Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

L'Algérie, Marx : la lutte des clans en attendant la lutte des classes

par Kebdi Rabah

Du 20 février au 2 mai 1882, Karl Marx s'offrait une cure en Algérie pour soigner une bronchite chronique contractée à Londres et dont il ne parvenait pas à se débarrasser. Un demi-siècle (déjà) de colonisation s'offrait à l'œil avisé du père spirituel de la révolution socialiste. Mais sa perspicacité, lui le savant le plus influent de son siècle, semblait émoussée dès qu'il s'est agi de s'ouvrir à la problématique d'un peuple sous domination coloniale, particulièrement lorsqu'il faut l'observer sous le prisme de ceux que Franz Fanon appellera ultérieurement les damnés de la terre. Voulait-il seulement le faire, lui le polymathe qui n'a pas consacré un seul mot à l'âme d'Alger(la Casbah), en partie détruite sous ses yeux, alors que ses écrits de voyage regorgeaient de descriptions élogieuses quant au reste de la ville.

Dédain ou crainte prémonitoire à l'égard d'un lieu dont l'histoire en fera, sept décennies plus tard, le bastion de la lutte anticoloniale ? Non ! Il ne pouvait pas ou ne le voulait pas, cela ne cadrait pas avec sa vision du monde, au demeurant très cohérente par ailleurs. Mais l'Algérie n'était ni la France, ni l'Angleterre, ni l'Allemagne, ne ressemblant en rien à ces contrées industrieuses en butte aux contradictions du capitalisme, avec présence active et conflictuelle d'un prolétariat et d'un patronat en quête de meilleurs salaires pour l'un et de meilleurs profits pour l'autre. Elle ne ressemblait en rien à ces cités miséreuses, grondantes et annonciatrices du souffle de la révolution. En Algérie le prolétariat n'existait pas,sa génitrice (la révolution industrielle) n'est pas passé par là, pas plus qu'elle n'a concerné l'empire ottoman, son ex autorité tutélaire. Aussi, la lutte des «classes», si on veut bien l'appeler ainsi,se résumait en une confrontation dramatiquement inégale entre conquérants vainqueurs et paysans vaincus, entre possédants et dépossédés, entre allochtones et autochtones, entre deux «peuples» que tout oppose. Deux communautés dans un rapport non pas d'exploitation capitaliste mais de domination hégémonique raciste et xénophobe où seule une minorité de dominants détenaient l'essentiel des moyens de production notamment les terres. Face à elle, une masse d'indigènes corvéables à merci et une minorité de «petits blancs» leur servant d'appoint tout en étant eux-mêmes des envahisseurs sans pour autant être des capitalistes. N'ayant ni la littéraire, ni la statistique, le cadre analytique Marxien avec les notions de valeur travail, de plus-value, de baisse tendancielle de taux de profit etc. soit l'essentiel des outils de son atelier de réflexion sur l'humanité, n'avait pas beaucoup de sens. Marx ne put donc mettre en œuvre ses capacités d'analyse pour intégrer un pays colonisé dans son schéma classique des « modes de production» et conforter sa dialectique telle qu'elle ressort de son œuvre «Le Capital» qui était en voie d'achèvement. En fait, le système existant localement à la veille de la colonisation était si spécifique que Marx le classait sous un artifice, un «appendice» dit «mode de production asiatique» (MPA).

