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La lutte contre la bureaucratie et modernisation du secteur public

par Brahim Lakhlef*

Dans sa contribution du 13 novembre (rubrique : L'Actualité Autrement Vue) M. Cherif Ali nous rappelle les principaux objectifs de lutte contre la bureaucratie retenus par le gouvernement et les mesures retenues pour moderniser l'administration et insiste sur les obstacles qui bloquent et entravent la réalisation des projets et d'investissement.

En effet, la lutte contre la bureaucratie figure parmi les priorités de l'État. Le Président de la République veille sur la numérisation de l'administration, le Ministre de l'Intérieur se donne comme priorités la lutte contre la bureaucratie et la corruption. Ce sont des objectifs forts louables et hautement stratégiques.

Voyons quelles sont les actions et mesures qui peuvent contribuer à la concrétisation de ces objectifs et permettent à l'administration de supprimer les obstacles et d'évoluer vers une organisation efficace en réalisant tous les objectifs prévus dans les délais prescrits et efficiente en accomplissant les objectifs aux moindres coûts tout en respectant les normes et la qualité.

La politique de modernisation du secteur public doit, à notre avis,être axée sur les options stratégiques qui peuvent constituer un soutien indéfectible à cette politique de modernisation du secteur public. Ces options sont les suivantes :

-l'application des principes et outils du Nouveau Management Public (NMP)

-la gestion par objectifs mesurables

-la qualité de la réglementation

-l'amélioration continue et l'instauration de la démarche qualité

-la formation continue et la capitalisation des expériences.

-l'évaluation continue

La modernisation du secteur public

L'histoire du développement économique et social nous apprend que la qualité des services publics influe considérablement sur les résultats des politiques et stratégies d'évolution économique. En effet, ce secteur doit répondre d'une manière efficace et efficiente aux besoins du citoyen dans les domaines de l'économie, de l'éducation, de la santé et de la protection sociale. L'amélioration continue du bien-être des citoyens est son principal objectif.

Malheureusement, il peut être aussi, un facteur de blocage par ses lourdeurs administratives, ses dépenses exorbitantes sans résultats convaincants, son incapacité à soutenir les projets d'investissements par l'absence d'une stratégie d'amélioration des compétences et de création d'emplois. Le fonctionnement des services publics était bâti et centré sur le suivi et le respect des procédures et du budget, au détriment de l'évaluation des résultats réalisés et de leur impact sur la relation administration-citoyen.

Des plans de relance économique de plusieurs pays ont connu des échecs. La cause de ces contre-performances ne réside pas dans l'insuffisance de capitaux ou dans l'absence de volonté politique. Ces échecs s'expliquent essentiellement, par les multiples défaillances d'un service public inefficace, incapable de faire face aux exigences du moment. C'est pour ces différentes raisons que la gestion et la modernisation du secteur public étaient, depuis les années soixante, une préoccupation majeure des pays développés. Le but recherché est de rendre l'organisation et le fonctionnement du secteur public efficaces et efficients. Plusieurs démarches ont été expérimentées par des pays pour améliorer le fonctionnement du service public et en particulier l'administration. Le Nouveau Management Public est devenu l'approche la plus utilisée pour transformer le secteur public en un facteur performant dans la gestion d'une nation.

Le Nouveau Management Public (NMP) a pour objectif essentiel l'amélioration de la qualité des prestations du service public fournies aux citoyens. Pour atteindre ce but, le NMP propose l'application des règles et des principes de la gestion d'entreprise au management des services publics. Cette approche repose sur l'idée que le citoyen doit être considéré comme « client » de l'administration. Dans ce cas, elle doit répondre aux attentes du citoyen en veillant en permanence à sa satisfaction en lui garantissant la responsabilisation et l'obligation de rendre compte en assurant des prestations de qualité aux moindres coûts et dans les délais requis.

