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Fawzia Al-Ashmawi, écrivain, experte en recherches et traductrice: La femme, l'islam et les musulmans en Occident

par Mohammed Mustapha Habes*

Dr Fawzia Al-Ashmawi, écrivain, experte en recherches et professeur d'arabe et de civilisation islamique à l'Université de Genève en Suisse. Après avoir obtenu sa licence et son master des universités en Egypte, elle a obtenu son doctorat es lettres de l'Université de Genève en 1983, son sujet de thèse» l'Evolution de la femme et de la société égyptiennes contemporaines ».

Dr Al-Ashmawi a travaillé comme traductrice et conseillère auprès des organisations internationales à Genève. Elle a également collaboré en tant que experte externe avec l'Unesco à Paris et l'Union Européenne à Bruxelles. Elle a occupé le poste de conseillère culturelle auprès des ambassades d'Arabie Saoudite et des Emirats Arabes Unis à Genève.

Elle a publié 20 ouvrages dans les trois langues arabe, français et anglais dont «L'image de l'islam et des Musulmans dans les manuels scolaires en Occident», »l'Image de la femme musulmane dans les médias en Occident», «Les Sources de l'Histoire des religions» et «La Femme arabe entre l'Orient et l'Occident». Ses ouvrages littéraires ont pour titre « Les vagues de ma Vie entre la mer d'Alexandrie et le Lac de Genève», « La Femme dans l'œuvre romanesque de Naguib Mahfouz». Quant aux ouvrages traduits de l'arabe en français citons « Miramar de Naguib Mahfouz» et « Mariage et Divorce dans l'Ancienne Egypte». Dr Al Ashmawi a publié de nombreux articles sur les droits de l'homme et sur la condition de la femme en Islam. Son dernier ouvrage en arabe porte le titre de « La Femme dans le Discours coranique».

Ce qui touche le plus chez cette personnalité c'est son identité arabo-musulmane apparente à travers sa conduite et sa tenue vestimentaire décente avec son «voile» qu'elle a défendu à maintes reprises, contre vents et marée, bien qu'on l'a vue dernièrement, à certaines émissions télévisées sans voile, ce qui a suscité nombre d'interrogations.

Néanmoins, la première chose qui nous interpelle en essayant d'aborder les dimensions de cette personnalité d'une expérience riche et variée, est la question de l'identité culturelle et civilisationnelle, dont certaines indications se manifestent parfois dans l'apparence extérieure d'une personne, surtout si cette personne est une femme !

Et les fidèles et prédicateurs des mosquées suisses mentionnent son histoire passionnante avec l'administration universitaire concernant le port du voile. En effet, la plupart des représentants de mosquées l'ont soutenue, non sans fierté, dans son combat pour la reconnaissance de son droit de porter ce voile dans l'enceinte universitaire. Ceux-là mêmes pourraient être surpris de la voir dans certaines émissions d'entretiens télévisés le porter et parfois ne pas le porter, ce qui peut soulever plusieurs interrogations de leur part.

Nous avons cherché à mieux connaitre cette personnalité musulmane et exposer au lecteur sa vaste expérience culturelle et sociale, même si sa position sur le voile va la placer en désaccord avec des spécialistes de jurisprudence musulmane. Enfin, comme l'a dit l'imam Malik «Les paroles de quiconque peuvent être soit acceptées, soit rejetées, sauf celles du Prophète », que la paix soit sur lui.

Question: Comment présenter Dr Ashmawi et expliquer les circonstances qui l'ont conduite à vivre si longtemps en Occident et quelles sont ses activités culturelles?

Dr Fawzia Al-Ashmawi :