Mode de production « déposé » là, plus comme curiosité historique inaccomplie que concept traité scientifiquement. Il était là pour jouer dans un premier temps le rôle d'antécédent à l'esclavagisme, en attente de voir ce que l'histoire en fera de lui ultérieurement. Ce que trouva le colon en Algérie n'était donc,pour Marx, qu'une société à la traine de l'histoire, stagnante, atone et dépourvue de ce ferment du mouvement qu'est la lutte des classes. C'est ce qui lui permit de confirmer les pensées développées auparavant à savoir que la présence coloniale était une bénédiction, car elle ouvre à ces sociétés arriérées la voie du capitalisme sans passer par les différentes phases d'évolution telles qu'elles sont décrites dans sa théorie du matérialisme historique : (Communauté primitive, esclavagisme, féodalisme, capitalisme, socialisme). Ces barbares qu'étaient les colonisés, devraient donc, selon lui, sous l'effet de l'action « civilisatrice » de l'ordre colonial, se prolétariser, atteindre rapidement un stade de développement, en « grillant » les étapes, jusqu'à à acquérir une conscience de classe et rejoindre la mouvance de l'internationalisme prolétarien. Mouvance que l'ethnocentrisme de Marx situait bien entendu essentiellement en Europe, accessoirement en Amérique. Le chemin menant à l'idéal socialiste se devait donc de passer inexorablement par l'étape prolétarienne en cours de sous-traitance chez les Français, entre les mains desquels se trouve le levain de cette transformation. Quant à la manière dont les colons s'y prennent à l'égard des « sauvages », peu importe !Exit les crimes, les expropriations, les déportations et toutes les souffrances commises sur le colonisé. Même s'il les déplore à titre humanitaire, Ils sont néanmoins un mal nécessaire, un dommage collatéral insignifiant au regard de l'idéal libérateur du socialisme universel qui les attend. On est presqu'en présence d'une pensée assimilable à celle de ces bigots pour qui les souffrances d'ici-bas ne sont que la contrepartie de la félicité dans l'au-delà.

En résumé, depuis longtemps déjà, ne saisissant pas la dialectique spécifique des ressorts internes, notamment culturels, qui font se mouvoir les sociétés « indigènes », Marx et Engels ont cantonné tous les pays colonisés d'Afrique et d'Asie dans ce concept de MPA « mode de production asiatique ». Dans ce« ghetto », contigu de la communauté primitive,précédant l'esclavagisme, sans propriété privée de la terre ni division de la société en classes. Pris dans une vision ethnocentrique, ils considèrent que seul le prolétariat occidental est à même de mener le combat contre le capital. Ailleurs ce ne sont que des barbares qu'il faudrait d'abord civiliser et la conquête de l'Algérie est précisément une victoire de la civilisation sur l'arriération.Telle était la pensée de Marx, à quelques nuances près, d'un pays dans lequel il pensait trouver remède à sa maladie pulmonaire. Signalons au passage ce paradoxe ou pied de nez de l'histoire qui donne à voir un pays arriéré, supposé malade de son histoire, mais offrant néanmoins des vertus thérapeutiques au point qu'on vient de loin pour s'y faire soigner. Moins d'un an après son séjour en Algérie, Marx meurt à Londres en 1883 laissant le MPA dans la pénombre avec plus de questions que de réponses.Il décède sans avoir terminé « Le Capital » dont deux tomes sur trois seront achevés et publiés par son compagnon Engels,lequel, demeurera sur la même ligne de pensée que celle qui le faisait se réjouir, depuis longtemps déjà,de ce que la résistance de l'Emir Abd El Kader ait été vaincue et sa capitulation effective le 21 Décembre 1847.Pour autant, il ne faut pas voir en ceci un parti pris pour le fait colonial lui-même, en tant que tel, mais comme sentence positivant une « Histoire » inéluctable et contrainte de « transiter » par là.

Ce que Marx et Engels pensaient qu'il allait advenir des colonies ne se réalisera jamais pour la simple raison que son soubassement matériel, à savoir la révolution industrielle et le prolétariat qui la sous-tend ne verront jamais le jour en Algérie. La colonisation n'est pas une exportation du « positivisme » de la révolution bourgeoise mais une entreprise de prédation mue par un tout autre projet, opposé pour le moins à la transmission de la civilisation et ce n'est pas de forbans tels que Charles X, Talleyrand, Polignac et leurs successeurs qu'elle viendra. Détentrice de l'essentiel des terres après expropriation de leurs légitimes propriétaires, soutenue par la puissance des armes,elle a toujours opté pour le statuquo, exploitant les autochtones selon un modèle comparable au type latifundiaire, en fermant les portes à toute possibilité d'organisation autour d'un projet évolutif d'amélioration de leur position dans l'échelle sociale voire humaine. En effet, ce n'est pas d'une économie extravertie, orientée vers la métropole, fondée sur l'exportation de matières premières et produits agricoles en contrepartie de l'importation de produits manufacturés, que naitra une industrie prolétarienne avec sa sève émancipatrice.