Le NMP vise la transformation de la bureaucratie administrative en un outil de performance en appliquant une gestion par objectif, en mesurant la performance de chaque service par des indicateurs mesurables. Approche adoptant les méthodes de marché au lieu des approches administratives. Le NMP repose sur des conditions, notamment : l'existence d'une stratégie de modernisation du service public, l'utilisation des techniques issues des techniques managériales de l'entreprise, la décentralisation, la responsabilisation et l'obligation de rendre compte. Cette approche a été par la suite retenue et développée par la majorité des pays développés.

Cette option de modernisation du secteur public ne peut être isolée de l'ensemble des autres réformes, économiques, sociales et territoriales. Elle doit être soutenue par une démarche méthodologique structurée, comprenant des indicateurs mesurables pour pouvoir évaluer et corriger l'évolution de la réalisation des objectifs ciblés. La réussite d'un tel dispositif suppose un soutien politique, l'existence d'une structure spécifique de pilotage, de coordination et de supervision, relevant des plus hautes instances du pays. Les expériences menées par l'Angleterre, les pays scandinaves, la Nouvelle-Zélande, l'Australie, ont permis d'affiner l'approche NMP.

L'Union européenne considère la modernisation du secteur public comme « un enjeu fondamental pour l'évolution de l'Europe ».

Instauration d'objectifs mesurables

La méthode retenue par le NMP vise la fixation d'objectifs mesurables, l'instauration d'une évaluation de résultats sur la base d'indicateurs pertinents permettant de cerner l'efficacité, l'efficience, la qualité de la prestation et la cohérence entre les objectifs stratégiques et les objectifs opérationnels. Cette approche s'appuie sur l'introduction de la gestion par objectifs (GPO) et privilégie une gestion axée sur les résultats (GAR) à une gestion administrative dont le principal souci est le respect des prévisions budgétaires.

La gestion axée sur les résultats (GAR) ou la gestion par les résultats (GPR) est une méthode qui a pour objectif fondamental et déterminant la concrétisation des résultats préalablement établis.

La GPR vient compléter la gestion par objectifs pour imposer une évaluation des résultats réalisés. Elle se place au centre de toute stratégie de modernisation du secteur public et d'amélioration de sa gouvernance et des performances. Les résultats doivent être concrets, connus, précis et mesurables.

Le PNUD considère la GAR comme une « stratégie ou méthode de gestion qui contribue à la réalisation de résultats clairement définis ». Le but principal est de réunir toutes les conditions qui favorisent la concrétisation des résultats retenus. Cette approche vise simultanément l'amélioration continue de la qualité des services aux citoyens et l'optimisation des ressources en respectant les règles administratives.

Pour que l'option NMP réussisse, des réformes sont indispensables. Réformes visant l'amélioration de la gestion financière, la qualité des prestations, la participation, la valorisation du travail de qualité et l'amélioration des compétences et le recours aux TIC.

La qualité de la réglementation

La réglementation d'un pays peut encourager la création d'entreprises, leur développement, favoriser les investissements et les exportations ou constituer un frein et un obstacle insurmontables qui poussent les entreprises à fermer ou à s'orienter vers le secteur informel.

La qualité de la réglementation est un aspect fondamental de la modernisation du service public.Elle joue un rôle décisif dans l'amélioration du développement, dans la relance économique et la préservation de l'environnement. Elle encourage et facilite la création d'entreprises.

Pour mesurer les effets positifs ou négatifs de la réglementation sur l'ensemble de l'économie, l'OCDE a adopté un dispositif d'analyse d'impact sur la réglementation, l'AIR.

La réussite d'un tel procédé suppose un soutien politique, l'existence d'une « capacité institutionnelle » apte à mener les réformes et à les appliquer, la création d'un organisme de coordination et de supervision.

Par ailleurs, la Banque européenne en collaboration avec la Banque mondiale utilise un indicateur intitulé le BEEPS (Business Environnement and Entreprise Performance Survey).

Cet indicateur permet de cerner et d'évaluer les contraintes auxquelles est confrontée une entreprise, un créateur d'entreprise, une entreprise candidate à la réalisation d'un marché public.

Le fonctionnement du service public présente le risque d'utilisation de méthodes favorisant l'infiltration de corruption dans l'octroi des marchés publics. Les institutions modernes sont très vigilantes et l'autonomie des pouvoirs (législatifs, judiciaires, exécutifs et les médias) facilite la lutte contre la corruption.

