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La société se cherche encore pendant que «son armée inutile de jeunes», en errance, n'en finit pas de grossir !

par Cherif Ali

C'est une situation paradoxale que vivent les jeunes Algériens à l'ère de la Covid-19 !

Mieux préparés, pourtant, à l'incertitude de leur avenir car vivant « depuis leur naissance avec l'idée d'une crise économique permanente » , du fait de la dépendance de leur pays au pétrole, ils sont confrontés aujourd'hui, à une crise sanitaire qui n'en finit pas ; elle met un frein à ce qui fait leur force : leur « grande mobilité, à la fois géographique et professionnelle » .

Du fait du confinement imposé à tous, ils subissent plus que tout le monde, la double peine : l'absence de liberté et la solitude impactent gravement leur moral, à en croire les psychologues qui ont rendu un rapport en ce sens. Toutefois, les allégements décidés par le gouvernement concernant un retour progressif à la vie normale laissent entrevoir une possibilité pour un certain nombre d'entre eux de « se refaire» , de rattraper, peu ou prou, le temps des occasions perdues à cause du maudit virus.

Est-ce à dire que ces jeunes-là, à voir de près, ne diffèrent en rien de leurs ainés des anciennes générations, dès lors où ils expriment les mêmes besoins et les mêmes aspirations ?

A savoir vivre leur temps, étudier juste ce qu'il faut pour un certain nombre, trouver un job pour beaucoup et se marier pour la plupart ?

Pas si sûr, le problème des jeunes n'est pas que matériel, il est plus que ça. Nos jeunes ont le «blues» et connaissent le «spleen» !

Et leur problème ne se résoudra pas

1. à coup de place dans un marché, fut-il parisien

2. par l'attribution, au pied levé, d'un local, pour l'exercice d'un hypothétique commerce sans lendemain à coup de crédits ANSEJ, vite détournés d'ailleurs de leurs objectifs.

3. par des décisions précipitées empruntant à la démagogie et au gaspillage.

Et la solution à leurs avatars ne se réglera pas à la hussarde, ni par décret, encore moins par le biais d'un miraculeux plan Marshall.

Et tous ceux qui pensent avoir trouvé l'angle parfait pour résoudre cette question des jeunes et de cette manière, font fausse route.

Aujourd'hui par exemple, voyez par vous-même, à la question posée «Et la jeunesse ?» on vous répond ! «Il n'y a pas de jeunesse !»

Et pourtant, les jeunes sont partout dans la rue, jour et nuit, dans les cybers, les bus, les voitures, les marchés, les stades et même là où on les attend le moins. Sans oublier les murs et les halls d'immeubles, qui restent, par devers- eux, leurs endroits de prédilection.

Et une fois encore, à la question qui leur est posée : «qu'est-ce que vous attendez en tant que jeunes ?» On vous répond : « rien du tout, absolument rien !»

Ça résonne comme une sentence de tribunal. Ça tombe comme le couperet de la guillotine !

Le problème des jeunes est complexe : pour souffler déjà, beaucoup d'entre eux ont pris le parti d'arrêter les études.

Une grande proportion des 16-20 ans n'est plus intégrée au système éducatif. Nombre de ces jeunes relevant de cette catégorie étaient déjà peu enclins à faire des études, puisqu'ils étaient déjà en plein dans le marché et le commerce informels.

D'autres, franchement, n'avaient ni les aptitudes ni l'envie de continuer leur scolarité au-delà du collège. Les 16 ans et plus, sont ceux ayant raté le B.E.M et l'entrée au lycée, non sans avoir au préalable, redoublés de quelques classes.

Les 20 ans et plus constituent la tranche des recalés du B.A.C et de leurs congénères qui l'ont passé et repassé, en vain.

Les stages, la formation professionnelle, très peu de jeunes y pensent dès lors que les créneaux porteurs sont saturés.

De plus, ces jeunes là se sont fait une raison pour ne pas comme leurs parents, être des ouvriers à vie avec des salaires de misère, alors que certains de leurs amis de quartier roulent, qui en moto, qui en voiture, acquises grâce aux affaires et au business.

Donc, l'école, le lycée, ils les quittent qui forcés, qui usés, mais en tout les cas sans regrets, car ces jeunes là sont encore immatures et dans l'insouciance des lendemains.

Même le système éducatif a bonne conscience et s'en sort quitte. Il est certes décrié, mais il continue néanmoins à remplir l'objectif républicain qui lui est assigné, à savoir : «l'école obligatoire jusqu'à 16ans».

Les enfants passent à l'école le temps qu'il faut et les rues s'emplissent et se vident à leur rythme. Va et vient complexe : c'est toujours l'heure de l'école pour quelqu'un, non sans crainte au regard de tous les faits divers dont les enfants sont victimes.

Le cap du primaire passé, le gros de la masse des élèves accède au collège, grâce aux cessions de rattrapage dès la 6éme pour un grand nombre qui, en prime, quittent le primaire avec une scoliose, pour cause de cartable trop lourd et de chaise cassée ou mal ajustée.

Au collège, le changement réside principalement dans l'infrastructure et les données restent les mêmes : enseignants au rabais, effectifs surchargés, programmes inadaptés, manque de professeurs de français, quand ce n'est pas ceux des mathématiques et cantines et ramassage scolaire inexistants, comme le chauffage d'ailleurs.

Et à toutes les étapes, les élèves «apprennent, beaucoup plus qu'ils ne comprennent» !

