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Le sarkozisme s'exporte vers l'Algérie

par Abed Charef

Supprimer le Crédoc ? Les patrons le souhaitaient, M. Ould Abbès l'a fait

Comme M. Jourdain, M. Djamel Ould-Abbès fait du sarkozisme sans le savoir. A chaque crise dans le secteur qu'il gère, celui de la santé, il annonce des nouvelles mesures supposées régler définitivement le problème. Qu'il s'agisse de contestation de la part de médecins ou de paramédicaux, ou de pénurie de médicaments, le ministre n'y pas par quatre chemins. Il annonce des mesures radicales, définitives, les seules en mesure d'éliminer définitivement le problème jusqu'à la fin des temps. Jusqu'à la prochaine crise.

En cette période de transition vers 2012, le secteur de la santé a subi une grave pénurie de médicaments et de matériel médical. Les plus touchés étaient les malades du cancer, doublement pénalisés. A leur détresse, s'est ajoutée l'impossibilité de leur assurer un traitement, à cause de l'insuffisance des équipements, des pannes à répétition du matériel disponible, et de la pénurie de médicaments.

Face à cette crise, M. Ould Abbès a tourné en rond pendant plusieurs semaines, faisant face à de sévères critiques, dont celles du chef du gouvernement lui-même, qui lui reprochait de ne pas faire ce qu'il faut pour soulager les cancéreux. Ne trouvant pas de solution avec les démarches traditionnelles de la bureaucratie du ministère, M. Ould Abbès a décidé de passer à la vitesse supérieure. Il a trouvé la parade à travers trois initiatives lancées en parallèle.

Il a d'abord pris contact avec les fabricants américains de matériel médical, qu'il a reçus chez lui pour bien montrer les efforts qu'il mène pour atténuer le poids de ce drame. Si les circuits traditionnels d'achat d'équipements sont inefficaces, on va les contourner et nous approvisionner directement auprès des fournisseurs. Du producteur au consommateur, sans intermédiaire, selon une bonne vieille formule !

Dans la foulée, le ministre a décidé de changer le statut de la pharmacie centrale des hôpitaux, pour en faire un organisme capable d'éviter ces pénuries. Selon ses nouveaux statuts, définis dans un décret exécutif daté du 28 décembre, la pharmacie des hôpitaux devra entre autres approvisionner les établissements publics de santé en produits pharmaceutiques et en équipements médicaux, élaborer et réaliser un programme d'approvisionnement sur la base des besoins nationaux exprimés par le ministère de la Santé. Elle devra aussi veiller à détenir certains stocks de médicaments, et promouvoir la production locale, notamment celle de médicaments génériques. En d'autres termes, la mission de la pharmacie centrale devra réaliser exactement ce qu'elle faisait auparavant !

Rien ne change. Ce qui compte, c'est l'effet d'annonce. A ceux qui souffrent d'une situation, on promet des solutions imminentes. Et si cela ne suffit pas, on va plus loin. Pourquoi les opérations d'importation de ces produits accusent tant de lenteur ? Parce qu'elles sont ralenties par la procédure dite du crédit documentaire, le fameux Crédoc. Alors, il faut supprimer le crédit documentaire. Ce qu'a fait M. Ould Abbès dès la mi-janvier.

Ces mesures vont-elles régler les problèmes de la santé en Algérie ? Evidemment non. Car c'est un système dans son ensemble qui fonctionne mal, malgré l'argent englouti, malgré le personnel formé et les augmentations de salaire consentis. Il ne suffit pas de dépenser un peu plus ou de lever un obstacle bureaucratique pour débloquer une situation.

Mais dans la foulée des décisions de M. Ould Abbès, c'est désormais tout le patronat qui s'engouffre dans la brèche. Et si le fameux «Crédoc» est levé pour les importations de médicaments et équipements médicaux, pourquoi le maintenir pour les céréales, le lait et la pomme de terre, produits dont une pénurie éventuelle pourrait provoquer une émeute ? Pourquoi le maintenir pour les équipements industriels, alors que les entreprises étouffent ?

De là à demander la suppression pure et simple du Crédoc, il y a un pas, que le Forum des Chefs d'entreprises a franchi. En effet, le FCE vient de «lancer un appel aux autorités concernées en vue de la levée définitive de cette obligation de paiement par crédit documentaire au bénéfice de l'ensemble des producteurs nationaux de biens et de services».

Et voilà : par une simple décision, M. Ould Abbès, a fini, sans s'en rendre compte, par remettre en question une politique gouvernementale dans son ensemble. Sans porter de jugement sur le Crédoc, on notera simplement que le gouvernement, dont fait partie M. Ould Abbès, a voulu introduire cette procédure pour maîtriser les flux financiers liés aux importations, avant de se retrouver prisonnier de sa propre décision. Aujourd'hui, il veut la supprimer, comme Nicolas Sarkozy avait supprimé le bouclier fiscal avant de le remettre, et comme il veut imposer une TVA sociale après l'avoir combattu pendant des années.

L'Algérie aurait-elle choisi de tout importer, même le sarkozisme ?