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LES MONARCHIES SE FONT LA LIGUE

par M. Saadoune

La Ligue arabe n'existe plus, elle a été absorbée par le Conseil de coopération du Golfe (CCG), le regroupement des monarchies pétrolières. La décision d'octroyer le siège de la Syrie à la coalition de l'opposition syrienne, qui est d'une légalité très douteuse, l'illustre parfaitement. Mais en matière de relations internationales, la légalité est totalement secondaire. Sa seule utilité est de servir parfois d'alibi au plus fort, mais elle n'est jamais l'argument du plus faible.

Les émirs du Golfe ont voulu que l'opposition syrienne prenne la place de la Syrie à la Ligue, ils l'ont obtenu. Dans l'assentiment, en général silencieux, des autres Etats qui ne sont plus que des comparses au sein de l'organisation. La position la plus «offensive» face au rouleau compresseur du Qatar et de l'Arabie Saoudite consiste à exprimer pudiquement des «réserves» dont on ne sait pas ce qu'elles peuvent signifier politiquement. On a dans cet événement une illustration claire de l'état du rapport de forces au sein de l'organisation panarabe qui renvoie à celui de l'ordre mondial lui-même. Les monarchies ont été traditionnellement liées aux Occidentaux, elles ont mené la guerre aux courants nationalistes et progressistes et ont contribué à l'essor du mouvement islamiste.

Aujourd'hui, avec des succès divers - en Egypte, les Frères musulmans rencontrent une vive résistance -, ces monarchies jouent la carte des islamistes dits «modérés» et ont entrepris, avec un certain succès, de les rendre acceptables pour les Américains. Il reste que même les Etats qui sont dirigés par les gouvernements «nouveaux» issus du printemps arabe ne sont plus des acteurs significatifs au sein de la Ligue. L'Egypte a beau, par tradition, avoir le poste du secrétaire général, le centre de gravité du pouvoir au sein de la Ligue arabe se trouve entre Riad et Doha. Avec l'octroi du siège de la Syrie aux opposants, ils démontrent avec éclat qu'ils sont les maîtres de la Ligue.

Le régime de Bachar Al-Assad ne peut plus compter que sur Moscou, Pékin, l'Iran et, accessoirement, l'Irak où les feux de la guerre confessionnelle sont constamment allumés et prêts à s'embraser. Les Américains viennent d'ailleurs de le sommer d'empêcher les avions iraniens d'aller vers la Syrie? Le Liban, qui avait exprimé auparavant ses «réserves», est sans gouvernement? et désormais sans voix. On ne le comptabilise plus parmi les «réservés»? Il y a l'Algérie? qui se met, encore une fois, entre deux chaises au risque de paraître totalement floue. Et ce n'est pas la concomitance de la visite officielle du Premier ministre algérien au Qatar avec signature d'accords économiques qui va améliorer la visibilité de la politique extérieure algérienne.

Ce n'est même pas du «pragmatisme» puisque les opposants syriens ne voient dans ces «réserves» qu'un soutien au régime de Bachar Al-Assad. Ce n'est pas non plus un vrai soutien à Damas puisqu'une «réserve» n'est pas une vraie opposition. L'Algérie est dans l'indéfinissable, dans le profil bas. Les monarchies ont bien pris le pouvoir. On ne s'oppose pas à elles. On se contente de vagues réserves? qui n'empêcheront probablement pas le délégué algérien de côtoyer les «représentants de la Syrie» imposés par les émirs du pétrole et du gaz.