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BELLES (?) - LETTRES ALGÉRIENNES

par Belkacem Ahcene-Djaballah

Livres

Au fil de la littérature algérienne. Chroniques et interviews. Recueil de Jacqueline Brunot. Editions Les presses du Chélif, Chlef 2022, 154 pages, 700 dinars



Vingt-six chroniques, vingt six auteurs présentés avec un de leurs ouvrages peut-être le plus représentatif.

Cela va de Riccardo Nicolai, l'Italien amoureux fou d'Algérie, avec son « Ali Bitchin », une histoire fascinante de la Régence d'Alger à Nadjib Stambouli, le journaliste avec « Le mauvais génie », des variations cupides en trahison majeure en passant par Lamine Benallou avec « Les vies multiples d'Adam », quarante jours et une vie de dérives et Adila Katia, avec « Beauvais, sur les traces de mon enfance », le pain noir de l'exil, et d'autres et d'autres : Lynda Nawel Tebbani, Leïla Sebbar, Salima Mimoune, Nourredine Louhal, Djawad Rostom Touati, Amin Zaoui et votre serviteur. Un peu de tout, de tout un peu, en tout cas tout ce qui fait la richesse -une richesse réelle qui ne s'enferme dans aucun sujet ou thème sinon ceux de Sa Société- de la littérature algérienne actuelle. Et ce, sans complexe.

A noter la publication de deux interviews présentées :

La première est celle de Cheikh Djemaï, réalisateur d'un documentaire « L'empreinte » sur la Bataille d'Alger; œuvre dans laquelle il a voulu mettre en lumière cette incroyable et tumultueuse histoire de ce grand classique du cinéma. On y apprend, entre autres, que ce film culte, au départ « interdit » (sans décret précis) en France, bien qu'ayant obtenu un visa d'exploitation dans les années 70 (et interdit aux moins de 12 ans !), n'a pu être présenté au grand public (Arte) qu'en 2004 et il avait été interdit en Afrique du Sud (régime raciste d'alors), au Brésil, en Iran (du Shah), au Mexique et en Uruguay la peur qu'il incite à la rébellion ?

La seconde est celle du petit-fils d'Ahmed Boumezrag Mokrani, héros de l'insurrection de 1871. On y apprend au passage que Boumezrag Mohamed Mokrani fut le créateur de l'équipe Fln de football durant la Révolution.

L'Auteure : Née à Alger dans les années 50 (sa mère était du côté de Taher et son père, fonctionnaire en Algérie (et communiste) a été partisan de l'indépendance du pays. Professeur de lettres, écrivaine, artiste plasticienne. Plusieurs ouvrages dont «Une enfance dans la guerre -Algérie 1954-1962 » et «A l'école en Algérie, des années 1930 à l'Indépendance». Collaboratrice au journal (hebdomadaire) «Le Chélif» de Ali Laïb.

Extrait : «Nous n'en avons jamais fini d'apprendre sur les êtres exceptionnels à travers les romans historiques, même si les faits réels sont relayés par l'imagination des écrivains» (p 7).

Avis : Elle avait déjà publié «?uvres en partage. Chroniques culturelles du Chélif» un recueil de chroniques en deux tomes permettant de (presque) tout savoir sur la littérature algérienne contemporaine présentée par l'auteure. Cette fois-ci, en quelque sorte une suite avec l'espoir que cela ne va s'arrêter. L'édition nationale en a tellement besoin !

Citations : «Tout récit reste à la fois une barrière et un témoignage contre l'oubli» (p 2), «La littérature sait élargir le sens des possibles en revisitant la vie d'êtres au destin exceptionnel» (p 7).



Misère de la littérature. Roman de Djawad Rostom Touati. Apic Editions, Alger 2023, 208 pages, 800 dinars



Son roman (essai) « Un empereur nommé désir ». Anep Editions, Alger 2016. 383 pages était un véritable pavé, une sorte de « contre-roman de gare », écrit par un érudit incontestable (on s'y perd dans les références, dans le vocabulaire, dans des poèmes, dans les digressions explicatives et dans quelques scènes assez « chaudes » !), avec une grande maîtrise de la langue et de la littérature comme dans une pièce de théâtre, le héros, Nadir (le bien nommé), tombeur de ces dames, est à la recherche d'une aventure. Pour lui, « les femmes avaient toujours été le défaut de la cuirasse : la seule jouissance terrestre qui le retenait au monde; tout le reste était contingent ». Une sorte de Omar Gatlatou bien nanti.

