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Comment on perd le nord et un pays ou la néo-colonisabilité

par Kamel Daoud

Pourquoi la France est revenue au Mali ? Pour lutter contre les djihadistes.

Pourquoi les djihadistes existent ?

Parce que l'Arabie Saoudite existe et parce que l'Etat malien n'existe pas.

Pourquoi les djihadistes ont pu avancer, couper le pays, les mains et les routes dans ce pays ? Parce que ce pays était faible.

Pourquoi ce pays était faible ? Parce que son armée faisait la loi et que la loi n'y était pas respectée. Parce que le Mali n'était pas un Etat, il a fini par ne pas être indépendant.

Et pourquoi le Mali n'est pas un Etat ?

Parce qu'il n'est pas une démocratie. Quand on n'est pas une démocratie on se fait coloniser par son armée qui se fait battre par un ennemi terroriste et finit par se faire aider par une armée étrangère et d'un Etat plus puissant. Du coup, en n'étant pas une démocratie, on ne peut pas être une indépendance. C'est la règle moderne.

Une indépendance ne se conserve pas par la force armée, mais par l'adhésion de tous à la terre et à ses frontières. Quand un peuple se fait coloniser par sa propre armée ou par des bandes armées ou par des fraudes électorales, il s'effondre et regarde et ne bouge plus. A la fin, par chaîne alimentaire il va se faire coloniser par le plus puissant qui arrive.

Donc être une démocratie est nécessaire pour avoir des frontières et être un pays. Quand les gens sont convaincus que le pays leur appartient, ils le défendent.

Ce qui arrive au Mali arrive à tous les pays sans Etat fort. A tout les pays qui ont des régimes à la place d'une démocratie consensuelle. Quand on n'est pas une démocratie, on est une dictature et, pour rester au pouvoir, une dictature va négocier avec la dictature internationale : elle va vendre de la souveraineté pour garder la propriété. Quand un régime est violent, cela veut dire qu'il est faible. Quand il est faible, il a peur et impose la peur. Et il va se faire attaquer un jour ou l'autre par un coupeur de route. Il va alors payer, payer et payer encore jusqu'au moment où la puissance en face va penser: pourquoi attendre que ce régime paye alors que je peux contrôler non seulement sa main, mais sa poche, ses bijoux, ses puits et sa maison ?

Cercle vicieux : les régimes hyper-nationalistes comme le nôtre, accentuent l'autoritarisme par peur de perdre l'indépendance. Ils privilégient la sécurité à la liberté. Et ils deviennent alors dépendants vis-à-vis de tuteurs étrangers et indépendants vis-à-vis de leurs peuples. Ils perdent leur liberté alors. Puis, un jour ou l'autre, la sécurité.

Quand un Etat est illégitime, apparaissent désormais les couples modernes : Djihadiste / Puissance coloniale. Ou Terroristes / Antiterroristes. Ou Pétrole / Nourriture. Ou Concessions des sous-sols pour prolongation de souveraineté sur le sol. Ou ONG / Répression.

Cependant, il faut arrêter avec le discours souverainiste paranoïaque local : genre qui crie à la colonisation par la France, à l'Occident prédateur, au complot et aux manœuvres. Tout cela existe et n'existe pas. L'Occident n'est ni bon ni mauvais : c'est une humanité qui pense à ses intérêts et selon ses valeurs et ses puissances. L'évidence est sous le nez : ce qu'il faut avoir, ce sont des Etats légitimes, des démocraties fortes, des économies solides, de la richesse humaine, des écoles modernes, un but pour la nation et pas seulement un drapeau et un hymne et un ministre de l'Intérieur et de fausses élections.

Ce qui arrive au Mali n'est pas à cause des Djihadistes ou de la France. C'est à cause du Mali : ce n'était pas un Etat fort et légitime. A méditer pour ceux qui dénoncent l'Occident, justifie la primauté de la sécurité sur la liberté et de la force sur la légitimité et essayent de limiter nos libertés au nom de la prudence. Un mois de prison ferme et 50.000 DA contre Tahar Belabbès, le porte-parole des chômeurs à Ouargla, est le geste d'un régime qui a peur de perdre le Sud et le perd pourtant. Comme le Mali a perdu le Nord.