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La tragédie de Ghardaïa éclaire surtout le déni d'Alger

par Kamel Daoud

Ghardaïa bien sûr. La tragédie a provoqué le choc, la peur de voir ce pays s'abîmer, se faire coloniser, se détruire et se suicider, dans le chaos. Une sourde angoisse a assombri les cœurs pendant des jours car nous avons découvert la possibilité du malheur et la faiblesse de nos moyens. Pour crier au secours, les gens se sont tournés vers ce qui semble être encore debout et légitime : l'armée. Tout le reste, entre walis, ministres, présidence ou police et gendarmerie, ont perdu la confiance des Algériens en détresse et semble incarner un échec, une démission et pas une solution. La tragédie reste, donc, inexplicable pour nous, mais elle éclaire crûment le régime et ses limites et ses impuissances. Elle a éclairé les rapacités des récupérateurs, médias ou prêcheurs. Et elle a rappelé au réveil de sinistres explicateurs. Au lendemain des enterrements, Ouyhaia débarque, donc, avec cette agaçante explication de « la main étrangère » qui semble être la pire insulte à la raison. Encore une fois, on se lave les mains par la main (étrangère) : au lieu d'assumer, d'essayer de comprendre ou de compatir, l'homme de la pré-campagne présidentielle, s'avance sur le terrain de la manipulation par la peur, incarnant cette vision malheureuse d'une aile du régime qui croit bâtir sa gloire sur nos peurs. La main étrangère existe, bien sûr, mais ce qu'il fallait assumer ce sont nos erreurs, nos impuissances et aller porter des condoléances debout, pas des théories assises. Expliquer que cela arrive parce que l'Etat est faible devant des gardiens de parking sauvages. Que la médiation politique a été encanaillée par les fraudes «scientifiques», que les élites ne pèsent pas à cause de la FLNisation populiste. Ce qu'il fallait s'avouer, c'est l'évidence, assumer le diagnostic et s'expliquer pourquoi les Algériens ne croient plus, en aucune institution, soupçonnent le pouvoir de n'avoir aucun pouvoir et pourquoi ont est terrifié par cette incurie.

La tragédie de Ghardaïa a été récupérée par les islamistes nourris à la mamelle saoudienne, par les discours de prédations internationales, par les autonomistes farfelues et les tribuns des clans. Voilà qu'elle semble aussi servir à des pré-campagne pour les prochaines prises de pouvoir.

Et pourtant l'évidence est là : on n'a pas compris ce qui se passe vraiment dans cette ville blessée, mais on comprend mieux ce qui se passe à Alger assise. Les discours genre Ouyahia nous renseigne que cela n'avance pas, que cela ne change pas. On en est encore dans la théorie du complot, de la stratégie du « je me lave les mains ! », dans le déni de ses propres responsabilités et dans l'usage politique de la douleur et des angoisses des Algériens. La preuve de ce déni est que malgré ses morts, Ghardaïa n'a pas eu l'hommage respectueux d'une journée de deuil national. Cela aura été un beau geste d'union nationale pourtant.