Etant née à Alexandrie en Egypte, j'étais la troisième fille de ma famille et ma mère aurait souhaité avoir un garçon ; toute ma vie j'ai essayé de lui prouver qu'il n'y avait pas de différence entre un garçon et une fille. Ai-je réussi à le prouver ?! Nul ne le sait, surtout que je me suis efforcée durant tout mon parcours scolaire d'être la meilleure et réussi brillamment à l'examen du bac en étant classée première de tous les collèges francophones d'Egypte. Mon père est ensuite tombé malade, ce qui m'a contraint à travailler pour financer mes études à l'Université d'Alexandrie où j'ai rencontré mon futur mari. Après notre mariage, mon mari fut nommé assistant à l'Université d'Al Azhar au Caire qui lui a octroyé une bourse d'études à l'Université de Genève. Je l'ai accompagné dans ce voyage au bord du lac Léman et me suis inscrite dans la même Université que lui où j'ai obtenu une licence puis un doctorat es lettres. A la suite de quoi, je fus nommée enseignante au département d'arabe de cette université où j'ai enseigné durant 26 ans l'arabe et la culture islamique. Mon parcours a été jalonné de plusieurs participations à des projets de recherches, soutenus par l'Unesco à Paris, L'Union Européenne à Bruxelles et la Ligue Arabe au Caire et portant sur la thématique de la femme musulmane et sa perception dans les médias et les manuels scolaires en Occident. Elles a donné lieu à la publication d'une vingtaine d'ouvrages dans ce domaine et conduit l'UNESCO à me confier la rédaction d'un chapitre de l'Encyclopédie de l'Islam sur l'Evolution de la femme dans les pays du monde Arabo-islamique. En 2008, sur proposition du Ministère d'Al Awqaf d'Egypte, j'ai été décorée de la Légion d'honneur d'Egypte pour les Lettres et les Sciences pour l'ensemble de mes travaux.

Votre dernier ouvrage publié à Dar El Shorouk au Caire « La Femme dans le Discours coranique» qu'a-t-il apporté de nouveau à ce sujet débattu et traité par d'éminents ulémas ? et quelle est la méthodologie adoptée dans cet ouvrage ?

Dr Fawzia Al-Ashmawi :

Dans mon nouvel ouvrage «La Femme dans le Discours coranique » j'ai cherché à exposer l'évolution de l'image de la femme dans le discours coranique. Afin de tracer la courbe de cette évolution, j'ai suivi l'ordre chronologique historique durant les 23 ans de la révélation du Coran au Prophète Mohammed. Il en ressort que dans les sourates révélées à la Mecque, la femme y est présentée à comme étant à l'ombre d'un personnage historique : la femme de Zakariya, la femme de Loth, la femme de Pharaon. Dans certaines Sourates Médinoises, la femme devient le personnage central du récit Coranique comme par exemple dans les Sourates «La Discussion», «L'éprouvée» et «L'Interdiction». Pour la première fois, le Coran s'adresse directement à la femme « O, les femmes du Prophète». Dans cet ouvrage, j'ai traité également des sujets sociétaux sensibles à la lumière des changements et des découvertes scientifiques et biologiques récentes comme la «`da» (période de continence de la femme suite au divorce ou au décès de son époux), le mariage de la musulmane avec un non musulman, l'apostasie, la lapidation, le voile et le nikab ...

En tant que femme et écrivain musulmane vivant depuis longtemps en Occident, pourriez-vous nous résumer les difficultés et les défis qu'affronte la femme musulmane dans les sociétés européennes? et les responsabilités qui lui incombent ?

Dr Fawzia Al-Ashmawi :

La plupart des défis et difficultés que la femme musulmane rencontre dans les sociétés européennes résultent de l'image déformée que les médias renvoient de l'Islam et des Musulmans. Elle y est décrite comme une femme ignorante et soumise à l'homme qui lui impose le voile, devenu le symbole de l'oppression à leurs yeux. Ce débat superficiel autour du voile, qui se focalise uniquement sur son aspect extérieur, occulte la place prépondérante qu'accorde le Coran et l'Islam en général à la femme musulmane à tous les échelons de la société, comme par exemple, le droit de la personnalité juridique indépendante qui lui permet de gérer sa fortune librement et le droit de garder son nom de jeune fille et son identité.

La question précédente nous amène à la question de la conclusion à laquelle vous êtes parvenu dans votre autre livre, intitulé «L'image de l'Islam dans les programmes d'études en Occident», qui a été publié par l'ISESCO en 2005, quelle est la vérité de cette image ? Qui l'a causée ? Quelles sont les implications de cette image ?

Dr Fawzia Al-Ashmawi :

L'image déformée des femmes musulmanes, de l'islam et des musulmans est également due aux programmes et aux livres d'histoire des pays occidentaux.

