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L’Arabie saoudite en patron absolu du marché pétrolier

par Akram Belkaïd, Paris

Quelle mouche a piqué les dirigeants saoudiens ? Pourquoi, en des circonstances mondiales particulièrement difficiles en raison de la pandémie de Covid-19, ont-ils déclenché une guerre des prix du pétrole avec la Russie ? Faudra-t-il ajouter cette offensive de gains de parts de marché aux multiples initiatives du prince Mohamed Ben Salman (MBS) qui se sont mal terminées ou qui pâtissent d’un échec avéré, à l’image de la guerre déclenchée en 2015 au Yémen ? On le verra dans quelques semaines.

Le baril s’effondre

Dans le détail, Riyad a annoncé une augmentation de sa production pour avril à 12,3 millions de barils par jour. Pour ce même mois, les exportations du Royaume atteindront 10 millions de barils par jour (contre 7 millions auparavant). Un niveau déjà conséquent qui augmentera encore en avril à 10,6 millions de barils par jour. Il n’y a que l’Arabie saoudite pour être capable de monter ainsi en cadence en injectant 600.000 barils supplémentaires sur les marchés sans avoir à construire de nouvelles installations et surtout après être passée de 7 à 10 mbj en moins de quelques semaines. Dans cette affaire, certains membres de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) accompagnent Riyad dans son offensive. C’est le cas des Émirats arabes unis qui vont augmenter leurs pompages d’un million de barils par jour en avril.

Le résultat immédiat est connu. Le baril de Brent glisse de manière inéluctable vers le plancher symbolique des vingt dollars. Plusieurs producteurs, dont l’Algérie, prennent de plein fouet une réduction notable de leurs recettes pétrolières. En Amérique du Nord, l’industrie des pétroles non conventionnels (sables bitumineux, pétrole de schiste) est virtuellement en faillite. Avec de tels prix, les coûts de production sont largement supérieurs aux revenus.

La question qui se pose désormais est la suivante : les Etats-Unis vont-ils laisser faire ? Vont-ils accepter de voir leur industrie pétrolière renaissante prendre le bouillon ? Le secrétaire d’État, Mike Pompeo, a appelé l’Arabie saoudite « à rassurer les marchés énergétiques et financiers ». Plusieurs sénateurs du Congrès ont publié une lettre accusant l’Arabie saoudite, mais aussi la Russie, de mener « une guerre économique aux Etats-Unis ». Pour le moment, les Saoudiens n’entendent aucun appel en provenance des Etats-Unis. C’est assez nouveau pour être relevé. Les liens d’amitiés et d’affaires entre le prince MBS et Donald Trump offrent peut-être une marge de manœuvre aux Saoudiens mais il est fort possible que Washington siffle, à un moment où l’autre, la fin de partie.

Coup dur pour les renouvelables

En tout état de cause, avec un baril à 20 dollars, le développement de solutions alternatives prendra encore plus de retard. On le sait, pour être soutenues par les États, les énergies renouvelables ont « besoin » d’un baril cher. A un tel niveau, il est quasiment impossible de lancer des programmes d’investissements rentables dans le solaire ou l’éolien. Le moment est historique. L’Arabie saoudite proclame clairement être le vrai patron du marché pétrolier et entend dicter sa loi à des puissances telles que la Russie et les Etats-Unis. Le monde est entré dans une phase de bouleversements et d’incertitude.