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Jean-Luc Mélenchon, une tempête détruit mais ne construit pas

par Sid Lakhdar Boumédiene*

Alors qu'on attendait la déferlante de Mélenchon et de la NUPES, c'est tranquillement, sans heurts ni tapage que Marine Le Pen obtient la percée la plus significative aux législatives.

En politique, la voix de la gouaille, de la colère et de la tempête à chaque mot n'est pas ce qui garantit la victoire que le ton harangueur promet et certifie. L'échec est d'autant plus assourdissant que le tribun avait eu l'imprudence d'annoncer une vague qui allait submerger l'Assemblée nationale d'une majorité absolue. Il n'en est rien.

Se voulant Gambetta ou Jaurès, Jean Luc Mélenchon renvoie à la case départ le rêve de la gauche, insensée d'y avoir cru de cette manière alors qu'elle avait toujours eu la tête froide et l'analyse posée.

Une expérience supposée, des erreurs de débutant

C'était déjà une grande erreur de stratégie que d'annoncer un score en le qualifiant d'objectif politique certain d'être atteint. C'est le meilleur moyen de récolter le sentiment général d'une défaite cuisante alors que le résultat aurait été perçu comme une percée politique si la promesse n'avait pas fait croire à l'impossible. L'autre erreur avait été de croire en un coup de génie de communication en inventant le slogan « élisez-moi pour être Premier ministre ». Il a trouvé un angle d'approche astucieux, disaient les médias, pour utiliser une réalité qui n'existe pas dans la constitution mais qui, néanmoins, était une image qui frappait les esprits. Jean Luc Mélenchon ne sera pas Premier ministre, ce qui ne pouvait être devient subitement un échec de n'avoir pu être. Le tribun de la gauche a tout faux, à la hauteur de son bruit déferlant. Cette bourrasque s'est avérée être un gros courant d'air, aussi éphémère que sa définition.

La fureur, la gouaille et l'extravagance ne font pas une politique

Depuis que je connais médiatiquement Jean-Luc Mélenchon, pas une fois il n'a pu s'empêcher de vociférer, de menacer et de prédire la terrible revanche populaire. En fait, c'était de la sienne dont il parlait, nous y reviendrons.

Depuis longtemps maintenant, ses interventions étaient attendues, espérées par les médias. Il était insupportable mais un très bon client pour l'audience. Cela ne ratait jamais, cette audience voulait voir et entendre cette « bête politique » qui usait de tous les codes de la provocation et du renversement de table. Jean-Luc Mélenchon est un excellent tribun, certainement le meilleur. Il fait vibrer les meetings et ses déclarations intempestives à la tribune de l'Assemblée sont jugées être d'un très haut niveau oral. Ses idées, prises dans leur fond, sont incontestablement des idées de la gauche, même si certains se réclament d'une frange moins extrême.

Le problème est qu'il le savait et en a usé jusqu'à en être brûlé. Il s'est cru Gambetta, Jaurès ou Blum, il est parvenu à être l'amuseur des foules.

Je me souviens du même rôle qu'avait tenu médiatiquement Georges Marchais, à une époque où son parti politique atteignait le quart des sièges à l'Assemblée. En dehors de la coupe d'Europe de football ou du film du dimanche soir, je me souviens que dans notre salle de télévision en résidence universitaire, il était attendu avec impatience.

Le show allait commencer. La foule voulait rire, être emportée par des extravagances que seul un grand talent, il est vrai, pouvait parvenir à lui fournir.

Georges Marchais avait lamentablement emmené son parti vers la marginalisation qui, de toute façon, était inéluctablement condamné par la chute historique du communisme.

Créer un espoir et le détruire, c'est pire

Nous connaissons le parcours de Jean-Luc Mélenchon et je pense sincèrement que son attitude provient d'une profonde frustration.

