Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Perspectives de stabilisation au Mali et dans le Sahel

par Salah Lakoues

Le Mali et la région du Sahel font face à une dynamique croissante d'instabilité. caractérisée par l'affaiblissement progressif de l'État, l'expansion de groupes armés non étatiques - notamment des organisations djihadistes affiliées à Al-Qaïda et à l'État islamique -, la fragmentation politico-identitaire, et l'émergence d'une économie informelle transnationale structurée autour de trafics illicites.

Cette situation multidimensionnelle a transformé la crise malienne en un défi sécuritaire régional, affectant progressivement les pays voisins, en particulier le Niger, le Burkina Faso, la Mauritanie, et désormais la zone littorale de l'Afrique de l'Ouest, notamment le Bénin et la Côte d'Ivoire.

Crise de gouvernance et affaiblissement de l'État malien

Depuis 2012, l'État malien n'exerce plus son autorité sur une grande partie de son territoire, particulièrement au Nord et dans le centre. La crise institutionnelle s'est accentuée avec les changements successifs de gouvernance et la montée en puissance d'une administration militaire.

La gouvernance actuelle reste marquée par:

La suspension partielle des institutions démocratiques ;

La marginalisation des partis politiques et acteurs locaux ;

L'absence de processus politique inclusif ;

La priorité donnée à la réponse sécuritaire au détriment du dialogue.

Ce contexte a accru l'isolement diplomatique du Mali, réduit ses marges de manœuvre

internationales, et entravé sa capacité à mobiliser un soutien structurel.

Expansion des groupes armés et recomposition stratégique du Sahel

Les groupes djihadistes, dont Jama'at Nusrat al-Islam wal-Muslimin (JNIM) et l'État islamique au Sahel, exercent un contrôle croissant dans plusieurs régions stratégiques.

Leur stratégie combine :

Contrôle territorial progressif ;

Administration parallèle inspirée de la charia;

Imposition de taxes locales, contrôles routiers et tribunaux islamiques ;

Une politique d'enracinement social auprès de certaines communautés vulnérables.

Parallèlement, des milices autochtones et groupes d'autodéfense se sont multipliés, accentuant les tensions intercommunautaires et complexifiant davantage la dynamique du conflit.

L'économie informelle comme moteur du conflit : le rôle croissant du trafic d'or

L'économie de guerre constitue un facteur structurant dans la persistance du conflit. Le trafic d'or occupe désormais une place centrale dans le financement de groupes armés, de réseaux criminels et d'acteurs non étatiques.

Le Mali est aujourd'hui l'un des plus grands producteurs africains d'or artisanal, mais une part significative – estimée entre 60 % et 75 % – échappe au contrôle étatique. Cet or est exporté de manière illicite vers divers hubs internationaux.

Le trafic aurifère :

Alimente l'économie parallèle ;

Renforce l'autonomie financière des groupes armés ;

Alimente la corruption politique et militaire ;

Entrave la reconstruction institutionnelle.

Toute stratégie durable nécessite donc une approche intégrée incluant la régulation

économique des ressources naturelles.

Le rôle central de l'Algérie : un acteur pivot de la stabilité régionale

L'Algérie occupe une position stratégique singulière dans ce dossier, en raison de :

Sa frontière directe avec le Mali sur plus de 1 300 km ;

Son expérience sécuritaire dans la lutte contre le terrorisme ;

Son rôle historique comme médiateur et garant de l'Accord d'Alger (2015) ;

Sa doctrine régionale fondée sur la non-ingérence et la stabilité frontalière ;

Sa crédibilité auprès des acteurs maliens, y compris ceux non représentés dans les institutions formelles.

Aucun cadre diplomatique ou sécuritaire durable ne peut émerger sans l'adhésion et la participation active de l'Algérie.

Celle-ci défend une approche fondée sur deux principes indissociables :

Respect de l'intégrité territoriale du Mali ;

Reconnaissance politique et culturelle des droits des communautés du Nord, y compris une autonomie administrative adaptée au contexte local.

Cette approche vise à favoriser une gouvernance équilibrée, susceptible de réduire les tensions identitaires, d'isoler les groupes terroristes, et de restaurer un cadre institutionnel légitime.

Perspectives de résolution

Une stabilisation durable requiert une approche combinant :

Restauration de la gouvernance nationale Dialogue politique inclusif et calendrier institutionnel clair

Lutte contre les groupes terroristes Coopération sécuritaire régionale structurée

Réduction des sources de financement criminel Traçabilité du secteur aurifère et lutte contre les réseaux transnationaux

Prévention des tensions communautaires Mécanismes de réconciliation et reconnaissance des identités locales

Réintégration régionale du Mali Retour progressif dans les cadres CEDEAO et UA, avec médiation algérienne

La crise malienne n'est pas uniquement une crise sécuritaire ; elle est également institutionnelle, identitaire et économique. La résolution de ce conflit exige une approche régionale structurée, fondée sur les réalités locales et portée par des acteurs disposant de légitimité politique, historique et stratégique.

Dans cette configuration, l'Algérie apparaît comme un acteur incontournable, non seulement en raison de sa proximité géographique, mais aussi de sa capacité diplomatique, de son expérience sécuritaire et de sa relation historique avec les acteurs du Nord malien.

Sans implication algérienne dans une architecture de dialogue et de sécurité, toute tentative de stabilisation durable du Mali et du Sahel risque de demeurer partielle, fragile et réversible