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Nouvelles alliances dans le monde arabe

par Abed Charef

Hillary Clinton affiche les mêmes objectifs que les manifestants de Tunis et du Caire. Vraie alliance ou convergence temporaire ?

Nicols Sarkozy a bien de la peine. Ses anciens amis subissent des revers, et il ne peut rien faire pour eux. L'ami Hosni Moubarak, dont il avait fait le co-président de l'Union pour la Méditerranée (UMP), est vivement contesté dans son propre pays, et ne peut terminer 2011 au pouvoir. L'ancien ami Zine El-Abidine Benali, à qui on avait également fait une place de choix au sein de l'UPM, a été contraint de sortir par la petite fenêtre, sous les sifflets de son propre peuple et sous les quolibets de l'opinion internationale. Les nouveaux amis, comme Mouaammar Kadhafi, et les amis plus sûrs, comme Mohamed VI, sont certes toujours en poste, mais un vent de fronde incroyable les menace. En Jordanie, en Algérie, et partout, un air de jasmin flotte dans l'air. Un air que Nicolas Sarkozy n'a pas su anticiper. Pire, les démêlés de certains de ses ministres, empêtrés dans des histoires ridicules, comme Michèle Alliot-Marie, montrent que la France croyait à une situation immuable sur la rive sud de la méditerranée. Et c'est sur cette stagnation que la France a choisi de fonder l'avenir des relations autour de la Méditerranée ! La France était pourtant bien placée, pour sentir à la fois l'aspiration au changement sur la rive sud, et la nécessité de ce changement. Il suffisait de suivre les pérégrinations du projet de l'Union pour la Méditerranée pour s'en rendre compte. Pourquoi le projet UPM n'a pas avancé ? Non parce que les pays arabes y étaient hostiles, mais parce que la force d'inertie les empêchait d'accompagner le mouvement. Ces pays n'avaient ni les institutions, ni le cadre législatif, ni la culture de l'action nécessaires pour s'intégrer dans un projet d'une telle envergure.

 Sous cet angle, la politique française parait bien archaïque, et totalement dépassée, à l'inverse d'une politique américaine qui tente de surfer sur la vague de la révolte, et qui a réussi un coup de force exceptionnel, celui d'apparaitre comme une force du changement et de l'innovation alors que les Etats-Unis portaient à bout de bras nombre de régimes en place dans le monde arabe. La nouvelle politique américaine n'est pourtant pas une surprise. Les prémices en étaient visibles depuis un moment. Les Etats-Unis cherchaient seulement le terrain et le moment où la recette pourrait être appliquée. Ce fut d'abord le Liban, où une « révolution » s'inspirant des grands mouvements de foule colorés des anciens pays de l'est (Ukraine, Géorgie), a permis de mettre fin à la présence syrienne au pays du Cèdre. Ce que la force n'avait pu réaliser, la rue l'a obtenu. Les Américains ont vu alors qu'un mouvement de rue pouvait être exploité, y compris dans le monde arabe, pour imposer des solutions américaines.

 Une situation inédite qui méritait d'être explorée. Plus question donc de recourir à la force brutale, qui a montré son échec, et qui n'a servi qu'à une radicalisation de l'opinion arabe.

 La méthode Obama remplaçait la méthode Bush, mais l'objectif restait le même. Les Etats-Unis voulaient, pour le monde arabe, un changement susceptible d'imposer un nouvel ordre plus favorable à leurs intérêts. Les régimes en place, devenus, en raison de leur inertie, un handicap à la politique américaine, devaient être débarqués. La révolte en Tunisie a servi de première expérience pour débloquer la situation, ce qui explique le discours novateur de Barak Obama et Hillary Clinton, un discours que ne renierait pas un manifestant de la place « Ettahrir ». Ceci a débouché sur une situation totalement inédite, qui a laissé perplexe les militants anti-impérialistes les plus radicaux : une convergence étonnante entre la politique américaine et les aspirations de la rue arabe. D'un côté, les Etats-Unis veulent bousculer un monde sclérosé, pour imposer un ordre plus moderne, susceptible de mieux servir les intérêts ; de l'autre côté, la rue arabe veut se débarrasser de ses tyrans et de dirigeants archaïques, qui étouffent les libertés et empêchent leurs pays d'accéder à la modernité.

Ceci rappelle, pour l'Algérie, la délégation des Amis du Manifeste (AML), remettant à des émissaires américains les revendications du mouvement national, lors de la seconde guerre mondiale, ou encore les chefs de tribu du Moyen-Orient s'appuyant sur les Etats-Unis pour se débarrasser de la présence turque ou franco-britannique au début du XXème siècle. Mais dans l'histoire moderne, les revendications populaires des sociétés arabes et la politique américaine se sont presque systématiquement retrouvées en conflit, non seulement à cause du soutien américain à Israël, mais aussi à cause du soutien des Etats-Unis à des régimes impopulaires. Faut-il en déduire que l'avènement de « Hussein » Obama marque le début d'une nouvelle étape ? Quelques frémissements sont perceptibles, comme cette insistance américaine à imposer le changement, ou cette inquiétude qui perce en Israël. Mais pour le reste, rien ne permet d'entrevoir une alliance durable entre la fameuse « rue arabe » et les Etats-Unis. Pour deux raisons essentielles. En premier lieu, les Etats-Unis sont toujours dans la même logique, mais ils utilisent des méthodes modernes, moins arrogantes, moins repoussantes. Ensuite, la « rue arabe » ne dispose pas encore d'institutions en mesure de définir ses intérêts, et de les défendre face à la puissance américaine. On risque dès lors de se retrouver face à un nouveau paradoxe : la rue arabe va applaudir des dirigeants issus de laboratoires américains, qui nous ont créé hier nos héros, qui avaient pour nom Saddam Hussein et Ben Laden, et qui, demain, nous créeront de nouveaux héros, avec des looks modernes et branchés. Et le jeu continuera indéfiniment, jusqu'au jour où les sociétés arabes pourront choisir librement leurs dirigeants ; des dirigeants choisis non sous le coup de la colère ou de l'émotion, mais choisis parce que ces dirigeants veilleront à préserver la liberté des Algériens et défendront leurs intérêts, quitte à faire des compromis raisonnables avec les grandes puissances.