Promis à un grand avenir au parti socialiste, maîtrisant le langage, le micro et la caméra, il ne pouvait être ignoré par ses camarades et par le public. Il n'est pas possible d'ignorer la très grande intelligence et haute culture de ce personnage politique qui reste remarquable. Mais le parti socialiste n'avait pas cru en lui ou plutôt les éléphants de ce grand parti de gouvernement, presque hégémonique. Ils avaient crainte de laisser le pas à un homme talentueux qui pouvait prendre toute la lumière. Et c'est là où j'estime être le plus gros affront à son égard, sa nomination par le Premier ministre Lionel Jospin à un poste de ministre... délégué à la formation professionnelle.

Déjà, l'adjectif apposé au mot ministre était la certitude qu'il le prenne mal vu ce qu'on a toujours deviné de ce bouillon et charismatique homme politique. Pour un personnage de cette taille, se voir attribuer le ministère (délégué) de la formation des CAP, comme disaient ses détracteurs, bien contents de le voir neutralisé, n'est pas exactement l'avenir espéré par un caractère ambitieux qu'on lui connaissait déjà à l'époque.

Jean-Luc Mélenchon n'a jamais caché sa rage à éliminer le parti socialiste, à lui rendre sa monnaie et à combatte celui qui l'avait encore plus méprisé, le Président François Hollande.

Je ne peux contester le positionnement réel de Jean-Luc Mélenchon à l'extrême gauche du parti socialiste, c'est indéniable et c'est son honneur que prendre la liberté de le réclamer. Mais mon sentiment personnel, je le répète, est qu'il s'est englouti davantage, à corps perdu, dans cette voie par suite de l'humiliation qu'il a ressentie et la haine qu'il a nourrie.

Ce n'est absolument pas illégitime. Il faut cependant toujours canaliser les sentiments profonds lorsqu'on veut être celui qui mène les militants vers la victoire. Ces ressentiments doivent être le moteur caché, pas le frein grinçant.

Le moment était venu

Puis est venue la chute aux enfers de la sociale démocratie et de l'Empire socialiste bâti par François Mitterrand. Les scores ont baissé à chaque élection jusqu'à l'humiliation de la tentative à la dernière présidentielle de la maire de Paris, Anne Hidalgo. Le fruit était mûr pour celui qui a patienté tant d'années. Son moment était venu, porté par la radicalisation des mouvements sociaux et d'une partie de la société qui se juge marginalisée.

Jean-Luc Mélenchon a saisi toutes les occasions, avec des hauts et des bas, que le mouvement social lui offrait. Celui des gilets jaunes en était le plus fort.

Cette gauche en miettes, le parti socialiste enfin humilié jusqu'à vendre son magnifique siège, rue de Solférino, et la disparition des éléphants, ont sonné l'heure de la revanche du révolté, de l'insoumis.

Un attelage fait de bric et de broc

Jean-Luc Mélenchon a su gérer le moment, il a ressuscité ce que le peuple de gauche orphelin réclamait depuis de si nombreuses années, la gauche enfin réunie.

Avec ses qualités indéniables, il a su ramener à lui le troupeau égaré et épuisé. C'est une grande victoire que d'avoir pu le faire estime la majorité des citoyens et des médias. La NUPES est née, elle obtient un score inespéré et un nombre de sièges à l'Assemblée qui est miraculeux.

Oui, mais voilà, quelle est la réalité de cette union électorale ? La France insoumise est vent debout contre l'Europe, les socialistes et les écologistes sont viscéralement accrochés au projet européen. La France insoumise veut une révolution sociale et détruire le capitalisme qu'elle juge sauvage et responsable de tous les maux. La sociale démocratie et les écologistes sont très loin de ce projet politique. Les cultures politiques et l'histoire de ces trois mouvements ne sont pas identiques mais en grande partie radicalement opposées.

Il ne fait aucun doute que cette alliance est de circonstance et ne peut durer sans un miracle que sait parfois nous offrir l'histoire. C'est la raison pour laquelle les leaders de la NUPES insistent prudemment pour déclarer que ce n'est qu'une alliance électorale et que les jalons sont posés pour une future alliance de gouvernement.

Promis, juré !

C'est justement cette déclaration prudente qui a permis aux leaders d'affirmer que la NUPES n'était pas une OPA de la France insoumise sur les deux autres partis, convalescents et réduits à une peau de chagrin au regard de leur ancienne position.

