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RETOUR EN ARRIERE

par M. Saadoune

L'Egypte ne reviendra pas en arrière, disent les partisans du coup d'Etat en Egypte pour signifier que les manifestations organisées par les Frères musulmans pour rétablir le président Morsi dans ses fonctions ont un goût de combat d'arrière-garde. Ils ont probablement raison. Si l'armée acceptait de revenir sur sa décision, ce sera, pour elle, une défaite politique majeure. Les Frères musulmans ne doivent pas l'ignorer et on peut présumer que le mouvement de contestation qu'ils mènent évitera d'aller vers le recours aux armes.

Mais il y a une part d'incertitude lourde. Et si le gros de l'appareil choisira, en définitive, de rester sur le terrain politique en attendant de prendre une revanche dans l'avenir, il n'est pas exclu que des éléments islamistes n'acceptent pas de jouer le rôle de la «victime qui doit rester sage». Mais si l'armée n'acceptera pas de revenir en arrière, il est patent que l'Egypte est déjà revenue plus en arrière. Le coup d'Etat mené par l'armée égyptienne n'a pas été une décision impromptue, dictée par l'urgence. On commence à resituer les choses et relever les éléments d'une vraie préparation préalable. Le plus important dans ces préparatifs a touché à la vie courante. Des pannes d'essence et d'électricité ont été organisées durant des mois et elles ont très largement contribué à l'exaspération d'une bonne partie des Egyptiens contre le pouvoir de Morsi. Beaucoup ont constaté que ces problèmes qui paraissaient insolubles ont subitement disparu après sa destitution.

Certains observent, froidement, qu'il est plus «rassurant» de savoir que le coup a été préparé plutôt qu'improvisé. «Ce serait encore plus grave pour une armée de se trouver contrainte d'improviser un coup d'Etat», observe un confrère. Mais le retour en arrière n'est pas seulement dans cette intrusion de l'armée, elle ne s'était pas retirée du jeu malgré la chute de Hosni Moubarak. Elle était dans un arrangement de fait avec le président Mohamed Morsi. Le retour en arrière est qu'en parallèle le personnel politique, affairiste et médiatique du régime Moubarak est très fortement présent dans la coalition hétéroclite qui a servi de caution à la destitution de Mohamed Morsi. Il est de bon ton chez certains acteurs politiques égyptiens de défendre la «logique révolutionnaire» contre la légalité constitutionnelle. C'est le cas d'une partie de la gauche égyptienne à l'image de Hamdine Sabbahi, arrivé troisième dans la course aux présidentielles gagnées par Morsi.

On ne sait pas si les Frères musulmans seront réintégrés dans le jeu mais on peut observer, déjà, que les militaires sont très soucieux que les salafistes du parti Nour soient impliqués. Et on peut supposer - c'est d'ailleurs leur discours - qu'ils veulent que les Frères musulmans entrent dans le jeu et acceptent l'éviction de leur président. La gauche qui agite les slogans révolutionnaires pèsera-t-elle, par exemple, sur les politiques économiques plus que les libéraux et les affairistes du régime Moubarak qui ont ouvertement relevé la tête ? On connaît la réponse. La «logique révolutionnaire» se mord la queue. Réagissant à la tentation du «Front populaire» en Tunisie de mimer ce qui se passe en Egypte, le militant Sadri Khiari constate que le «large front» souhaité pour renverser Ennahda et dissoudre l'Assemblée nationale constitutionnelle suppose un rapport de forces qui doit inclure «Nida Tounes» et «une frange non négligeable des réseaux RCD-istes», du ministère de l'Intérieur, de l'armée et un blanc-seing de certaines «parties » étrangères.

Que pèsent les «révolutionnaires» dans un tel attelage qui mène plus à une restauration de l'ordre ancien qu'à un dépassement de l'islamisme ? Pas grand-chose. «Le Front populaire explosera et une partie de ses militants et cadres sera absorbée par l'appareil d'Etat tandis que les revendications populaires seront renvoyées aux calendes grecques. Bravo !», note Sadri Khiari. Une «révolution» peut cacher une restauration. Comme un été de «l'ordre» fait oublier les promesses du printemps.