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Sellal et sérail

par Kamel Daoud

Question inattendue ou même superflue du point de vue de l'actualité: Sellal survivra-t-il aux terribles concurrences internes qui se déchaînent depuis l'affaiblissement chronique de Bouteflika ? Au vu de la scène, agitée par le déballage des ex-généraux, le lent enterrement de Aït Ahmed ou le faux débat (très rusé) sur l'article 51 et la boiteuse constitution à venir, cette question est futile. Et pourtant non. Ceux qui connaissent un peu mieux la machine algérienne savent que le régime est un champ de contradictions, de concurrences et de luttes masquées par la solidarité du maquis face à la plèbe. On y retrouve ce qu'on aurait dû retrouver hors de lui : des opposants, des majorités, des leaders, des délégués et des émeutiers mêmes. « Le pire danger pour le régime vient toujours de l'intérieur du régime » a confié, avec lassitude, un décideur (caste née du souvenir du colon) au chroniqueur en aparté.

Aujourd'hui, pendant que l'on nous parle du passé et du « qui a tué qui ? », le régime est agité par les siens. En haut de la liste Ahmed Ouyahia (et deux ou trois ministres agitateurs), homme sans os et sans racines. Son dernier titre de gloire courtisane a été de présenter au « peuple » la nouvelle Constitution. Mauvais choix du point de vue de la ruse : l'homme a l'indice de crédibilité le plus bas au pays et a usé d'arguments surréalistes et tellement bêtes que cela a été pris pour de l'insulte volontaire à la raison. Le nouveau texte est boiteux et porte désormais l'image de cet homme et de ses explications mode « café ». Il laissera le goût d'une ruse reconduite, pas celui d'une proposition. Au milieu de l'orage feutré donc, l'actuel Premier ministre face à des adversités si fortes que l'on peut en faire un roman politique. La chronique de ces concurrences internes est si intéressante qu'elle peut expliquer à la fois la nature du régime d'Alger, le règne de Bouteflika et la fin de l'Etat dans le brouhaha de la décadence alimentaire. Les coups dans le dos, les putschs administratifs, les jeux de rumeurs acides et de fourberies sont la règle et cela ressemble plus à une mairie sous le coup d'un retrait de confiance, qu'à un régime fort avec une tête et des jambes.

Tout un art du Makhzen qui fait alliance pour faire tomber cet homme, considéré aujourd'hui comme un dernier obstacle aux ultimes accaparations par une équipe, concurrente d'autres, dans le cercle du régime assis. Sellal est-il la vertu de ce régime ? Non ou peut-être, aux yeux de certains observateurs. Mais dans le jeu de survie et de dominos, il reste le choix le moins dangereux et son employeur le sait, par intuition. Sa fin signera, discrètement, le coup d'Etat parfait, en mode interne et la victoire d'une prédation encore plus féroce, affichée. Car ceux qui veulent le remplacer ne cachent même plus le recours à « la sale besogne » et ont fait éclater au grand jour leurs ambitions. Le bonhomme est pris entre ceux qui jettent les pierres, dehors, et ceux qui les fabriquent et les ramassent, à l'intérieur du régime. A suivre donc. C'est plus concret que le jeu de scène dérivatif que l'on nous impose : l'enjeu est celui d'une meilleure intelligence de ce qui se passe, pour comprendre ce qui suivra.