telle une
onde électromagnétique et se propage vite d'étal en étal. Personne ne peut ni a
intérêt à déroger à la règle. Le marché se régule lui-même, mais en penchant
vers l'intérêt de ses commerçants. L'intérêt des clients n'est pris en
considération que quand il y a risque de mévente collective, qui de toute façon
est rarissime et sans grandes conséquences dans la filière fruits et légumes, à
quelques rares exceptions quand il s'agit de produits rapidement périssables
comme certains fruits. Cette parade des détaillants pour maintenir la
mercuriale au-dessus d'un seuil minimum garanti en cas d'excédent du produit
sur le marché, comme c'est le cas ces derniers jours avec le fonctionnement à
plein régime des nouvelles halles centrales d'El-Kerma, est d'autant imparable
que les services de la DCP ne peuvent pas grand-chose contre ce fait étant
donné que les prix sont libres. Mais, il est vrai, l'abondance du produit
limite forcément la marge de manœuvre du dernier maillon du circuit, les
détaillants, qui ne peut plus imposer des prix au-delà de l'entendement, se
contentant de dividendes certes pas exorbitants mais qui font mal à la poche
quand même, surtout si la sur-disponibilité de la marchandise s'inscrit dans le
temps et devient régulière. Ce qui, a priori, va dans ce sens à quelques jours
de Ramadhan, à moins que cette tendance à la stabilité des prix ne soit soudain
bouleversée la veille du mois de toutes les aubaines.