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L'intervention française au mali n'a pas été une bonne idée

par Abdelhak Benelhadj

L'échec de la campagne militaire était prévisible...

Le texte joint ci-dessous analysant l'initiative française est fidèle à la version publiée en janvier 2013, soit une semaine à peine après le début de l'intervention française au Mali. Il n'en manque pas une virgule, comme chacun pourra le constater en consultant les archives en ligne du Quotidien.

...Il avait été prévu

Aujourd'hui, il est avéré. Le Jeudi 10 juin 2021 le président E. Macron en a pris acte en annonçant la fin (virtuelle) de la présence française au Mali. Il lui reste à administrer le retrait de ses troupes sans aliéner totalement les raisons profondes qui ont justifié l'intervention de son pays.

Plus tôt, les militaires français en avaient tiré les principales conclusions.

« Nous n'atteindrons jamais une victoire définitive (...) jamais les armées françaises n'iront défiler, en vainqueurs, en passant sous l'Arc de Triomphe », avait concédé, sans fard, le général François Lecointre, chef d'état-major des armées. (AFP, mercredi 27/11/2019).

Quel bilan depuis 2013 ?

- De victoires, point. Les morts s'accumulent, surtout des victimes africaines, plus de 50 soldats perdus, côté français.

Exemples :

Fin mars 2021 Une enquête de l'Onu confirme qu'une frappe française au Mali a tué 19 civils en janvier (AFP, mercredi 31/03/2021)

Début mai 2021 : Plus de vingt personnes, dont des enfants, ont été tuées dimanche dans le centre du Mali par une frappe aérienne pendant un mariage, (selon source médicale rapportée à Reuters, mardi 05/01/2021).

Deux jours plus tôt, l'état-major des armées françaises annonce, lui, avoir « neutralisé » des dizaines de combattants djihadistes lors d'une frappe aérienne menée dans la région de Douentza, à 90 km à l'ouest d'Hombori, dans le centre du Mali...

- Un retard de développement plus grand pour des pays africains qui ont déjà du mal à joindre les deux bouts... avec une avancée irrémédiable du désert, une dégradation accrue de l'environnement et du climat, une pandémie en prime.

- Un conflit qui a gagné peu à peu tous les pays voisins qui en étaient jusque-là préservés, dans un espace immense qu'aucune ne force militaire technologiquement avancée ne saurait complètement sécuriser.

Sachant que, pour une large part, la déstabilisation du Sahel est directement la conséquence de la destruction de la Libye.

- Une image dégradée de la France et de son armée. Des manifestations antifrançaises régulières, en l'occurrence au Mali, comme en juillet 2020.

- A la mi-août 2020, le président malien Ibrahim Boubacar Keïta et son Premier ministre Boubou Cissé sont arrêtés par des militaires dont des éléments ont fraternisé avec des manifestants qui réclament depuis des mois le départ du chef de l'Etat. Le lendemain, le président donne sa démission et dissout le parlement (AFP, mardi 18 août 2020). Dans l'ombre, Paris a tout fait pour que l'essentiel ne soit pas remis en cause. Mais ce ne fut que partie remise.

Début juin, nouveau coup d'Etat au Mali qui ébranle les fondements de la présence militaire française. Car il importe de rappeler que ce sont les autorités maliennes qui légitiment, par leur appel en 2013, l'existence de Barkhane. Sans cela, le roi apparaîtrait dans son plus simple appareil. Et cela commençait à se voir lorsque Paris décida que désormais les forces françaises devaient opérer seules... En vertu de quel pacte, de quel contrat de droit ?

Plus tôt, le 20 avril 2021, un peu plus loin, un ami très proche de la France est assassiné (ou mort en héros sur le front en guerroyant courageusement, peu importe). Après s'être autoproclamé maréchal en août 2020, le Tchadien Idriss Déby (l'enfant naturel de la françafrique et de l'empereur Bokassa 1er, ami intime de l'ex-président V. Giscard d'Estaing) a été prestement remplacé par son fils. L'œuvre française en faveur de la démocratie dans les pays en développement emprunte des chemins insondables...

Pour combien de temps ?

Sophie Pétronin (otage française assez longtemps pour avoir bien compris les enjeux sur le terrain), libérée en octobre 2020, a qualifié ses ravisseurs de « groupes d'opposition armée », réfutant le terme de « djihadistes ». Ces propos mirent le général François Lecointre, chef d'Etat-major des armées, dans un état d'« indignation » peu commun [1]. S. Pétronin fut très vite oubliée, sans doute diagnostiquée victime du syndrome de Stockholm...