Pour ceux qui rentrent au lycée, ils ne visent qu'un seul objectif : le baccalauréat et l'entrée à l'université. Le Bac acquis, les étudiants lauréats se retrouvent dans des campus «au service minimum» en matière d'amphis, de réfectoires, de chambres et de moyens de transport. Il faut faire avec, d'autant plus que beaucoup d'étudiants se contenteront d'un label «enseignement supérieur» peu significatif, au regard des lacunes qu'ils ont accumulé dans leur scolarité, dès le primaire, le collège et le lycée.

Dans ces conditions, à quelles connaissances, quels sujets de réflexions, les étudiants peuvent-ils accéder par eux-mêmes ? En l'absence de documents et d'ouvrages de référence ? Une infime minorité est familiarisée avec les livres et une majorité n'a jamais tenue entre ses mains un quelconque ouvrage ou simple roman. Pour les exposés, un seul salut pour les étudiants : le copié- collé ! Pour la majorité déjà, avoir simplement la moyenne demande des efforts titanesques. Ils ne sont pas découragés pour autant, car au bout du compte, ils sont gagnés par la certitude d'obtenir, quoiqu'il advienne, un diplôme à la valeur intellectuelle douteuse, mais socialement monnayable.

Ils aiment le pays qu'ils veulent, paradoxalement, quitter !

Au sortir de l'université, on se met encore une fois à poser la question à tous ces jeunes diplômés : «wech les jeunes, kifech, kech khedma ?» Et la réponse est cinglante : «l'Algérie ce n'est pas un pays pour les jeunes, c'est pour les pistonnés.

Les meilleurs d'entre- nous font la queue au filet social, à l'ANSEJ ou à la mairie pour acquérir une place au marché» !

Ça c'est les diplômés qui parlent, les autres, les 16-20 ans qui n'ont été intégrés ni dans le système éducatif, ni enrôlés par le marché de l'emploi, ils se partagent la rue et se disputent les parkings sauvages.

Et la société, la notre, se cherche encore pendant que «son armée inutile de jeunes», en errance, n'en finit pas de grossir!

Tous ces jeunes exclus du système scolaire, sans formation, sans perspectives, rêvent de départ en Europe : «là-bas, la vie est plus facile », disent-ils.

Les diplômés de l'enseignement supérieur font le même rêve «pour valoriser leur formation et leur diplôme», prétendent-ils. «Pour acquérir le savoir et revenir » surenchérissent les plus futés parmi eux !

On peut au regard de la demande des jeunes «emploi-logement-local commercial», déplorer sur le principe, leur mentalité d'assistés, mais sur un autre registre, on ne peut que blâmer tous ces politiques qui pensaient régler le problème de la jeunesse «en trois jours d'assises au Club des Pins» ou à coup de discours, dans le sens du poil.

Les jeunes et la politique

Pas dupes pour un sou, ils disent qu'ils ne s'intéressent pas à la politique. Détrompez-vous, c'est en fait le verbiage politique et la langue de bois qu'ils rejettent.

Les politiques d'ailleurs pour être crédibles auprès des jeunes, doivent parler « le langage» de ces derniers, tomber au moins la cravate et la veste et les rencontrer en plein air, loin de leurs bureaux calfeutrés, des téléphones qui sonnent et des collaborateurs, aussi zélés que coincés, qui perturbent l'échange. Les jeunes sont fatigués des promesses sans lendemain et de l'intérêt qu'on leur manifeste soudainement la veille des élections.

Quand ils veulent donner leur avis, les jeunes éprouvent quelque peine à faire parvenir leur message tant il est dilué dans des demandes les faisant passer pour des mineurs. Un comble pour ceux qui se sont construits à la force du poignet, qui voyagent dans les mers de Chine et qui ont réussi à monter des affaires commerciales à l'étranger, qu'ils ont rejoint comme «harraga».

Et l'Etat dans tout cela ?

Il a multiplié l'enseignement, construit des logements, des routes et des hôpitaux. C'est suffisant, ce n'est pas assez, le problème n'est pas là, car l'Etat aujourd'hui est peut être victime de son succès ou de son omnipotence.

Il est aujourd'hui confronté à la triple rébellion du social, de l'enseignement et des libertés :

l du social tout d'abord, qui est dans le même temps soumis aux exigences économiques de profit, de rentabilité et corrélativement, de grèves et de conflits sociaux

l de l'enseignement ensuite, incapable de se mettre à niveau dès lors qu'il ne s'est préoccupé que du quantitatif au détriment du qualitatif.

l des libertés, enfin, qui font partie des acquis et des réformes qu'il s'est engagé, en tant qu'Etat, à mener à terme, depuis notamment l'élection présidentielle du 12 décembre 2019.

Beaucoup reste à faire au plan non seulement social, mais aussi générationnel.

Sinon comment expliquer, que 50 ans après l'indépendance un Algérien sur cinq ne connait de la guerre de libération, que les récits familiaux, ou ce qu'il suit, cycliquement, à la télévision, comme reportages redondants, sur les maquis ou les hommes qui ont fait la révolution. Il faut avoir le courage d'admettre, aujourd'hui, que ce qui était charnel pour les moudjahidines n'est plus qu'un «ouï-dire» pour les jeunes, tant que l'histoire n'est ni écrite ni enseignée correctement.

Le fossé se creusera davantage entre les générations et se caractérisera par une perte de confiance des jeunes par rapport à leurs ainés, d'autant plus que les premiers nommés estiment, qu'ils n'ont pas eu la part de pétrole qu'il leur revient, ou les postes de commandement auxquels, légitimement, ils aspirent.

En attendant de corriger tout cela, contentons-nous déjà de les laisser respirer et vivre !