L'UNESCO et la Ligue des États arabes se sont efforcés d'expurger des programmes scolaires des pays européens des mensonges, préjugés et distorsions qui offensent l'islam et les musulmans. J'ai participé à plusieurs projets avec ces organismes et préparé plusieurs études dans ce sens. L'ISESCO a publié à Rabat mon étude sur «L'image de l'islam et des musulmans dans les programmes d'études en Occident» et j'ai également publié un résumé des recherches que j'ai faites en collaboration avec six experts d'Europe et des pays arabes sous la supervision par l'UNESCO et la Ligue des États arabes, intitulée «Un guide pour les auteurs de manuels d'histoire».

Après le printemps arabe, la jeunesse arabo-musulmane conteste le mode de gouvernance de ses dirigeants. En tant qu'experte en affaires sociales, selon vous comment peut-elle aujourd'hui atteindre le changement désiré ?

Dr Fawzia Al-Ashmawi :

Le verset coranique suivant « Dieu ne change point l'état d'un peuple, tant que les individus qui le composent ne changent pas ce qui est en eux même (S.13,V.11)» pose la condition principale de la renaissance de nos sociétés arabes et musulmanes. En effet, le changement et le progrès ne pourront survenir sans une remise en question sérieuse sur les plans éducatif, culturel, et scientifique. L'avenir appartient à ceux qui travaillent dur et assument leurs responsabilités dans ce monde où il n'y a point de place aux faibles.

Des voix s'élèvent en Occident et aussi dans le monde arabo musulman pour renouveler le discours religieux voire le discours islamique. Pourquoi ces revendications ne s'appliquent pas également au discours religieux juif et chrétien ?

Dr Fawzia Al-Ashmawi :

Le renouvellent du discours islamique n'a aucune chance d'aboutir tant qu'il restera réservé aux religieux et aux ulémas d'Al Azhar tout en exclut la participation de la femme et des experts de tous les domaines scientifiques. Une fois cet obstacle surpassé, nous pourrions alors entamer un dialogue interreligieux avec les Juifs et les Chrétiens dans le but de construire une convergence autour des valeurs communes qui nous réunissent dans l'intérêt de l'humanité.

Parlez-nous de votre attitude vis-à-vis du port du voile, on vous a vue parfois voilée et parfois non voilée au cours d'émissions télévisées ?

Dr Dr Fawzia Al-Ashmawi :

Dans mon dernier ouvrage »La Femme dans le Discours coranique», j'ai consacré un long chapitre à la question du port du voile qu'on appelle par erreur « hijab » en arabe, alors qu'il désigne dans le Coran un rideau et non un tissu qui couvre les cheveux de la femme. A tire personnel, j'ai toujours adopté une tenue vestimentaire décente qui couvre tout le corps et n'ai jamais eu recours au maquillage ni aux produits de beauté. Dans les années 70, alors que j'étais une jolie jeune femme dans la trentaine, j'ai porté le voile pour me protéger et pour mettre l'accent sur mon identité musulmane bien que cela n'était point possible durant les cours que je dispensais à l'Université de Genève en raison de la neutralité imposée par le statut de fonctionnaire de l'état Suisse. Maintenant que je suis septuagénaire non mariée, j'applique le verset coranique qui fait référence à toutes les femmes musulmanes de mon état «Et quant aux femmes ménopausées qui n'espèrent plus le mariage, nul reproche à elles d'enlever leurs vêtements de sortie, sans cependant exhiber leurs atours et si elles cherchent la chasteté c'est mieux pour elles. Allah est Audient et Omniscient : » (S.24,V.60).

En effet, ce verset du Coran accorde aux femmes âgées non mariées le droit d'enlever les vêtements de sortie, qui signifie alléger leurs vêtements, lourds et gênants.

Votre dernier mot adressé aux jeunes musulmans en particulier et les communautés musulmanes en général vivant dans les sociétés occidentales ?

Dr Fawzia Al-Ashmawi :

Les mots clés pour les jeunes musulmans et musulmanes restent l'intégration et la citoyenneté. Pour réussir le vivre ensemble avec les adeptes de toutes les autres religions, il faut respecter les lois et la constitution du pays dans lequel vous vivez tout en s'attachant aux valeurs islamiques et à la tradition du Prophète.

*(Genève / Suisse)