- Le « terrorisme » à juguler, objectif officiel de l'intervention, n'a non seulement pas cessé, mais s'est accentué depuis 2013. Depuis, la France vit sous un régime d'Etat d'urgence et d'exception que la pandémie a opportunément servi à discrètement renforcer. Peu à peu, sans que les Français en prennent vraiment la mesure, l'exception se dissout dans le droit commun.

Les solutions militaires aux problèmes politiques, en particulier celles initiées de l'étranger au Sahel, n'ont que très peu de chances d'aboutir. Aucune campagne militaire ne réussit. Parce que la question n'est pas militaire, mais sociale, économique et politique. Le moins pacifique des soldats sait que si « La guerre est la continuation de la politique par d'autres moyens », (Général Carl von Clausewitz[2]), aucune guerre ne peut être déclarée victorieuse si elle n'enfante pas la paix, si elle n'a pas pour principal objet la paix, et pas la pacification qui n'est rien d'autre que le maintien par la contrainte des conditions qui ont engendré le désordre et la violence.

Cela n'a pas empêché l'ancien président François Hollande, à l'origine de toute cette affaire, d'en revendiquer la pertinence, l'opportunité et tout le bénéfice d'une campagne dont chacun peut mesurer l'éclatant succès...

F. Hollande persiste et signe

C'est F. Hollande (et son ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian, aujourd'hui ministre des Affaires Etrangères de E. Macron) qui a lancé l'opération Serval au Sahel en 2013 remplacée en 2014 par l'opération Barkhane.

« Je mesure chaque jour la responsabilité que j'ai prise car c'est une décision lourde que d'envoyer des soldats à l'extérieur de nos frontières pour une mission extrêmement difficile donc j'ai plus que ma part de responsabilité». Mais il ajoute aussitôt : « nous devons faire en sorte que la mission aujourd'hui assurée par Barkhane puisse se poursuivre, et faire en sorte que nos soldats puissent être soutenus autant qu'il est nécessaire » (AFP mercredi 27/11/2019)

Il explique : « S'il n'y avait pas l'opération Barkhane aujourd'hui, ces forces terroristes qui ont été certes très entamées, qui ont été réduites dans leur influence, continueraient d'agir et menaceraient la sécurité de toute l'Afrique de l'Ouest »

Or, c'est très exactement ce qu'ont provoqué les interventions militaires françaises (encouragées et accompagnées discrètement par le Pentagone) limitées au début au seul Mali.

Après la destruction de la Libye en 2011 par les mêmes Français et Anglais (comme au bon vieux temps de la Crise de Suez, en 1956), c'est toute la région du Sahel qui est en flammes. Après 2013, c'est toute l'Afrique de l'Ouest qui est déstabilisée.

Et cela n'a empêché les attentats très meurtriers (notamment à Paris et à Nice après 2015) que l'opération française était présumée prévenir. Qui oserait avancer l'hypothèse que Barkhane les a provoqués ?

Personne ne prend le relais

L'un des anciens Premiers ministres de Hollande, Bernard Cazeneuve, est à l'unisson avec son ancien patron et entretient la fable de la cause occidentale commune : « La lutte contre le terrorisme était un combat au long cours qui implique que les Africains soient en situation de prendre le relais (...) et l'Europe en capacité d'affirmer davantage une ambition diplomatique et une capacité d'intervention, ce qui n'est pas le cas du tout aujourd'hui, et on peut le regretter grandement » (LCI, 27 novembre 2020)

« Des efforts doivent être engagés, et pas simplement par la France, l'Union européenne, les pays partenaires d'Europe doivent prendre conscience que c'est aussi leur sécurité qui est en cause » avertit dans le vide F. Hollande qui continue la même politique engagée dans les autres domaines (économique et social), héritée de son prédécesseur et poursuivie par son successeur : « On échoue mais on continue ». Or, la France n'arrive à convaincre ni les Européens ni les Africains de prendre le « relais ». Soit parce qu'ils ne le veulent pas, soit parce qu'ils ne le peuvent pas.

L'Empire, « Leading from behind » (B. Obama, Libye 2011), s'occupe de la cuisine et laisse les vassaux, alignés sans dissentiment, s'occuper de la vaisselle.

En octobre 2018, Florence Parly, ministre française des Armées, s'est assurée auprès de son homologue américain, James Mattis, du maintien de l'aide précieuse de Washington, sans laquelle Barkhane serait privé de renseignements et de logistique.

De leur base d'Agadez au Niger, observant les événements, des centaines d'Américains agissent très discrètement, à l'ombre des déboires de leurs « alliés » soumis, comme d'habitude, aux décisions unilatérales des Etats-Unis. Ainsi en est-il du rejet par D. Trump du traité signé avec l'Iran en 2015 ou du retrait récent des armées américaines d'Afghanistan.

