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Le « non-Maghreb » : tout le monde y perd !

par Cherif Ali

De nouvelles alliances se font et défont les anciennes avec le concours de nouveaux acteurs régionaux et internationaux dont la mission est justement de précipiter la fin du Maghreb, rappelait bien à propos un éditorialiste.

Un pas est franchi et le retour en arrière est presque impossible ! Contrairement au couple franco-allemand, le couple algéro-marocain, qui n'a jamais fait bon ménage, semble être définitivement condamné. Les implications géopolitiques de l'épisode de Guerguerat ont scellé la rupture. Les équilibres précaires qui, jusqu'ici, ont pu permettre au Maghreb de maintenir la tête hors de l'eau sont rompus (1) !

Pour l'heure, donc, on est dans le «non Maghreb !».

Par opposition au «tout Maghreb», dont on était en droit de rêver !

La somme de 200 milliards de dollars supplémentaires par an a été, par exemple, énoncée ! Elle correspondrait à des bénéfices qu'auraient pu engranger les économies du Maghreb à l'horizon 2019, si leurs pays cessaient de se regarder en chiens de faïence et décidaient, enfin, de coopérer !

L'information, rapportée par l'hebdomadaire Jeune Afrique, est imputée à Abderrahmane Hadj Nacer, auteur de la fameuse proposition d'une « direction collégiale pour gérer l'Algérie », et néanmoins ancien gouverneur de la Banque Centrale d'Algérie et fervent partisan de l'UMA qui, hélas, s'est révélée incapable de s'affirmer comme ensemble régional.

Pas plus politique qu'économique !

Pourtant, l'Union promise était riche de promesses à sa naissance : « Union douanière » dès 1995, puis « Marché commun », à l'horizon 2000.

A l'image de l'Union européenne !

Plusieurs années ont passées depuis et les économies du Maghreb continuent d'avancer en ordre dispersé malgré quelques rares initiatives comme la création d'une « Union maghrébine des employeurs » (UME) en 2007 et d'une « Union maghrébine des foires» en 2008 qui a tenu son premier salon à Alger.

Le bilan est bien maigre, ce qui avait alarmé en son temps, le patron du FMI d'alors, Dominique Strauss-Kahn, qui, en 2008, lors d'une escale à Tripoli, a appelé « à accélérer la réalisation de l'intégration économique des pays de la zone ».

Paradoxe, les économies du pays du Maghreb s'avèrent davantage tournées vers l'Europe que vers leurs voisins directs.

Plutôt aussi que de négocier, en force, avec l'Union européenne, la Tunisie le Maroc et l'Algérie ont fait cavalier seul, sans pour autant en tirer des avantages commerciaux et douaniers !

Ce n'est quand même pas compliqué de s'appliquer à eux-mêmes les relations commerciales et douanières qu'ils ont avec l'UE, s'est étonné DSK à Tripoli.

La zone maghrébine a pourtant de quoi séduire, elle offre un marché de 100 millions de consommateurs à l'horizon 2020 !

Sauf que les dures réalités du terrain freinent toutes les initiatives : marchés aux besoins mal identifiés, lourdeurs bureaucratiques, barrières tarifaires, systèmes bancaires peu concurrentiels et donc, faible soutien à l'investissement productif !

Réaliser la communauté économique maghrébine ferait gagner à ses membres une valeur ajoutée annuelle d'environ 10 milliards de dollars, soit l'équivalent de 5% de leurs produits intérieurs bruts cumulés. Paroles d'experts !

D'éminents universitaires de la Méditerranée, dont le professeur algérien Abderrahmane Mebtoul, ont tenté de relancer le débat et d'attirer ainsi l'attention des décideurs sur les avantages d'un Maghreb uni ; « il serait suicidaire pour chaque pays du Maghreb de faire cavalier seul », relève le professeur qui affirme : « l'intégration économique régionale est une nécessité historique ».

Sans inclusion euro-méditerranéenne, le Maghreb serait bien davantage balloté par les tempêtes du marché, avec le risque d'une marginalisation croissante ; « une sortie des radars de l'histoire », a prédit l'éminent professeur qui a ajouté : « On peut faire avancer l'intégration maghrébine par des synergies cultuelles et économiques comme cela s'est passé entre l'Allemagne et la France, grâce au programme Schuman du charbon et de l'acier ».

Et les exemples sont nombreux entre tous les pays du Maghreb, la combinaison du gaz algérien et du phosphate marocain au moyen de Co-partenariats internationaux bien ciblés, permettrait de créer une des plus grandes entreprises d'envergure mondiale d'engrais, selon les experts, comme le professeur Mebtoul.

Ces derniers recommandent également la redynamisation de la « Banque maghrébine d'Investissement », la création d'une « monnaie maghrébine », à l'image de l'euro européen, ainsi que la mise en place d'une « Bourse maghrébine » qui devrait s'insérer « horizon 2020 », au sein du projet de création de la Bourse euro-méditerranéenne.

Tous ces projets, s'ils avaient été mis en œuvre, auraient contribué, à coup sûr, à la prospérité du Maghreb et de ses habitants.

Hélas !

Certes, c'est encore un rêve, diront certains, au regard des obstacles de toutes natures qui ne sont pas à négliger. Le business peut faire, dit-on, ce que les politiques ne font pas ! Quoique.

Mais ce projet de l'UMA ne mobilise guère les dirigeants politiques, ou peu ou prou ! Et notre ami le roi, en vient de faire la démonstration avec son invasion de la zone tampon de Guerguerat.

Les équilibres précaires qui, jusqu'ici, ont pu permettre au Maghreb de maintenir la tête hors de l'eau sont rompus. !

En refusant d'assumer en commun leur destin, les Maghrébins vont désormais entrer, tous et séparément, dans une phase des plus critiques.

Les raisons de la discorde entre pays voisins en raison de la volte face du Maroc demeurent les plus fortes.

Et pourtant, il y a des choses à faire !

Il y a de l'espace, par exemple, pour « la diplomatie économique », le Maghreb ayant toutes les potentialités pour devenir un pivot stable.

Et aussi pour traiter d'égal à égal avec l'Europe et la Chine, par exemple. La diplomatie économique en France est le fer de lance du ministère des Affaires étrangères ; qu'on se rappelle des déplacements en Algérie de Laurent Fabius pour promouvoir le partenariat signé avec Renault et l'enthousiasme qu'il a mis pour faire aboutir le contrat !

Pour l'heure, donc, on est dans le «non Maghreb !».

Par opposition au «tout Maghreb», dont on était en droit de rêver !

Et pourtant, on se met à rêver avec cette incroyable fusion de trois groupes de musique « ghiwane » d'Algérie, du Maroc et de Tunisie, pour n'en faire qu'un : «Nous avons nos sensibilités, mais tout nous unit, notre musique nous a permis d'abattre les frontières qui pourraient exister entre nos peuples ». (2)

C'est le défi réussi d'artistes venant d'horizons différents pour «construire » un nouveau destin commun, être en communion et aller à la découverte de nouvelles perspectives.

Sans préjugés, ni faux-fuyants contrairement à ceux qui nous gouvernent dans notre pauvre Maghreb meurtri.

Renvois :

1. Hacen Ouali (La fin du Maghreb ?)

2. (El Watan du 15 décembre 2020)