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LA TRANSITION N'EST PAS UNE AFFAIRE DE TECHNOCRATES

par M.Saadoune

Le mouvement islamiste tunisien Ennahda a décidé de renoncer à contrôler les ministères régaliens (Intérieur, Justice, Affaires étrangères) confirmant ainsi sa disponibilité à aller vers une démarche consensuelle pour sécuriser et réussir la transition politique. Rached Ghannouchi n'est pas un « intransigeant», il fait preuve d'une souplesse qui ne surprend pas ceux qui observent, sans œillères particulières, la scène politique tunisienne. Est-ce une souplesse de «conviction» ?

C'est cette sorte de question insoluble que ses adversaires posent et qui est au fond spécieuse. Ce qui compte, ce sont les actes et non les procès d'intention. On a reproché, à juste titre, à Ennahda de ne pas avoir été suffisamment ferme à l'égard des salafistes - dont l'un des groupes semble apparemment impliqué dans l'assassinat de Chokri Belaïd, une figure de la gauche - alors qu'ils ont montré à plusieurs reprises des penchants vers la violence. Il y avait probablement un calcul chez les dirigeants d'Ennahda et surtout une part de naïveté dans les vertus de la « pédagogie» à l'égard de ces groupes. Cela leur coûte en termes de défiance et sert des adversaires qui ne sont pas tous dans une démarche de compétition mais dans une stratégie de confrontation. Les dirigeants d'Ennahda «apprennent» désormais que l'application sérieuse et sans faille de la loi est aussi une pédagogie à l'égard des courants qui ne croient pas en la démocratie.

En acceptant que des personnalités «indépendantes» - ce qui ne veut pas dire apolitiques - prennent en charge les ministères régaliens, Ennahda a choisi de rassurer et d'éviter d'accentuer les clivages qui se sont accentués au cours des derniers mois pour culminer avec l'assassinat de Chokri Belaïd. Il est probable que cela paraisse insuffisant pour ceux qui cherchent à entraver le processus démocratique et ceux qui rêvent d'une sorte de putsch qui les débarrasserait des islamistes. Ces courants existent. Ils sont minoritaires et il faut espérer qu'ils le demeurent car le retour à la «pacification» par une gestion policière du type de Ben Ali qu'ils souhaitent n'est plus possible et que cela débouchera inévitablement sur des confrontations violentes.

Ceux qui défendent la démocratisation, un processus difficile mais nécessaire, savent qu'il est vain d'essayer de pousser Ennahda (40% des voix aux dernières élections). Au contraire, il faut que ce mouvement reste impliqué dans ce processus et qu'il joue un rôle stabilisateur et modérateur. Toute autre construction serait un déni dangereux de la réalité. Ennahda n'a pas cédé sur son refus d'un gouvernement «technocratique» et il est difficile d'y avoir une quelconque intransigeance. La transition démocratique est une affaire politique et il faut que les parties prenantes y soient impliquées et assument leur responsabilité. Ennahda souhaite passer d'un gouvernement par une «troïka» à un exécutif plus large incluant deux autres partis. Démarche on ne peut plus raisonnable. Une transition démocratique est une affaire trop sérieuse pour être confiée à des technocrates.