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2012 : une année charnière pour l'Algérie ?

par Mohammed Beghdad

Il y a une année encore, personne ne prédisait ce qui allait se dérouler comme évènements bouleversants en Tunisie, en Egypte et en Libye. Pourtant, au début, ce n'était qu'une petite étincelle qui allait chambouler toutes les stratégies mises en place depuis des décennies.

C'est parti presque de rien : mais comme les peuples arabes attendaient leur heure, il suffisait d'une petite grogne ou d'une immolation presque ordinaire pour que des révolutions se mettent en marche en balayant tout sur leurs chemins, en déjouant toutes les monarchies républicaines et oligarchiques qui se perpétuaient au détriment d'une ouverture démocratique où les peuples décident enfin de leur destinée.

Quant à la position d'attente des Algériens qui regardaient défiler les révolutions qui frappaient à leur porte sans être emportés par la vague déferlante, de nombreux observateurs notaient que les Algériens sont déjà passés par là, peut-être même assez tôt, mais les circonstances de l'époque n'ont pas favorisé l'émergence de forces capables de procéder à des changements radicaux du système de gouvernance. Certes, depuis le 5 octobre 1988, beaucoup d'acquis ont été arrachés mais vite rattrapés par le temps et les événements qui allaient ébranler le pays durant une vingtaine d'années.

Ces révolutions arabes ont réveillé les Algériens de leur profonde léthargie en rêvant de changements dans tous les domaines sinon le pays se retrouverait à la traîne devant des pays voisins qui sont passés à la vitesse supérieure pour relever tous les défis qui attendent leur peuple et aussi mener à bon port ses aspirations.

Allant dans le sens des brusques révolutions chez les voisins et en prémunition des conséquences graves qui pouvaient en découler, le pouvoir algérien a prôné des réformes pour être amendées par les parlementaires. Le hic dans cette affaire, c'est de voir les lois présentées vidées de leur sens, voire devenir plus restreintes que par le passé comme la loi sur les partis et celles sur les associations et sur l'information comme le constatent de nombreux observateurs sur la scène nationale.

Des partis dits de l'opposition en ont appelé même au président de la république de légiférer par ordonnance pour mettre fin aux entraves des deux chambres qui ne disposent pas assez de la légitimé nécessaire pour voter ces lois fondamentales pour une révolution pacifique de l'Algérie. Mais, à écouter le dernier discours présidentiel, on éprouve une satisfaction du chef de l'état quant à l'issue de ces reformes. On veut aller doucement en démocratie. On ne sait pas encore ce que cela voulait se traduire sur le terrain de l'application de ces lois émiettées.

Donc si l'Algérie veut marquer l'histoire, l'année 2012 va être une année importante, avec les futures élections législatives prévues au plus tard au mois de mai. On dit aussi que les élections seront plus que jamais libres comme l'invoque le discours du président. Ce qu'on pourrait le traduire qu'elles n'étaient en aucun cas libres par le passé. On annonce quelque part qu'elles pourraient même être provoquées avant l'heure pour sans doute mettre un terme à cette embarrassante mandature qui n'a pas été mémorable pour un pays de la taille du pays. Lorsque le champ politique n'ait pas connu d'autres forces politiques que celles qui existent depuis une douzaine d'années, on ne peut s'attendre à des miracles d'une assemblée de députés qui nagent depuis longtemps dans la rente pétrolière qui a masqué toutes nos tares et nos défauts. Il n'y a point eu de nouvelles idées à travers les anciens partis à part quelques très rares exceptions des partis dits petits. Les « grands » partis partagent le plus souvent leur temps à se chamailler pour l'usurpation du leadership. Si les élections aient été libres et si le champ politique ait été ouvert, on aurait sans aucun doute eu une autre assemblée parlementaire complètement différente de celle qui nous a été servi au grand désespoir du pays.

On a appris ces jours-ci que le ministère de l'Intérieur, dans un communiqué, a ordonné le traitement avec célérité des dossiers de création des nouveaux partis politiques pour mettre fin à cet obstacle majeur de l'émancipation de la démocratie dans le pays. Est-ce que les partis qui seront agréés auront-ils le temps nécessaire pour se déployer dans tout le pays ? Une fois agréés, faut-il qu'ils lancent leurs campagnes d'adhésion de militants et de disposer de locaux au niveau local pour mener une intronisation dans le champ politique. Ce qui va prendre énormément de temps lorsqu'on sait que les prochaines échéances électorales arrivent à grands pas et la lourdeur bureaucratique qui pèserait de tout son poids. Sauf si l'on dispose de baguettes magiques, ces partis ne pourront être prêts ni logistiquement ni politiquement pour étaler leur programme sur la scène nationale.

