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Quand la maintenance va, tout va durablement

par Abdelhamid Charif

«Quand le mensonge prend l'ascenseur, la vérité prend l'escalier»

On associe la rapidité de propagation du mensonge avec l'ascenseur, et la pénible et lente arrivée de la vérité avec les escaliers. Et cette association du mensonge aux ascenseurs gagne terriblement en pertinence quand la maintenance promise s'avère notoirement défaillante, sinon carrément absente.

Sans moyens humains et matériels adéquats, et sans une vigilance tout aussi préventive que réactive, la notion de maintenance est tout simplement illusoire. Toujours à propos des ascenseurs, mais ailleurs cette fois, loin d'être affectés par l'infirmité précoce frappant plusieurs de leurs cadets, des ascenseurs centenaires insolites continuent de défier le temps et la gravité (1). La longévité de ces élévateurs doit beaucoup à l'entretien et au dépannage, mais bien davantage à la prévention de la rupture tragique des câbles, via un contrôle régulier et des changements propices. Elle est certes prisée quand elle est prompte à réagir, toutefois l'efficacité d'une stratégie de maintenance se mesure, avant tout, par sa vigilance préventive.

Le gaspillage est une caractéristique du sous-développement

La culture de la maintenance, c'est tout un état d'esprit et de responsabilité. Même si aucun maillon de la chaine ne peut être disculpé, la posture collective reflète en premier lieu celle de la classe dirigeante, appliquée et soucieuse, soit-elle, ou nonchalante et désinvolte. Bien plus que les richesses naturelles et les capacités d'investissement, c'est la politique de maintenance du tissu industriel et du patrimoine infrastructurel, qui augure des perspectives du développement durable d'un pays et de sa prospérité économique. Il s'agit en outre d'une vitrine non camouflable qui, à défaut d'honorer l'image du pays, ne peut que la ternir.

Une nation authentiquement soucieuse de sortir du sous-développement, doit faire de la maintenance une des charnières centrales de sa stratégie de gouvernance, faute de quoi, elle est condamnée à perpétuer la gabegie, telle la fâcheuse politique des usines et installations livrées «clé en main», pour le plus grand bonheur des fournisseurs étrangers et des rentiers locaux.

Dans un éditorial de son bulletin (2), remontant à 1988, mais ne perdant rien de sa pertinence, l'Organisation Internationale du Travail (OIT) s'insurge contre la malveillance sévissant dans les pays du tiers-monde : «Il est temps que cessent le gaspillage et l'incurie caractérisant la maintenance des parcs industriels de ces pays.» Le rapport cite quelques formes du gâchis généralisé : «Machines tombées en panne faute d'un graissage approprié, tracteurs et matériels agricoles rouillant dans les champs, véhicules de transport mis au rebut à la moitié de leur vie normale, routes défoncées peu après leur mise en service, ...»

Maintenance, gouvernance, et faiblesse provoquée

Gouverner c'est prévoir et savoir choisir les collaborateurs qui à leur tour doivent savoir faire appel à d'autres meneurs d'hommes. Si la première défaillance d'une chaîne est dictée par la résistance du maillon le plus faible, il n'en est pas de même pour son endurance et sa résilience. Réparer ou remplacer un ou deux anneaux déficients est bien plus simple et plus économique que de douter de tout l'édifice, jusqu'à s'interroger s'il reste des maillons suffisamment fiables et récupérables.

Eluder les actions prioritaires est irresponsable, et les renvoyer aux calendes grecques, pour cause de conflits claniques incessants, ne l'est pas moins. Et entre l'irresponsabilité et le recours au populisme il n'y a qu'un pas : «J'appelle perfection chimérique celle qui nous porte à faire le bien que nous ne sommes pas obligés de faire, et à omettre celui que nous devons faire» (Bourdaloue).

La bonté et la compétence ainsi que la méchanceté et la médiocrité, ne sont pas innées, mais sont si faciles à acquérir qu'elles semblent somnoler en chacun de nous, et prêtes à bondir pour servir ou sévir.

Selon Garabet Ibraileanu, les gens intelligents se divisent en deux catégories, les bons et les méchants, alors qu'à l'unisson les sots se liguent pour renforcer la deuxième catégorie.

cette pertinente corrélation entre la faiblesse et la méchanceté a été en fait identifiée bien avant par Platon et d'autres. C'est ainsi que Jean-Jacques Rousseau recommande : «Toute méchanceté vient de la faiblesse. Rendez votre enfant fort, il deviendra bon»

Il n'est dès lors pas du tout impertinent de déduire le corollaire suivant : Rendez un adulte faible, vous récolterez un méchant !

Incompétence provoquée et alternance démocratique

Si la faiblesse infantile peut être appréhendée, il en est autrement de la faiblesse acquise à l'âge adulte, la forme la plus nuisible étant incontestablement celle provoquée par l'accès aux responsabilités imméritées.

Et c'est parce que la plupart des responsables se mettent avec enthousiasme en situation de faiblesse, que Platon a tranché depuis longtemps : «La plupart des hommes au pouvoir deviennent des méchants»

Cette faiblesse provoquée et la méchanceté inhérente sont d'autant plus préjudiciables qu'elles sont chroniques et aigues, en absence d'alternance.

Certains l'ont idéologiquement diabolisée sans pour autant refuser ses fruits, d'autres l'ont défendue bec et ongles avant de la répudier pour avoir accouché d'une créature non désirée ; quant à ses «sauveurs», ils y ont tellement pris goût, et en même temps peur des représailles, qu'ils ont décidé de prolonger l'aventure en renouvelant, au besoin, les alertes. La démocratie, cette charte socio-politico-civilisationnelle, tant décriée et trahie par ceux qui en ont le plus besoin, qui a permis à l'Occident de sortir des ténèbres et à des pays émergents de se mettre sur orbite, les algériens risquent de patienter longtemps avant de la croiser de nouveau.

En attendant le prochain rendez-vous, on n'a d'autre choix que de louer ses attributs en espérant qu'une des générations futures puisse arriver à mieux l'agréer et l'adopter.

Sans doute est-elle imparfaite et pas toujours fidèle à ses courtisans, la démocratie est toutefois le mode de gouvernance le moins mauvais, et le seul qui est à la fois tout aussi nécessaire que suffisant.

L'alternance politique est amplement suffisante pour apaiser mes appréhensions d'être opprimé par la méchanceté innée ou provoquée, et absolument nécessaire pour contrer les démons tyranniques et prédateurs qui, à mon insu, sommeillent en moi.

Et pour conclure, réconcilions un célèbre Hadith du Prophète (PSSL) avec la souveraineté populaire, en le libérant d'une vieille interprétation fataliste : C'est en fait essentiellement par la démocratie que les peuples récoltent ou s'infligent les gouvernants qu'ils méritent. Pas forcément les meilleurs, faut-il admettre à l'égard des perdants, les bons perdants.

Références :

(1) https://www.youtube.com/watch?v=cLFPVRvwRu4

(2) https://www.monde-diplomatique.fr/1988/06/GIRARD/40915