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UN SYSTEME ET DES HOMMES

par M. Saadoune

On peut présumer, sans risque de se tromper, qu'au sein des régimes arabes, aujourd'hui bousculés par leurs populations, il ne manque pas de personnes éclairées.

 Les journalistes, dont le métier les met en contact avec ces personnels, peuvent témoigner qu'ils rencontrent parfois des responsables dont les constats ? alimentés, il est vrai, par une connaissance intime du fonctionnement des systèmes décisionnaires ? sont décapants. Et souvent plus mordants que les plus radicaux des opposants. Pourtant, ces mêmes personnels ne feront rien pour changer la donne. Souvent ils refusent même l'idée de changement.

 C'est en ayant à l'esprit ce type de profil schizophrénique, légion dans les Etats autoritaires, que l'on comprend un peu mieux cette notion de « système ». La formule n'est pas seulement utilisée pour ne pas avoir à nommer les services de renseignements ou la police politique.

 Elle sert surtout à montrer un fonctionnement politique où la réalité et même les diagnostics lucides sont sans incidence et sans impact. Le système fonctionne en pilotage automatique. Et ceux qui en font partie peuvent le dénoncer, comme les opposants, tout en mobilisant tous les moyens pour éluder le changement. Le savoir et les connaissances que peuvent avoir les individus ne sont d'aucune utilité.

 Comment sortir d'un tel système ? Hormis le temps, contempteur impitoyable des échecs, il n'existe pas de recettes toutes faites : cela peut être une révolution, une implosion interne ou, comme c'est le cas actuellement en Libye, une intervention extérieure. Ou une combinaison de ces facteurs.

 Mais quid de la réforme ? En Algérie, beaucoup n'oublient pas ? et à juste titre ? qu'il y a eu une expérience réformatrice qui s'est heurtée à la synthèse paradoxale d'une contestation sociale prise en charge par les islamistes et de très fortes résistances du régime. La conclusion qui en a été tirée est celle de l'impossibilité d'une réforme de l'intérieur. Et de mille et une manières, le régime a tout fait pour conforter cette impossibilité de réformes. Sorti vainqueur du bras de fer avec les islamistes, le régime a verrouillé le champ politique, sans pour autant gagner en efficacité.

 C'est que le «système» a atteint ses limites. Ses capacités de réflexion n'allant pas au-delà du souci de se maintenir. Globalement, il a réussi à empêcher la cristallisation d'une alternative en bloquant l'organisation autonome de la société. Le recours constant à l'émeute en est le signe pathologique.

 Aujourd'hui, alors que des pays très «stables», et sans la tradition de contestation émeutière algérienne, ont basculé, il est patent que la démarche comporte des risques sérieux. Le cas libyen avec des puissances occidentales qui interviennent officiellement pour protéger des civils contre le régime est en train de créer un précédent extraordinaire. Il doit contraindre les individus « éclairés» des régimes à recentrer la réflexion sur les moyens de sauvegarder la souveraineté nationale face à des entreprises qui n'ont rien de désintéressé.

 C'est sans doute le moment où les plus lucides saisiront qu'il faut faire prévaloir l'intérêt du pays et sa souveraineté sur la pérennité du système. De très nombreux Algériens ne souhaitent pas que les changements, inévitables, se déroulent dans la violence. Ceux-là attendent, encore, qu'une réforme sérieuse soit enfin engagée avant qu'il ne soit trop tard. Un système inefficace qui, désormais, ne prémunit pas du sort des «dirigeants déchus» ne mérite pas qu'on mette en danger tout un pays.