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Sûr
de son fait, le bureaucrate présent dans la majorité des institutions, se
perçoit comme un personnage incontournable.
Ceci l'autorise à assouvir avec aplomb et certitude le pouvoir octroyé par sa hiérarchie administrative. La dette à son égard est inoubliable dans cet envol statutaire et salutaire ! Le bureaucrate n'exerce jamais dans l'isolement. Son bureau noyé de parapheurs et de documents administratifs, ne sont pas neutres. Ces objets significatifs contribuent à fortifier son pouvoir d'autorité. Il se voit donc gratifier d'éloges feints ou réels de toute part. Et pour cause ! Il a possibilité d'ouvrir ou de fermer les portes de l'espérance au profit ou au détriment des uns ou des autres, selon ses humeurs, ses convenances, et ses stratégies de reclassement socio-professionnel. Loin de la « légitimité rationnelle » (Max Weber, 1995), mettant en évidence les primautés dela règle et des rapports impersonnels, « notre » bureaucrate a la possibilité de «voyager» dans les méandres du flou organisationnel. Il capte les incertitudes, source de son pouvoir réel, l'incitant à arbitrer différentes situations à sa guise. Au cœur du système administratif, il intériorise l'impératif catégorique de fructifier et de renforcer son capital social pour se prémunir des incertitudes et des accrocs du temps. La prudence est de mise ! Après les premiers mois d'observations et de tâtonnements nécessaires pur s'acclimater à « son » espace, s'enveloppant d'une gentillesse fabriquée, pour donner l'image d'un responsable à « l'écoute » de ses collaborateurs, le bureaucrate tente d'acquérir l'éthos d'un personnage « important ». Son corps est sans cesse emporté par les vagues tourbillonnantes du pouvoir. Il prend ainsi de l'assurance pour devenir ce « vrai chef », où toute requête est objet d'un filtrage devant être uniquement de son ressort. Le rêve est enfin réalisé ! Il n'a pas lésiné sur les moyens. Ceci résulte rarement du néant. Il faut se battre « vaillamment » pour y accéder. La position sociale à un niveau élevé de la hiérarchie, lui tenait tellement à cœur... Elle est si importante ! C'est la seule compensation arrachée dans un système puissamment administré et sinueux qui « nourrit » et renforce une bureaucratie difforme et centralisée. Celle-ci lui ouvre des opportunités pour passer au travers par la médiation des affinités relationnelles. Le bureaucrate intègre donc avec aisance la scène mythique du pouvoir administratif. Dans « son » espace institutionnel, sonêtre subit une transformation majeure. Il est piégé parun engouement qui transcende sa personne. Un responsable local disait : « Pris dans l'euphorie du pouvoir, j'avais totalement changé. J'étais aveugle sur tout. Je voyais rarement ma famille ». Son corps est métamorphosé. Le regard est distant. Le buste du « nouveau » personnage se gonfle à l'extrême. Le sourire et la proximité relationnelle sont fluctuants et sélectifs selon ses interlocuteurs. Sa parole est sacralisée. Elle se veut être une production d'injonctions et de décisions irrévocables. Dans ce que parler, veut dire, Bourdieu (1987) indique l'absence de neutralité de la parole dominante. Celle-ci doit obligatoirement façonner l'asymétrie des relations sociales dans l'espace professionnel. Les mots du bureaucrate sont prononcés dans la suffisance et le mépris à l'égard de l'Autre. L'écoute se transforme en une formalité rapide, sans aucune attention soutenue vis-à-vis de la personne anonyme. Il s'agit au contraire de faire valoir dans ce face-à-face inégal, la puissance de son statut.Même s'il faut, pour cela, opter pour l'arbitraire et l'abus de pouvoir à l'égard des agents sociaux anonymes ou qui ceux qui tentent de nuancer les propos du bureaucrate : « Je vous coupe le téléphone au nez » ; « On est en réunion. Dites qu'il ne nous dérange pas » ; « MOI, J'ai décidé qu'il n'a pas le droit » ; « Revenez demain, je suis trop pris par mon travail ». Le bureaucrate privilégie le présent et s'arme pour le futur. Ce qu'il était, est désormais révolu. Le passé est de l'ordre de l'effacement ! Seul son destin de « chef » doit l'emporter ! Statut qu'il importe de prolonger, encore et encore pour tenter d'accéder au sommet de la montagne ! La fascination du personnage pour son territoire et son Moi, conduit à le déconnecterdes dynamiques sociales au quotidien, ces « sommes d'insignifiances » (Lefebvre, 1968) faiblement appréhendées, sous-estimées, fabriquées idéologiquement, à l'origine d'un vide social entre le bureaucrate et une partie de ses subordonnés. Ces derniers n'hésitent pas à privilégier l'indifférence, le silence et les bifurcations. Ces formes de résistance implicites, même cachée au profit d'une théâtralisation de l'obéissance et de l'acquiescement, priment secrètement en l'absence de toute éthique de la reconnaissance ou de la gratitudede l'Autre (Honneth, 2004) dans l'espace bureaucratique. Contrairement aux coulisses, arrière-plan invisible, caché et dominé par les arrangements multiplespour tenter de reproduire à l'identique l'autorité du bureaucrate, la scène ou la mise en scène (Goffman, 1973) l'oblige à ne pas perdre la face dans les rapports noués avec sa hiérarchie. Pour ce faire, le positivisme administratifs'affirme dans sa grandiloquence. Le bureaucrate objective avec fiertéles actions menéesavec persévérance, sans heurts majeurs, dans une institution stable et sans conflits majeurs,faisant prévaloir l'harmonie sociale ! Les bilans quantitatifs sont publicisés dans un faire valoir soutenu et héroïsé. L'impensé ou la violence du silence structurela scène théâtralisée. Celle-ci s'interdit de produire explicitement toute pensée critique constructive. Elle est pourtant impérative pour reconfigurer de façon raisonnée et lucide certains aspects du fonctionnement de l'institution. | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||