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Des décennies de statuquo

par K. Selim

Faut-il enterrer la «réconciliation nationale» ? Chez certains analystes qui font dans une lecture décennale biaisée, c'est un produit des années 2000 de Bouteflika au bilan «globalement négatif», car il aurait «dévié» du cap des années 90.

Peu leur importe que du point de vue de la chronologie historique, la «réconciliation» des années 2000 n'a fait que donner un contenu «politico-juridique» à des arrangements conclus en 1997 avec Madani Mezrag, «militaire» qui a «dépassé» les politiques du FIS.

Peu leur importe, non plus, de voir qu'il ne s'agit que d'un élargissement des dispositions de la Rahma de 1995. La tendance à manier des couleurs à plaquer sur les décennies fausse la lecture et ne permet pas de comprendre vers quel dépassement de la «réconciliation» doit-on aller.

La conjoncture marquée par l'assassinat d'Hervé Gourdel en Kabylie et une situation d'absence manifeste au sommet de l'Etat donnent lieu à une répétition de clichés sur les décennies.

En réalité, du point de vue du régime, la réconciliation, comme la Rahma, fait partie du traitement sécuritaire de la crise qui dispense d'aborder la question politique. Et avec des milliers d'hommes qui ont abandonné les armes pour rentrer dans la vie civile sans contrepartie politique, le bilan pour le régime est très largement positif.

Il n'y a aucune comparaison possible entre la situation sécuritaire d'aujourd'hui et celle des années 90. Et ceux qui pourfendent la «réconciliation» de Bouteflika ne semblent pas se rendre compte que la population en général n'oublie rien des années 90 et ne les porte pas au pinacle comme les idéologues.

Le processus de réconciliation mis en œuvre étant fondamentalement sécuritaire, il ne pouvait -et ne devait- du point de vue du système que déboucher sur le maintien du statuquo. Sur ce registre, l'action des hommes du régime, que ce soit dans les années 90 ou 2000, est marquée du sceau de la continuité.

La réconciliation a été une solution du régime, pour le régime, et la société a profité, de manière relative, de l'amélioration de la situation sécuritaire combinée à un retour d'aisance financière à partir du milieu des années 2000.

Ceux qui pourfendent la réconciliation de «Bouteflika» prônent de facto un retour à un discours éradicateur très idéologique -que les tenants du régime plus «pragmatiques» n'ont jamais réellement assumé- devant se traduire par l'évacuation des islamistes du champ politique. Voire, la peur des classes dangereuses étant toujours présente, par la mise en place d'une forme de «despotisme éclairé». Cette vieille lune qui ne cesse de revenir comme argument au renouvellement des vieilles pratiques et du statuquo.

Même si la conjoncture est devenue médiatiquement anxiogène après l'assassinat du ressortissant français ou la mort de soldats à Telagh, la «réconciliation», qui est celle du système et pas de Bouteflika, n'est pas attaquable par le biais de l'argument sécuritaire.

Dans ce domaine, son «rendement» est très bon. Mais, c'est un rendement précaire qui ne crée pas une stabilité durable. Le défaut de la réconciliation est dans son objectif : maintenir le statuquo politique.

Les réconciliations abouties sont celles qui se sont accompagnées, comme en Afrique du Sud, d'un vrai changement politique, d'un changement de régime. Cela n'a pas été le cas en Algérie et c'est bien ce qui rend les choses fragiles.

Les thèmes de l'amnistie ou la tentative de relancer le discours idéologique de l'éradication fonctionnent comme des diversions. Le vrai enjeu est posé depuis 1988 : changer de régime pour aller vers une vie politique dynamique, sérieuse, vertueuse et créatrice d'adhésion.