Finalement, la nature ayant horreur du vide, ce qui semblait être pour certains une fatalité s'avèrera un prélude à une évolution prenant appui sur un vecteur autre que la lutte des classes. En effet, ne pouvant souffrir une régression mortifère ni s'en remettre au souffle libérateur de la dialectique de la lutte des classes au sens marxien du terme, les vaincus usèrent d'un autre « carburant » et d'une autre rampe de lancement pour se propulser : à l'internationalisme prolétarien, ils substituèrent le nationalisme patriotique, avec lequel ils finiront par créer les conditions de renversement de l'ordre établi. C'est désormais dans l'idéal « nationalisme » et non socialisme que se cristallisera l'esprit de changement, lequel n'a nul besoin de la division de la société en classes pour puiser les ingrédients nécessaires au sursaut révolutionnaire. Le projet colonial, lui, s'est finalement avéré être non plus une avancée, sous-traitée, comme le pensait Marx, mais une greffe d'une cohorte d'envahisseurs étrangers sur le corps d'une Algérie meurtrie, incompatible et voué à l'échec. Fondé dès le départ sur la violence criminelle, se heurtant au sentiment profond et viscéral de rejet, mutuel en l'occurrence, il ne pouvait bourgeonner et donner lieu à une civilisation, prenant au contraire plus le cheminement vers l'apartheid que dans la direction d'un destin communautaire. Malgré ceci et sans le vouloir, Marx, indirectement,aura quand même affirmé une vérité à propos du rôle positif du colonialisme, car c'est à cause ou grâce à lui qu'il y eut une migration en masse d'Algériens, lesquels, au contact du prolétariat Français, acquerront les outils et le savoir-faire nécessaires à la conduite de leur propre combat libérateur.

Rappelons que l'essentiel des fondateurs de l'Etoile Nord-Africaine (première institution à revendiquer l'indépendance, pas seulement de l'Algérie mais de toute l'Afrique du nord) étaient des militants encartés auprès du parti communiste Français de la troisième Internationale (KOMINTERN). Mais il ne s'agissait pas d'une adhésion idéologique mais circonstancielle, tactique, à laquelle ils mirent rapidement un terme dès la fin des années vingt.Du reste, la gauche française, pieds et poings liés au bolchevisme stalinien, adopta une position pas toujours avenante, c'est le moins qu'on puisse dire, à l'égard du nationalisme algérien, du fait qu'il n'est pas une lutte contre le capitalisme. Faut-il rappeler que c'est le Front populaire de Léon Blum qui décréta la mort de l'Etoile Nord-Africaine en Janvier 1937 et que c'est par la bouche de l'ex pâtissier Jacques Duclos, porte-parole du parti communiste Français, que celui-ci justifia le bien fondé du décret donnant le 12 Mars 1956 les pouvoirs spéciaux à l'armée Française.On connait la suite en termes d'exactions et de torture notamment.Une minorité de militants communistes refusèrent cependant de suivre le parti et s'engagèrent à titre individuel pour la cause indépendantiste. Certains, tels Maurice Audin, Fernand Iveton, Henry Maillot, pour ne citer que les plus célèbres, y trouvèrent la mort en martyrs.

Lorsque l'engagement pour l'indépendance prendra sa forme armée avec le FLN, il ne sera nullement déterminé par la lutte des classes, même si la différence de statut et de niveau de vie entre les colonisateurs et les colonisés était exorbitante. Le clivage ne se fera qu'au regard de la position de chacun envers l'ordre colonial et l'indépendance, abstraction faite de toutes autres considérations y compris celles relatives à l'appartenance religieuse ou au statut socio-économique du militant. Chômeurs, Ouvriers, paysans, artisans, industriels, commerçants, professions libérales, étudiants etc : Tous dans le même orchestre pour la même symphonie. L'appel de Novembre s'adressa, sans distinction aucune, à tous ceux qui voudraient en découdre avec l'ordre colonial, y compris ceux qu'on appellera plus tard les pieds noirs. Quant à la plateforme du congrès de la Soummam, on n'y trouve nulle trace, même allusive, à une société de classes ou suggérant une quelconque dictature du prolétariat et si on devait déduire d'elle un seul cri de ralliement, ce serait : « nationalistes de toutes conditions unissez-vous ».

