Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Un jeu de cache-cache sans les Algériens

par K. Selim

Le président de la République a, une fois de plus, pris «tous les pouvoirs». Non, ré-torque l'autre, le DRS a plus d'un tour dans son sac et n'a pas dit son dernier mot. Les journalistes algériens, à leur corps défendant ou parce que cela leur plaît, ont tendance à rejouer les vieilles parties. A spéculer sur les intentions d'acteurs présumés sur la base de «sources» informées qui, bien entendu, veillent à rester dans l'anonymat. L'opacité du système algérien étant une donnée durable, les mêmes «jeux» se répètent à chaque échéance.

Qu'il y ait des « clans» ou des «centres de pouvoir», cela paraît inhérent à tous les systèmes politiques. La différence est que dans les systèmes normalisés - pour ne pas dire démocratiques - les lieux du pouvoir sont identifiés et les acteurs aussi. En Algérie, ces forces ne sont pas clairement identifiées et encore moins leur poids respectif. Et alors qu'on est très faiblement informés sur eux - pour ne pas dire pas du tout -, le «jeu» qui se déroule dans les journaux consiste à les présenter en opposition ou à couteaux tirés. Le dernier remaniement ministériel où le président a placé «ses hommes» a relancé les lectures censées être subtiles. Quoi de plus haletant qu'un président présumé «out» qui revient dans sa plus «belle forme» remettre au pas ses présumés «puissants adversaires».

On peut lire de tout dans nos journaux sur ce sujet et on reste constamment sur la même conclusion : cela peut être vrai mais cela peut être faux. Rien de certain. Par contre, par «expérience», puisque cette éternelle partie se répète constamment, on sait que ces récits, péripéties et analyses servent à éviter de voir le «gros nez» sur le visage. On est tellement pris par ces histoires mi-vraies, jamais avérées, qu'on ne se rend pas compte qu'elles contribuent à organiser des diversions, tellement monumentales, qu'on se met à se pincer après coup pour ne pas l'avoir vue. Les journaux - ou du moins les plus importants - se sont laissés aller, en 2004, à l'idée qu'une «force» au pouvoir avait décidé de créer «l'alternance». En oubliant la réalité du système.

Feu Abdelhamid Mehri qui n'ignorait rien des arcanes du système, ni du rôle des services de sécurité, insistait toujours, pour ne pas participer aux diversions, à ne parler que du régime dans son ensemble. Et quand il s'adressait au chef de l'Etat, il s'adressait à l'ensemble du régime. Entrer dans les subtilités présumées du régime, c'est admettre que la politique se «réduit» à ça, c'est accepter que la société soit «hors du coup». Et c'est bien le but des diversions qui se répètent. Aujourd'hui, le «gros nez» du régime qu'on essaie de nous cacher est que l'on est déjà dans un processus électoral géré de bout en bout par le régime. Un processus tellement fermé que personne parmi les candidats potentiels - ou lièvres potentiels - n'ose se mettre en avant.

A force de se demander si Bouteflika va vers son quatrième mandat et si le général Toufik est d'accord ou non - quel frisson à citer ce dernier comme si cela était un signe d'émancipation ! -, on oublie de constater que le pays reste politiquement verrouillé. Que les médias audiovisuels - y compris les chaînes algériennes «étrangères» - sont sous contrôle. Que les débats essentiels sur l'avenir du pays, son économie et ses relations avec le monde sont évacués. Alors que l'on doit s'interroger sur le risque que fait peser la perpétuation d'une gouvernance sans la société, on est ramené à l'éternel jeu de «cache-cache» à l'intérieur du régime. Et si l'on se mettait à parler des questions qui troublent, comme les Constitutions qui ne se respectent pas, l'économie qui ne décolle pas, la corruption qui s'est installée, les lois qui ne s'appliquent pas. Et des Algériens, de plus en plus nombreux, que l'on pousse encore à partir. C'est vrai, c'est la «routine», c'est moins passionnant que de parler à une «gorge profonde» qui raconte des histoires que l'on sait orientées. Mais n'est-ce pas plus sérieux à sept mois d'une élection, qui se décide sans les Algériens, de mettre le doigt sur le très visible gros nez qu'on veut nous empêcher de voir ?