
«...Ce qui me bouleverse ce n'est pas ma mort : elle est
mienne. Ce qui me chavire, me donne le vertige, me remplit d'extase et abîme ma
pensée c'est ma naissance. Ma venue au monde. Comment cet immense vide qui me
précède a fini par se concentrer dans l'infinie probabilité du hasard et
l'extrême précision de la nécessité, pour m'engendrer moi, mes pensées, mon
identité? Qu'est-ce qui a obligé le vide à se remplir par ma présence. En quoi
suis-je une nécessité et comment un être que rien n'attend finit par venir au
monde comme une personne que rien ne remplace? Ce n'est pas ma tombe qui me
fascine, mais le vide auquel je m'adosse. Le grand cosmos qui précède mon
prénom est plus inquiétant et plus inexplicable que la pierre tombale qui va
seulement essayer d'un peu me retenir. Ce n'est pas la disparition qui est un
drame, mais la naissance. Que je retourne au vide n'est que pente naturelle,
mais que je remplace le vide par ma personne voilà le grand mystère, la
formidable inquiétude qui devrait tous nous faire tourner la tête vers les
commencements et occuper notre réflexion. Dans la nuit vaste, un feu s'allume.
On s'étonne absurdement qu'il s'éteigne et on ne s'interroge pas sur qui
l'allume, pour regarder quoi au juste, à quelle fin et quelle est la main qui
tient le feu, le prolonge, en accouche ou y espère la clairvoyance. Et dans
cette nuit, je suis assis et je réfléchis à mon sort. Certains me disent que
c'est une main qui allume le feu, d'autres que c'est un accident, d'autres
brûlent et tournent la tête dans tous les sens et d'autres encore pensent qu'il
est inutile de comprendre ou d'autres qui croient qu'il y a un feu plus grand
quelque part dont nous sommes seulement ses étincelles. Ma seule certitude est
donc mon ardeur. Le reste est galets jetés dans les eaux noires. Nous voyageons
et nous nous éclairons les uns pour les autres, je crois. Cela est ma seconde
certitude. Certains donnent de leur feu et d'autres en éteignent sur leur chemin.
C'est l'image que j'ai de notre condition. De la mienne. Tout cela pour parler
de ce vertige qui ma saisi brusquement, une nuit, seul pendant que tous
dormaient. J'ai fermé les yeux et j'ai pensé à ma naissance et j'ai failli
tomber du haut d'une très haute falaise et je me suis ressaisi à la dernier
seconde. À côté de ce vide, la mort apparaît comme un mystère secondaire. Je
suis confronté, de plus en plus, depuis cette nuit à quelque chose
d'invraisemblable qui se cachait derrière mon prénom et mes habitudes: l'être
infini que je suis et que j'ai toujours été sans le savoir. La mort dans ce cas
n'est qu'un moment de déjà-vu. »