Il est vraiment dommage que les partis qui seront nouvellement créés ne partent pas à chances égales avec les partis existants depuis des années avec des moyens colossaux surtout matériels. A moins que les dés ont été déjà jetés et la politique des quotas continueraient à faire le bonheur de la politique actuelle comme l'atteste cette affirmation d'aller doucement en démocratie. On continuerait l'apprentissage dans la démocratie alors que les voisins sont pleins dedans. On se demande ce quoi servirait d'inviter des observateurs étrangers si la volonté politique n'existe pas d'aller fortement en démocratie avec un engagement solide des autorités. On risque fort de se retrouver avec la même composante au sein de la future chambre basse. On retournerait ainsi au point zéro avec tous les risques possibles et tout ce qu'engendrerait une disproportion de l'évolution des systèmes politiques en comparaison chez les voisins qui ont presque changé radicalement depuis un temps assez court. Il serait catastrophique pour l'Algérie de rester sur le carreau en misant sur une évolution en petitesse dans la démocratie pour ne pas sans doute brusquer trop les choses. Un statuquo est prévisible dans ce sens.

On peut aussi constater cette révolution douce à travers les médias lourds qui ne connaissent aucune évolution palpable en dépit les promesses réitérées par les pouvoirs publics depuis des lustres. On n'écoute point les discours qui fâchent ou qui dérangent. Cela fait marrer de lire les déclarations du ministre de l'information faites à l'endroit de l'ENTV qui est appelée à disparaitre du champ médiatique si elle continue dans cette voie de panne d'imagination.

Il faut rappeler à notre cher ministre que les anciens journalistes de cette même ENTV font le bonheur de nombreuses stations de télévisions internationales comme Aljazeera et Al-Arabia pour ne citer que celles-là. Ce n'est guère la faute à cette ENTV mais le pouvoir incombe principalement à ses propres décideurs. On se rappelle de l'épopée médiatique entre 1989 et 1991 où tous les tabous étaient tombés. Les Algériens n'avaient jamais été aussi fidèles à leur télévision que durant cette même période. Ils ne rataient rien de ses émissions politiques et de ses débats profonds à tel point que l'ENTV était devenu une attraction inévitable en particulier sur nos voisins marocains et tunisiens.

Actuellement, c'est au contraire qu'on y assiste aux niveaux relevés des émissions tunisiennes avec des débats inimaginables dans l'esprit de nos voisins il y a à peine une année. Ils avancent dans le bon sens tandis que nous, on régresse au moment où on est arrosé sans relâches par des milliers de chaînes de télévisions. A défaut d'ouverture des médias intérieurs aux débats fructueux et contradictoires, il est plus facile maintenant avec les satellites de créer sa propre chaîne à l'extérieur du pays moyennant quelques finances et d'autorisations du pays d'accueil. Il est possible de voir éclore de nombreuses chaines à l'instar de ces nouvelles chaînes destinées principalement à la consommation algérienne. Ainsi, à force de trop visser la vis, on risque de la rompre définitivement.

Pour le moment, la machine des réformes s'est mise en branle. On ne sait pas encore ce qu'elle va donner comme résultats probants. On croise les bras et on attend les promesses, qui on le souhaite, ne vont pas encore décevoir le peuple algérien et l'amener à changer d'options en passant à d'autres méthodes plus radicales. Ce que l'on ne souhaite nullement pour le pays. Pour l'instant, c'est la rente pétrolière qui fait calmer les esprits mais malheureusement l'Algérie ne possède pas éternellement de cette aubaine qui sauve ces temps-ci les meubles. Un jour ou l'autre, on subirait fatalement les conséquences de cette politique inadéquate qui nous mène tout droit vers l'inconnue.

Le salut de l'Algérie ne viendrait que vers l'ouverture envers tous ses enfants pour décider ensemble du sort et du destin du pays. Jouer interminablement au chat et à la souris nous conduirait tout droit vers l'irréparable. Rester inlassablement dans la situation présente n'est point confortable et idoine ni pour les gouvernants ni pour les gouvernés.