Il n'y a pas de consensus européen ni en matière de défense, ni en matière de diplomatie. Le « couple franco-allemand » demeure une fiction que le Général avait inventée pour embêter les Américains et se ménager quelques libertés. Ni aux côtés de N. Sarkozy pour une illusoire Union Pour la Méditerranée ou la campagne libyenne, ni aux côtés de ceux qui lui ont succédé dans leurs aventures improbables en Syrie et au Sahel, à quelques faveurs limitées à l'intendance, l'Europe germanique se tient prudemment éloignée de ces confusions. La France reste seule, face à ses mythes et à ses déficits.

Hypothétique intervention militaire algérienne

Entendus maintes fois, des conseils avisés d'experts avenants invitent « amicalement » l'Algérie à intervenir hors de ses frontières. Sa Constitution aurait été amendée en ce sens.[3]

L'Algérie est soumise aux mêmes contraintes et limites que connaissent toutes les interventions étrangères. Le fait qu'elle procède du voisinage ou qu'elle se justifie par une défense de son territoire, ne réduit en aucune manière l'engrenage périlleux dans lequel elle s'implique.

La puissance militaire est insuffisante sans une forte ascendance politique continentale. Or, l'Algérie est, depuis les années 1990, en situation défensive et a beaucoup perdu de son influence en Afrique et dans le reste du monde en développement.

Le monde a changé d'époque. Le Mouvement des Non-alignés » n'est plus « non-aligné » contre personne ni pour personne. L'effondrement de l'Union Soviétique et de la Russie (qui a un PIB équivalent à celui de la Corée du sud) explique pour une large part le changement de rapport de forces et du paysage géopolitique mondial.

A titre d'exemple on peut considérer le traitement du dossier du Sahara Occidental, territoire annexé par le Maroc en violation du droit international depuis 1975, ses richesses naturelles sont exploitées, au vu et au su de tous, y compris par des pays européens, alors que sa population est dispersée dans des conditions indigentes, et n'a, à ce jour, pas eu la possibilité de s'exprimer, conformément aux résolutions des Nations Unies sur son avenir et celui du territoire.

L'Algérie qui, à raison, soutient cette cause, observe objectivement les limites de son influence sur le continent et dans les enceintes internationales, aussi bien en Afrique, en Europe qu'aux Nations Unies où le Maroc jouit d'une bienveillance dont, régulièrement, il se félicite.

Aidé puissamment par les Etats-Unis, l'Union Européenne et Israël, après avoir commis l'erreur de se retirer de l'OUA en novembre 1984, le Maroc est de retour (en janvier 2017, malgré l'opposition de l'Algérie) dans des conditions bien plus avantageuses pour lui et pour les protecteurs qui lui monnaient leur appui et qui se targuent de se moquer du droit commun à chaque fois qu'il leur paraît contraire à leurs intérêts[4].

Que son autonomie de décision économique et sa souveraineté soient une vue de l'esprit, que son ordre politique soit totalement obsolète et, à terme, problématique, est une question conjoncturellement secondaire. Les difficultés économiques et financières structurelles de l'Algérie (exprimée par sa dépendance à l'égard des exportations d'hydrocarbures) ne lui permettent qu'une marge de manœuvre limitée. Les dépenses militaires qui auraient gagnées à être investies dans la technologie, la formation et l'avenir de sa population, lui sont imposées par un contexte régional très dangereux. La taille du pays, la diversité et la longueur de ses frontières, l'instabilité de ses voisins ne lui laissent aucun répit ni aucun autre choix.

Inutile d'ajouter que la fragilité du régime aux affaires est accentuée par un faible soutien populaire. Si les agitateurs qui gravitent autour du hirak ne parviennent pas à mobiliser contre lui, le gouvernement actuel est très loin de mobiliser les foules en sa faveur.

Sur ce point, il peut se targuer de ne se distinguer en rien, à quelques exceptions près (l'Allemagne de l'inoxydable A. Merkel ou la Russie de V. Poutine par exemple), des gouvernements de la plupart des pays où les taux d'abstention aux élections croissent de manière continue, marquant la défiance des peuples face à leurs dirigeants.

En sorte que dans ces conditions, les armées algériennes prendraient un risque incalculable à s'aventurer hors de ses frontières nationales. Leur commandement, faut-il l'espérer, n'ignore pas le format de ce piège.

Enjeux géostratégiques

Demeure la question du pourquoi.

Ce qui importe, c'est de maintenir un contrôle strict des pays africains pour l'exploitation de leurs richesses minérales et énergétiques (Congo, Gabon, Niger, Nigeria...) agricoles (Côte d'Ivoire, Gambie, Bénin, Sénégal...), forestières (Ghana, Guinée équatoriale, Gabon...), touristiques (Sénégal, Sierra Leone, Togo, Guinée Bissau...).

