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La bonne santé des vendeurs d’armes

par Akram Belkaïd, Paris

En ces temps de morosité économique et de pandémie catastrophique pour la santé humaine et pour la croissance, il est un secteur qui affiche une santé insolente. La défense et l’armement caracolent en tête des activités lucratives pour une cinquantaine de pays dotés d’une industrie dédiée. Les chiffres parlent d’eux-mêmes mais quelques explications ne sont pas de trop dans le cas de ce marché particulier. Commençons par la répartition mondiale de ventes d’armes (sauf indication contraire, les chiffres qui suivent concernent l’année 2019 (1).

Les Etats-Unis en tête

Avec 36% du total de ces ventes, les Etats-Unis sont le champion incontesté. On a parfois tendance à l’oublier, mais ce pays demeure en tête de ce classement depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale avec un chiffre d’affaires qui approche les 250 milliards de dollars. Un montant à comparer avec son budget de la défense qui atteint 732 milliards de dollars (l’équivalent de 4,9% du produit intérieur brut) et qui, année après année, poursuit tranquillement son chemin vers le seuil symbolique des 1.000 milliards de dollars. En pratique, Washington est à la fois exportateur via des entreprises privées américaines, dont le numéro un mondial Lockheed Martin (11% du chiffre d’affaires planétaire) mais aussi client de ces mêmes entreprises. Ces chiffres sidérants obligent à se rappeler la mise en garde du président Dwight D. Eisenhower prononcée lors de son discours d’adieu du 17 janvier 1961, quelques jours avant le terme de son deuxième et dernier mandat. « Dans les assemblées du gouvernement, nous devons donc nous garder de toute influence injustifiée, qu’elle ait ou non été sollicitée, exercée par le complexe militaro-industriel. Le risque d’une désastreuse ascension d’un pouvoir illégitime existe et persistera » y déclarait-il.

Après les Etats-Unis vient en toute logique la Russie (21% du marché avec un budget de défense de 65,1 milliards de dollars soit 3,9% de PIB). La Russie est certes un géant mondial mais la comparaison avec le budget US est en soi un indicateur. Certes, les récentes crises (Ukraine, Syrie, Libye, Caucase) ont démontré le retour en force de Moscou mais la défense américaine dispose de moyens bien plus conséquents. Après la Russie, vient la France (7,9%) de parts de marché, la preuve que l’on peut prétendre être le phare des droits de l’homme et de la liberté tout en vendant des armes à qui peut en acheter. Cela vaut aussi pour l’Allemagne dont une idée reçue voudrait qu’elle soit désarmée depuis sa défaite en 1945. Avec 5,8% du marché mondial, l’armement allemand est présent dans nombre de conflits et de points de tension comme par exemple ses fournitures livrées à la Grèce au grand dam de la Turquie.

L’Arabie, acheteur vedette

La liste des principaux acheteurs raconte une autre histoire. Celle de pays obsédés par leur défense et capables de consacrer des sommes astronomiques à leurs importations. Un exemple : l’Arabie saoudite, le premier acheteur mondial avec 12% de toutes les importations pour un budget de défense de 62 milliards de dollars soit 8% du PIB.

Et le principal fournisseur de Riyad est Washington avec près de 75% du marché saoudien. Un quasi-monopole qui éclaire autrement la question pétrolière. Les Etats-Unis achètent peut-être moins d’or noir aux Saoudiens mais continuent de garder la haute main sur une bonne partie du recyclage des pétrodollars via les ventes d’armes.

Après le royaume wahhabite, l’Inde (9,2%), l’Egypte (5,8%) et l’Australie (4,9%) se suivent dans le top 5 des grands acheteurs d’armes.

La première craint la Chine, l’Egypte veut garder son leadership arabe et africain et l’Australie se voit en citadelle assiégée par les appétits chinois. Et la Chine dans tout cela ?

C’est le pays qui réalise l’exploit d’être dans le top cinq des deux catégories. Cinquième grand exportateur d’armement (5,5% de parts de marché) c’est aussi le cinquième grand acheteur (4,3% des importations). Autrement dit, l’industrie de défense chinoise est en progression constante même si son budget de défense rapporté au PIB est inférieur à 2%. De quoi relativiser les discours sur la rivalité montante entre Washington et Pékin.

1- Sources Spiri, Defense News, Janes.