A l'indépendance, l'Algérie s'engagea dans un processus de développement, avec une population à dominante rurale, paysanne, loin des clameurs et piquets de grèves des communautés revendicatrices et prolétarienne. Se suffisant de vivre une paix et une liberté chèrement acquise, elle chemina sans véritable projet de société avec le même Front hétéroclite, indécis sur le plan idéologique si non « l'importation » de quelques fragments de « gauche » tirés d'expériences comme celle de Cuba ou de l'ex Yougoslavie. Un départ bridé en plus par une ambiguïté, aussi sibylline que le « je vous ai compris » du général De Gaule, et à ce jour non levée : Il s'agit en l'occurrence de « La restauration de l'État algérien souverain, démocratique et social dans le cadre des principes islamiques...» énoncée dans la déclaration du premier Novembre.

Lourde de conséquence elle permit à chacun de cheminer dans le sens qu'il veut bien lui donner, vers la laïcité ou la théocratie, c'est selon, jusqu'à finir par en fanter une Algérie bicéphale où aucune des parties ne se reconnait dans le projet de l'autre. Serait-ce là un autre substitut à la lutte des classes ? L'avenir nous le dira. En 1962 donc, ceux qui ont tenté de donner un prolongement démocratique au souffle de novembre, en référence notamment au primat du politique sur le militaire de la plateforme de la Soummam, furent vite écartés par un clan opportuniste, dominant car mieux pourvu en armement. Pour l'histoire il porte le nom de « clan d'Oujda ».A l'issue d'une sanglante confrontation fratricide, il s'accapara seul du gouvernail et du pays tel un « butin de guerre ». A défaut de projet de société et de vision à long terme,il joua la carte du populisme en s'adossant au pragmatisme : arme des indécis et des « courtes vues », qui a pour caractéristique de donner l'impression de répondre aux problèmes du moment alors qu'ils ne sont que renvoyés à plus tard.

S'en suit alors un parcours atypique, loin de se situer dans le prolongement de l'idéal Novembriste : D'une autogestion débridée on mue vers un capitalisme monopoliste sous l'habillage d'un socialisme spécifique pour finalement terminer dans le chaos d'une économie de bazar. A chaque stade, des contradictions criardes, fruit de l'autoritarisme, de mauvais choix, de bidouillagede concepts,de démagogie, de coups d'Etat, de compromis douteux, conduisent à l'impasse. Il y eut l'autogestion administrée, le socialisme spécifique avec la propriété privée des moyens de production non exploiteuse, la tautologie des «démocratie responsable» et «République démocratique», la gestion socialiste des entreprises amputée du droit de grève des travailleurs qui deviennent des sans conscience prolétarienne, des propriétaires sans titre de propriété et des responsables sans autorité.

En un peu plus d'un demi-siècle d'indépendance, jamais les forces productives, composantes du mode de production au sens Marxien du terme, n'eurent l'occasion historique d'émerger et de jouer le rôle qui leur est traditionnellement dévolu pour mener à bien les grandes batailles et faire faire au pays ce saut qualitatif, finalité de toute dynamique de progrès et grâce auquel toute société en quête de devenir se met en phase d'avec ses aspirations. Ni libre jeu des lois du marché, ni économie planifiée, ni socialisme ni capitalisme, ni révolution agraire ni privatisation des terres.Rien, de ce qui puisse laisser une empreinte significative dans le processus du développement de l'Algérie indépendante sur lequel s'appuyer pour aller à une étape qualitativement supérieure. Le sort du pays fut lié à celui d'une caste qui a pris l'habitude de se jouer de l'Etat de droit comme elle se joue de la constitution, avec en toile de fond le morne spectacle du changement dans l'immobilité et la platitude de la continuité. Malgré toutes les brides, y comprispar l'usage consacré de la violence, le « volcan » Algérie connaitra néanmoins trois éruptions significatives : La première,avril 1980, fut celle du mouvement berbériste au nom de l'identité et de la culture ; la deuxième en octobre 1988, suscitée par un clan du pouvoir pour entamer le virage du libéralisme ; la troisième celle de la sédition armée de la secte islamiste pour substituer à la dictature existante celle de leur Califat. Aucun de ces mouvements ne porte en lui l'estampille « lutte de classes » et n'a changé fondamentalement le système ; ce qui permet de penser que l'Algérie ne connaitra pas dans un avenir proche de révolution mais seulement des révoltes.

