
Sujet
du jour: ce qui se passe en Kabylie. Il ne faut pas en parler. Car, la
mentalité régnante veut que cela ne se passe pas en Algérie ou que cela ne se
«passe pas chez vous». La
Kabylie est victime d'un double acte d'isolation qui a
cultivé l'indifférence à l'égard de son drame, printemps, kidnapping et misères.
D'un côté, une culture jacobine, baathiste, du Pouvoir a fait de cette région
une cible de sa politique culturelle de déracinement de rééducation chinoise; de
l'autre, une culture élitiste, un peu exclusive de l'autre et de rejet, a élevé
un haut mur entre les Algériens de la Kabylie et ceux des autres régions. L'apartheid a
été subi mais aussi voulu. Par les extrémistes des deux bords. La région a servi
à ceux qui voulaient d'une sorte d'ethnicisme de
prestige et ceux qui l'utilisaient comme poudrière domestique pour des complots
cycliques. A la fin ? C'est cette immense indifférence du reste du pays à cette
région que tous, certains de ses propres enfants et certains de ses ennemis
abâtardis par le panarabisme intégriste, veulent. Aujourd'hui, les attentats
terroristes, les kidnappings, les vols, les hold-up ou les émeutes y sont
traités comme des faits divers et vécus par le reste de l'Algérie comme un
événement presque étranger. Une indifférence qui laisse le chroniqueur sans mot.
Et bien sûr, il faut dénoncer cette mort de l'Algérien à lui-même avec lucidité.
Certains vont en faire un cri de misère locale et une preuve de la haine des
«arabes» vers les Kabyles, d'autres font en fabriquer le signe d'une servilité
d'intellectuel à un clergé, et d'autres encore vont lire ces lignes en se
disant qu'est-ce que cela cache ? La vérité est que malgré les déclarations, la Kabylie ne cache rien que
l'évidence: c'est une partie du pays qui souffre des siens et des autres. Tout
le reste, de ce que pensent les partis politiques, les opposants ou les
serviteurs du régime ne sont que des maladies en abîmes de l'esprit. Pourquoi
chaque pensée pour la Kabylie
est une arrière-pensée ? Pourquoi chaque misère est un complot ? Pourquoi
chaque complot y a le sens d'un crime presque raciste ? Pourquoi ?
Parce que cette région est voulue ainsi: propriété
idéologique pour certains, annexe mal annexée par d'autres, mal néocolonial par
les puritaines de Banou Hillal.
L'évidence est cependant là: on ne peut fonder l'algériannité,
la concevoir, la penser et la constater que lorsque cette région sera vécue
comme étant l'Algérie entière et que ses enfants les plus extrêmes la vivent
comme ils vivent le reste du pays. Trop de rumeurs ont crevé les yeux: aujourd'hui
une partie de l'Algérie est tuée, massacrée, volée et cela est vécu comme une
manoeuvre artificielle ou une preuve de persécution et pas comme une misère
nationale et une souffrance de tous. La cause: la Kabylie a été isolée, peu
à peu du pays qui lui-même sombre dans la lâcheté et l'indifférence à soi. Du
coup, on oublie l'évidence: il ne s'agit pas d'une
région qui souffre mais d'un pays qui se tourne le dos. La misère en Kabylie, titre
d'un reportage d'Albert Camus. La misère y est toujours: visible en Kabylie, évidente
dans le reste du pays et son esprit. Kabyle n'est pas une nationalité certes, mais
le reste du pays n'est pas encore une nation entière vécue dans la solidarité
et la plénitude. Si ce qui se passe en Kabylie n'intéresse que les Kabyles, c'est
que l'Algérie n'est pas encore née. Et vice-versa.