Avec le second roman, « La civilisation de l'ersatz ». Apic Editions, Alger 2019, 200 pages, on a donc Farid qui, après avoir « violé » une lointaine cousine hébergée (veuve et mère de deux enfants, donc désarmée), pris de remords, s'en ira écumer les chantiers d'entrepreneurs sans foi ni loi. On a Malia, devenue mère célibataire dont l'histoire est «exploitée» par Malika, la petite bourgeoise «révolutionnaire» ( ?!) qui veut à tout prix «percer». On a Rami, l'as du marketing, toujours puceau, assez «coincé» en matière de femmes. On a Adib, l'apprenti essayiste; lequel, après avoir abandonné son idée de «fédérer» la jeunesse, se rabat sur l'écriture, peaufinant un essai qui synthétiserait les réflexions qu'il avait polies au fil et au feu des différents débats menés ça et là. Et puis, il y a Nadir, le méfiant envers tout embrigadement, il y a Yacine, il y a un parti politique, il y a une association. Tout un beau (sic !) monde qui se croise, chacun avec son bagage socioculturel, certains motivés pour changer le cours de leur vie, pensant que l'herbe est toujours plus verte (ou le soleil plus chaud) ailleurs; d'autres résignés à l'idée que le monde est fait ainsi, avec ses « dominants « et ses « dominés », et d'autres encore, suffisants à eux-mêmes cherchant leurs rédemptions dans les malheurs des autres... L'Algérie d'aujourd'hui ?

Ce troisième roman (?!) vient, en principe, terminer la trilogie programmée, « Le culte du ça ».On retrouve Nadir le poète dilettante, lequel pour extirper les origines du mythe néocolonial, s'engage à manier la rime envers et contre tous les idéologues du défaitisme et du dénigrement. A ses côtés, Lina, une jeune universitaire et romancière. Les deux -autour desquels gravitent des personnages secondaires- sont à la recherche de la vérité et du bonheur. Sans oublier la référence quasi permanente aux auteurs, philosophes et penseurs étrangers et algériens (Mohammed Dib, Mouloud Mammeri, Kateb Yacine ) qui ont forgé leur façon de voir le monde et les autres. Il questionne (égratigne ?) au passage le rapport des écrivains algériens avec la langue de Molière (dont il fait un bel usage), l'apport de la critique, le rôle de la littérature et de l'écriture dans notre société mais surtout interroge l'intérêt des livres dits de gare et pointe du doigt certains auteurs qui se complaisent à produire des livres selon une recette, celle du succès commercial. Ici, il dresse le portrait (du vitriol ?) d'un écrivain « aigri de n'être pas reconnu en son pays (...), « génie incompris », non reconnu comme « le premier écrivain de son temps ». Suivez mon regard !

L'Auteur : Né à Alger en 1985, licencié en économie internationale et titulaire d'un master en management. Prix de la meilleure nouvelle (Arts et Culture, 2005 puis du Feliv en 2015), il a obtenu le 2e prix Ali Maâche 2016, avec son roman (essai) « Un empereur nommé désir ». Anep Editions, Alger 2016. 383 pages.

Extraits : « Demande-toi pourquoi tu veux publier ce livre : si c'est uniquement pour te faire une notoriété, alors, aucun souci aussi bien ici qu'outre-mer, on est toujours complaisant envers les musulmanes délurées. Surtout que tu vas offrir aux semi-cloîtrées des couches moyennes, à mi-chemin entre tradition formelle et fantasme libertaire, le modèle rêvé d'évasion intégrale» (p 120), «L'atomisation de la vérité est pire que le mensonge intégral, en ce que le mystifié, en voyant juste sur un objet en particulier, croit que le mensonge alentour participe de cette vérité» (p 159), «La critique de bonne foi, mais qui ne s'attaque qu'aux symptômes, et néglige la racine -qu'elle n'identifie pas- suscite la complaisance des dominants qui laissent dire» (p 159), «On peut faire mine d'ignorer la laisse, tant qu'elle est assez longue pour qu'on ne voit pas la main qui la tient, et donne l'illusion que l'aboyeur enragé se meut librement» (p 161).

Avis : Roman, pamphlet, poésie et prose et exercice de style. Un peu de tout, de tout un peu.

Citations : «C'est la lutte pour la vérité qui donne du talent» (p 108), «Si le rêve n'est pas le frère de l'action, il devient le père de la schizophrénie» (p 124), «La satisfaction d'être approuvé par des personnes intelligentes est encore moins jouissive que celle d'être dénigré par des imbéciles» (p 124).