Or, ces richesses sont aussi convoitées par les Chinois qui veulent briser leur dépendance à l'égard des transnationales occidentales qui spéculent et s'enrichissent en contrôlant le commerce mondialisé de ces biens, tout en pesant économiquement et politiquement sur une Chine sur le point de surpasser les Etats-Unis. Les entrelacs de la « Route de la soie », conçue à cette fin, tissent un réseau dense dans le monde, y compris en Afrique.

Chinois et Russes, en pleine crise pandémique, offrent leur aide financière et leurs vaccins à des dizaines de pays en développement. Les pays occidentaux sont absents ou mesurent chichement une aide médicale qu'ils ont eue bien du mal à se ménager pour leurs propres populations.

Proche du théâtre sahélien, en Centrafrique notamment, la Russie marque sa présence : coopération militaire, livraisons d'armes (7 cargaisons depuis 2016), 255 conseillers civils et instructeurs militaires activent dans ce pays, menacés par des groupes subversifs venus de pays voisins, armés et mandatés par d'obscurs commanditaires...

La Russie a signé des accords de coopération militaire avec le Nigeria, La République Démocratique du Congo, l'Ethiopie, le Mozambique, l'Angola... selon le londonien Financial Time. Le 23 et 24 octobre 2019 s'est tenu le 1er Sommet Russo-africain à Sotchi, sur les bords de la mer Noire. Une quarantaine de dirigeants ont été reçus par Vladimir Poutine.

On comprend que la Russie soit très régulièrement accusée par les Etats-Unis de toutes sortes de malversations : trafic de diamants, déploiements de mystérieux mercenaires, assassinats de journalistes... Moscou sous-traiterait certaines missions par un opérateur paramilitaire privé « Wagner Group » (équivalent à Blackwater américain) actif en Ukraine (Donbass) et en Syrie. Le Russe Valeriy Sakharov est conseiller national à la sécurité du président centrafricain Faustin-Archange Touadéra élu en 2016.

Double bind

Les pays occidentaux organisés autour des Etats-Unis, donneur d'ordres omnipotent, sont manifestement coincés entre la nécessité d'intervenir pour défendre leurs intérêts, en réalité en faveur d'entreprises privées habillement enchâssées dans les circuits de la décision, et leur difficulté à convaincre les populations africaines (et leurs propres opinions publiques) que leurs initiatives sont exclusivement vouées à la justice, au respect du droit, à la prospérité et à la sécurité de tous.

A l'évidence, cet objectif est loin d'avoir été tenu. Ce qui explique que les forces françaises sont paradoxalement réduites un inéluctable départ et à la nécessité de rester.

Florence Parly, la ministre des Armées use d'un oxymore acrobatique. La fin de l'opération Barkhane ne signifie pas que la France quitte le Sahel, déclare-t-elle ce 14 juillet. « Nous ne quittons pas le Sahel », martèle la ministre au micro de France Inter (Reuters, mercredi 14 juillet 2020).

A défaut d'agir sur le monde, les politiques sont réduits à une rhétorique qu'ils présument à tort dotée d'une performation qui n'appartient qu'à des circonstances exceptionnelles dans l'histoire. Toute la question est de savoir comment et sous quelle forme est comblée la contradiction : Barkhane s'en va et la France reste. Et qui va en payer le prix.

N'ayant aucune structure institutionnelle continentale ou régionale opérationnelle (politique et militaire) à même de les défendre, les peuples africains voient leur destin ballotté dans les escarmouches d'une nouvelle Guerre Froide et des acteurs informels (comme le reste), dont ils ignorent les ressorts intimes et sur lesquels ils n'ont aucune prise.

Notes :

[1] « On ne peut pas appeler ces personnes des militaires et imaginer qu'ils peuvent être comparés aux militaires français [...] soldats d'une armée régulière, qui se battent dans le respect du droit international, dans le respect du droit de la guerre, en maîtrisant leur violence et qui sont liés, au-delà de la mission, par une éthique particulièrement exigeante » https://www.ladepeche.fr, le V. 16/10/2020.

[2] « De la guerre ». Trad. franç.755 p. Edition de Minuit, 1955

[3] L'article 91 alinéa 2 de la nouvelle Constitution algérienne (novembre 2020), fixe les conditions et le cadre permettant au président de la République, chef suprême des forces armées et ministre de la défense nationale, après approbation de deux tiers des deux chambres du Parlement, d'engager des forces armées à l'étranger.

[4] Certes, les institutions africaines demeurent paralysées et parasitées par des protocoles aussi dispendieux que formels, par des jeux tribaux et claniques, sans impacts concrets sur les réalités politiques, économiques et sociales de populations poussées aux migrations (majoritairement internes au continent), livrées à l'insécurité, à la pauvreté, aux maladies et aux déséquilibres environnementaux