Pour le prouver, la NUPES serait composée de trois groupes parlementaires dans lesquels chacun des trois partis préserverait son indépendance et sa différence qu'il exprimerait librement. Promis, juré !

C'est comme si on avait cru à une alliance entre un loup affamé de pouvoir et deux agneaux tremblants qui ne demandaient qu'à survivre. Cela n'a pas raté, dès le premier soir de la victoire, Jean-Luc Mélenchon annonce qu'il serait salutaire de ne former qu'un seul groupe parlementaire.

Cette tentative avait déjà été devinée lorsqu'il avait proposé auparavant que les trois groupes seraient coordonnés par une instance commune. Comment être plus clair pour supposer l'appétit de la France insoumise qui réclamerait inévitablement sa part, très majoritaire dans les urnes. C'était promis, juré, le résultat est à peine déclaré que la NUPES est déjà dans la tentation de l'hégémonie de la France insoumise. Une naissance avortée car un projet politique se négocie entre des forces qui ont chacune leur puissance électorale. En tout cas, assez conséquente pour se risquer à une alliance contre-nature.

Un chef ex cathédra, à l'extérieur ?

L'autre énigme que crée la situation est l'étonnante décision de Jean-Luc Mélenchon de ne pas se présenter à la députation. Comment va-t-il faire pour continuer à avoir une emprise sur son « œuvre » sans avoir un siège à l'Assemblée nationale ?

La position de député permet d'avoir une tribune, une visibilité très grande, surtout avec un groupe parlementaire. On peut alors imaginer qu'il a l'intention d'être le référent extérieur, celui qui reçoit, donne ses instructions et garde la main sur les grandes décisions.

Rien n'est moins sûr car la situation est totalement différente de celle de Nicolas Sarkozy dont le rôle est celui de parrain et non de chef exécutif.

On ne peut pas concevoir que le tempérament du leader bouillonnant puisse le laisser accepter un autre rôle que décisionnaire.

Alors les risques inévitables seraient les manœuvres de l'ombre, les brouillages et les télescopages avec les dirigeants des trois groupes parlementaires. À fortiori celui de sa formation où il faudra surveiller les velléités de prise de pouvoir des anciens lieutenants qui voudront s'émanciper d'une tutelle extérieure qui les emprisonnent. Il ne peut en être autrement car il n'acceptera jamais de laisser la décision aux autres et, surtout, la lumière.

Tout à fait étonnant qu'il ait pris ce risque insensé à moins qu'il ait une opinion surdimensionnée de sa puissance d'entraînement.

Le grand perdant est finalement le rêve du peuple de gauche

À la suite de cette analyse féroce, que le lecteur ne se méprenne pas, l'auteur de l'article est profondément et depuis toujours membre de cette famille de gauche.

Mais il sait, par sa formation et son âge d'expérience, que la gouaille et les gesticulations ne font pas une politique de gauche mais sont le terreau d'un populisme affirmé. Et ce populisme est toujours annonciateur de régimes qui tournent le dos à la démocratie et aux intérêts de la culture de gauche.

Comme beaucoup, je n'ai pas oublié les déclarations du chef de la France insoumise sur les leaders populistes de ce monde, elles datent pour certaines de quelques mois seulement. Ce n'est absolument pas caricatural comme affirmation, à moins que je ne comprenne pas le français. J'ai entendu, comme tout le monde et de mes propres oreilles ses propos qui étaient clairs et sans ambiguïtés.

La gauche populaire n'a pas vocation à être perpétuellement la proie du populisme et des promesses du grand soir qui se terminent toujours tragiquement.

Elle a besoin de retrouver son chemin, calmement et avec sérieux. Les tribuns, c'est pour les périodes de guerre. Pour construire la prospérité sociale dans la sérénité, il faut des orateurs, certes éloquents et très pugnaces, ce qu'est Jean-Luc Mélenchon, mais pas des emportés qui ne mènent nulle part, sinon au pire. Ce qu'il est également, en grande partie.

*Enseignant