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Dans le feu de la guerre

par Kamal Guerroua

«Comment peut-on arrêter tout ça ? me demande-t-il, inquiet. Avec l'accord de mon père, je suis prêt à m'engager et à parler en personne avec les Français. Car si l'offensive continue, vous allez mettre des terroristes au pouvoir». Ces paroles sont de Saadi, le fils d'El-Gueddafi, qui supplie en 2011, dans un hôtel de Tripoli, Philippe Bohn, l'un des hommes de l'ombre de l'Elysée pour que la France aide les milices de son père, forcées au retrait progressif par l'effet conjugué de l'avancée des rebelles et des frappes de la coalition internationale menée par la France elle-même. Aucune réponse depuis de la part de l'Elysée, précise l'auteur de ces lignes dans son dernier livre : «Profession : agent d'influence» , publié en févier dernier aux Editions Plon, et la suite de l'histoire tout le monde la connaît : lynchage en direct du guide libyen par une foule en furie, guerre civile, montée fulgurante de l'islamisme, division tribale avec son enfilade de malheurs, et surtout une instabilité chronique à même d'affecter, aujourd'hui, tous les pays limitrophes à savoir : la Tunisie, l'Algérie, l'Egypte, le Mali, le Niger, le Burkina Faso, le Tchad, le Soudan. En plus, il semble qu'outre la peur de révélation à la presse occidentale des détails du financement illégal «présumé» par le dictateur déchu de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2007, les causes de la colère de ce dernier sont liées au fait que les autorités libyennes n'ont pas honoré leurs promesses concernant une importante commande d'armement contractée en décembre 2007 lors de la visite en grandes pompes d'El-Gueddafi à Paris. Voulant alors signer la mort politique du «guide de la Jamahiriya» après l'avoir réhabilité et porté aux nues, Sarkozy s'est vengé de toute la Libye lors de la célèbre opération militaire «Harmattan», engageant avec lui ses alliés occidentaux et toute une troupe médiatique propagandiste à la tête de laquelle se trouve un certain philosophe belliciste nommé Bernard-Henry Lévy. Aussi banale soit-elle, cette anecdote rapportée par ce responsable français prouve, à elle seule, comment certains officiels occidentaux prennent à la légère le destin des nations arabes et africaines pour des intérêts matériels et géostratégiques immédiats. Retour maintenant sur le même Sarkozy qui aurait envoyé plus de 7 tonnes d'arsenal sophistiqué de bombes lacrymogènes au dictateur déchu Ben Ali, bloquées dès le début de janvier 2011 à l'aéroport de Roissy à Paris. Sans doute, son objectif n'était pas de sauver le peuple tunisien des affres de l'autoritarisme, mais de mater dans le sang sa révolution du Jasmin, avant de se rendre compte que «son protégé» au palais de Carthage avait pris la fuite à bord d'un avion présidentiel en direction de l'Arabie Saoudite où il est réfugié jusqu'à nos jours. Décidément, ce fut la règle de «deux poids, deux mesures» qui était appliquée dans ces deux conflits régionaux ayant eu lieu la même année. Le malheur dans tout ça, c'est qu'après la chute d'El-Gueddafi, les puissances occidentales, à leur tête la France, ont carrément délaissé ce pays en proie aujourd'hui à de vives tensions, rongé par les milices et sans aucun pouvoir central. Un danger réel pour la stabilité de tout le Maghreb et le Sahel...