L'Etat/Pouvoir, principal employeur, a tout fait pour empêcher l'émergence d'une conscience de classe. Du reste, n'étant pas à l'origine du mouvement, la lutte des classes ne pouvait être à la conclusion. Quant à son substitut, le « nationalisme », sa trajectoire prit fin dès sa mission historique accomplie avec l'dépendance. Seul son fantôme, à travers le sigle FLN, demeurera dans les mémoires pour servir de ferment à une légitimité historique que ni l'école, ni l'usine ne vinrent relancer en tant que dialectique du mouvement.Le pays, couvé, ne pouvant enfanter de dynamique de progrès, se réfugia dans le chauvinisme, l'islamisme, le clanisme, la rente et l'esprit parasite qui va avec. La concentration du pouvoir, par la violence et la démocratie de façade, entre les mains d'une minorité d'inamovibles, n'est pas de nature à la susciter.

Propriétaire de l'essentiel des moyens de production notamment les hydrocarbures (la mamelle du pays), le pouvoir ne peut souffrir l'existence d'un contre-pouvoir ouvrier ni d'un partenaire autonome comme il est d'usage dans les sociétés démocratiques ou construisant la démocratie. La caporalisation de l'UGTA,le traitement réservé aux syndicats autonomes, la main mise sur toutes les organisations de masse, la lutte féroce contre l'émergence d'une classe politique, illustrent parfaitement cette volonté de ne laisser aucun espace à une base sociale susceptible d'initiative politique de remise en cause des fondamentaux de l'establishment.

Le verrouillage du champ politique, l'outil économique (y compris celui du privé) au service du pouvoir politique, la revendication circonscrite par la rente, la corruption, la violence sont érigés en mode d'emploi systémique. En tant que tel, il ne peut durer qu'en s'opposant à toute démarche conduisant vers l'excellence et en s'appuyant sur une gestion autoritaire et clientéliste du seul atout qu'il a entre les mains, à savoir la distribution de la rente. Si Marx pouvait ressusciter, il constaterait que le mode de production asiatique et l'ordre colonial, son ersatz, au moins pour le cas de l'Algérie, ont enfanté une singularité : un mode dans lequel les forces productives et les rapports de production s'opposent dans un paradigme autre que celui de la classique lutte des classes. En effet, celle-cine s'exerce pas autour de l'outil de production, entre les détenteurs de capital et ceux qui vendent leur force de travail, pas plus qu'elle ne concerne la répartition de la plus-value. Non ! Elle se rapporte à l'accaparement de la rente dans une mêlée prédatrice entre membres de l'« assabiya » au sens Khaldounien du terme. C'est précisément là le terreau idéal aux coteries avec l'émergence et la consolidation d'une conscience de clan au détriment d'une conscience de classe. Or le propre de la lutte de clans est d'être démunie de dialectique de progrès. Elle se joue en vase clos sans alternance, sans ouverture sur un saut qualitatif car les clans finissent toujours par s'entendre pour pérenniser le statuquo, contrairement à la conscience de classe qui, elle, vise à changer de paradigme.

Nous concernant, cette conscience de classe reste à inventer. Peut-être le sera-t-elle, dans un futur plus ou moins lointain, avec l'extinction de la rente, l'émergence d'un secteur productif avec ses conditions socioéconomiques et contradictions y afférentes, pour peu que le schéma Marxien ait encore quelque sens. Pour l'heure, avec la corruption démocratisée, un secteur privé prédateur, adossé lui-même à la rente : place à l'inertie mafieuse au détriment de la dynamique de progrès et ce ne sont pas les échauffourées et les semblants de luttes intestines à l'approche de chaque échéance électorale qui en changeront la configuration.