L'indice de l'intégrité publique vise à évaluer trois aspects de la gestion des services publics :

l l'existence de mécanismes et des lois qui permettent une gestion saine et un contrôle de la gestion des services publics

l l'efficacité de ces mécanismes et de l'application des lois et règlements

l les possibilités qui permettent aux citoyens d'accéder à l'information sur la gestion et de pouvoir demander des comptes aux gestionnaires des fonds publics.

Le FMI s'inscrit également dans cette logique qui consiste à moderniser le secteur public, le rendre efficace et le protéger de la corruption. Cette institution a publié un code et un manuel « de bonne pratique en matière de transparence des finances publiques » (1997,2007). Le but recherché est d'orienter les pays vers plus de transparence dans la gestion.

Ce code de bonne pratique en matière de transparence des finances publiques a retenu quatre principes fondamentaux qui prennent en compte plus d'une cinquantaine de conditions qui conduisent vers plus de transparence. a) Une définition claire des attributions et des responsabilités dans la gestion des finances publiques avec douze conditions. b) Un processus budgétaire ouvert avec onze conditions. c) L'accès du public à l'information avec seize conditions. d) La garantie d'intégrité (seize conditions).

L'amélioration continue de l'organisation et l'introduction de la démarche qualité

L'amélioration continue de l'organisation administrative et de la qualité des prestations suppose l'instauration d'une démarche « qualité » soutenue par une approche « d'assurance qualité ».     Le suivi par les services publics des projets, de la construction des routes, des hôpitaux, des écoles, des ports et des aéroports, nécessite des méthodes et des outils performants.

La démarche « qualité » permet une évolution permanente des performances d'une organisation et une amélioration continue de ses structures. Elle garantit le respect des normes, renforce la confiance entre l'administration et les citoyens. Elle s'appuie sur des procédures d'un contrôle rigoureux, tout en respectant la réglementation en vigueur, améliore la qualité des services, optimise le rendement des équipes en s'appuyant sur une maîtrise des procédures, une gestion par objectif axée sur les résultats. La démarche qualité est globale et stratégique.

Elle doit être complétée par une approche d'assurance qualité (QA) pour vérifier et veiller à ce que les prestations assurées par l'administration ou toute autre organisation répondent aux exigences de la qualité et du respect des normes. Elle confirme également la qualité de la relation administration-citoyen pour améliorer la satisfaction du citoyen et prémunir l'administration des erreurs et des insuffisances dans sa mission quotidienne.

Mais toutes ces méthodes et approches ne peuvent être réalisables qu'à condition que le service public s'appuie sur la mise en place d'un système de formation continue pour améliorer les qualifications des salariés et les conduire vers la maîtrise des techniques de gestion les plus récentes et pouvoir suivre leur évolution.

La formation continue et la capitalisation des expériences

D'une manière générale, la formation contribue à :

- la valorisation du personnel par l'élévation du niveau de connaissances et de qualification.

- l'autonomie dans le travail et une meilleure maîtrise des exigences du poste et par conséquent une amélioration de la qualité du travail

- l'adaptation aux nouvelles techniques.

- une meilleure capacité d'adaptation aux normes et au changement

- l'instauration d'une organisation plus efficace et une meilleure circulation de l'information.

Comme toute option stratégique, la politique de formation nécessite une démarche claire établie sur la base d'une détermination des besoins de formation, des choix d'objectifs mesurables, de méthodes, de moyens, de délais, de coûts et d'indicateurs d'évaluation. Parmi les démarches modernes de conception et de gestion des plans de formation, nous citons l'ingénierie de formation qui est une technique structurée qui s'apparente à la gestion de projet en reprenant les étapes nécessaires à la gestion d'un projet : conception, mise en œuvre, suivi et évaluation. Elle consiste à « analyser, concevoir, réaliser et évaluer » les plans et actions de formation.

Pour évaluer la formation, il est utile d'avoir un tableau de bord spécifique à l'activité formation avec des ratios permettant un suivi et une évaluation efficaces.

La formation, considérée aujourd'hui comme un investissement, obéit à des calculs de rentabilité et de retour sur investissement comme tout projet de développement.

Le deuxième facteur qui permet l'amélioration de la qualité du travail fournie par un salariéet son évolution concerne «la capitalisation des expériences ». Le but de la capitalisation d'expériences est de « valoriser ce que l'on sait faire ». Les termes « expérience » et « capitalisation » sont définis par la norme FDX50-190 AFNOR 2000, comme suit : l'expérience, c'est : « le savoir acquis par la pratique et/ou par l'observation ». La capitalisation, c'est « l'action d'accumuler volontairement et de manière organisée des connaissances tirées de l'expérience ».

La capitalisation d'expériences obéit à des règles et à des méthodes.

La démarche doit être basée sur l'analyse des expériences acquises en tirant des enseignements, en valorisant les acquis, en partageant les solutions retenues avec les autres acteurs et en appliquant les nouvelles compétences pour améliorer l'activité et ses performances sur les plans techniques et financiers tout en respectant les normes et les exigences de la qualité.

L'évaluation sur la base d'indicateurs mesurables

La gestion axée sur les résultats repose sur une évaluation continue et objective sur la base d'indicateurs fiables et pertinents. L'évaluation permet d'apprécier périodiquement et objectivement la réalisation des objectifs retenus. Elle est considérée comme la pierre angulaire de la politique de modernisation des services et de l'amélioration des performances.

C'est pour cette raison que l'évaluation des résultats par des indicateurs est déterminante dans la réussite de tout système de gestion.

Le choix des indicateurs d'évaluation est capital. Un indicateur doit répondre à des exigences. Il doit être accessible, disponible, utile, facile à comprendre, précis et pertinent. Il doit permettre la comparabilité.

Les expériences des mesures de performances et d'amélioration des services ont eu recours à des guides méthodologiques pour définir les objectifs mesurables et sélectionner les indicateurs d'évaluation.

À titre d'exemple, certains pays européens ont retenu trois indicateurs d'évaluation de la performance au niveau des administrations : les indicateurs d'efficacité socio-économique, les indicateurs de qualité de service, les indicateurs d'efficience. L'administration municipale d'Angleterre a retenu 275 indicateurs pour évaluer ses performances.

Les indicateurs de satisfaction qui sont, en général, mesurés par des enquêtes périodiques pour apprécier la satisfaction globale, la qualité de l'accueil, la clarté des réponses, le délai moyen de réponse aux courriels, le taux de dossiers traités durant une période fixée, le délai moyen d'obtention d'un passeport, du permis de construire, d'immatriculation de véhicule.... En outre, le suivi des projets de développement, comme la construction des routes, des ports et des aéroports, nécessite des indicateurs de suivi et d'évaluation des projets pour apprécier la qualité des travaux et le respect des délais.

L'OCDE accorde une importance particulière à l'évaluation des politiques publiques et recommande aux pays membres l'institutionnalisation de l'évaluation à l'ensemble des services publics. Cette organisation a arrêté une série de conditions qui favorisent la réussite d'une évaluation, notamment : garantir la disponibilité des compétences et des aptitudes nécessaires pour une évaluation, autoriser et garantir l'accès à l'information, garantir l'indépendance de l'évaluation, garantir l'objectivité et la fiabilité des résultats. Le but est de pouvoir, après une évaluation, apprécier la pertinence, la cohérence, l'efficacité, l'efficience et les diverses incidences sur les citoyens et de se prononcer sur la viabilité de chaque politique.

*Economiste, ancien

cadre supérieur, auteur de plusieurs ouvrages, notamment la bonne gouvernance, la gouvernance locale et la qualité des institutions et résultats économiques.

Sources :

- Guide de performance fiche 10 les objectifs et indicateurs de performance critères définis par LOLF. (Direction du budget. France)

- Recommandation de l'OCDE sur l'évaluation des politiques publiques. Boite à outils de mise en œuvre et guide de l'OCDE

- Mesurer la performance des services publics. L'expérience des administrations municipales en Angleterre Michael HUGHES.