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Un immigré élu maire de New York: Zohran Mamdani ou l'art de troubler les puissants
par Laâla Bechetoula Un jeune maire musulman à New York. Un
vieux milliardaire à Washington. Deux mondes qui s'observent-et ne se
ressemblent pas.
New York a encore surpris le monde. Le 4 novembre 2025, elle a choisi un homme de 34 ans, né à Kampala, fils d'intellectuels africains d'origine indienne, pour diriger la ville des milliardaires. Zohran Mamdani, socialiste assumé, musulman tranquille, ancien rappeur et fils de réfugiés, a battu Andrew Cuomo, incarnation de l'establishment démocrate. Et, par ricochet, il vient d'entrer dans la tête de Donald Trump, comme une énigme que l'Amérique ne sait pas résoudre. Un élu du Queens, sans fortune ni dynastie, devenu maire de la ville que les présidents rêvent toujours de conquérir. Pour un empire fondé sur les tours de verre et la peur du déclin, c'est presque une hérésie. Pour le reste du monde, c'est un signe: la politique américaine n'est plus ce qu'elle était. UN FILS DE L'EXIL ET DE LA RUE Né en 1991 à Kampala, Zohran Mamdani a grandi entre trois continents : l'Afrique de ses origines, l'Asie de ses ancêtres et l'Amérique de ses rêves. Son père, Mahmood Mamdani, est l'un des penseurs postcoloniaux les plus respectés au monde. Sa mère, Mira Nair, est cinéaste, autrice de Monsoon Wedding et Salaam Bombay!. Autant dire que le jeune Zohran est né dans une maison où les mots Empire et dignité faisaient partie du vocabulaire domestique. Arrivé à New York à sept ans, il découvre la ville depuis le trottoir : les rues du Queens, les bus bondés, les loyers trop chers. Avant d'être politicien, il a été rappeur sous le nom Young Cardamom. Ses textes parlaient d'exil, de fatigue et de survie : la même matière humaine que l'on retrouve aujourd'hui dans ses discours. Quand il entre en politique, ce n'est pas pour «faire carrière», mais parce qu'il a passé des années à aider les familles menacées d'expulsion dans le Queens. C'est là, dit-il, qu'il a appris ce qu'est la politique : «un toit, un repas, une parole tenue.» L'ÉTHIQUE DU GESTE Mamdani ne se distingue pas par ses slogans, mais par ses actes. En 2021, alors député, il participe à une grève de la faim de quinze jours pour soutenir les chauffeurs de taxi new-yorkais étranglés par la dette. Un geste rare, presque archaïque, à l'heure des tweets et des talk-shows. Mais ce geste lui a valu 450 millions de dollars d'allégements pour ces travailleurs. Une victoire sociale, à l'ancienne. Dans un pays saturé de communication, l'action est redevenue un langage. C'est là tout le paradoxe Mamdani : il parle moins, mais agit mieux. Et cette cohérence, aujourd'hui, vaut plus qu'un million de followers. LA CAMPAGNE DU PAVÉ ET DU PIXEL Lorsqu'il déclare sa candidature à la mairie, en octobre 2024, la presse rit. Un député musulman de gauche, face à Andrew Cuomo, ancien gouverneur soutenu par Wall Street ? «Un fantasque», écrivent les chroniqueurs. Mais Mamdani a quelque chose que Cuomo n'a plus : le peuple. Avec 50 000 bénévoles et une stratégie fondée sur le porte-à-porte et les réseaux sociaux, il tisse une toile humaine. Les vidéos tournées depuis son téléphone, parfois entre deux bus, deviennent virales. Il explique la crise du logement en deux minutes, les impôts locaux en une phrase, et l'espoir en un sourire. Les jeunes le suivent, les travailleurs l'écoutent. Le 24 juin 2025, il remporte la primaire démocrate dès le premier tour. Le 4 novembre, il devient le 110I maire de New York. TRUMP DÉCOUVRE UN ADVERSAIRE IMPROBABLE À Washington, Donald Trump ne s'en remet pas. Il l'appelle «le communiste du Queens», «l'ennemi d'Israël», «le rappeur islamiste». Et menace de couper les fonds fédéraux à la ville. Mais Mamdani, loin de répondre à l'insulte, glisse une phrase tranquille : «Dans ce moment d'obscurité politique, New York sera la lumière.» Une phrase simple, mais qui a mis le feu aux réseaux. Là où Trump tonne, Mamdani murmure. Et l'Amérique découvre qu'il existe une autre manière de parler du pouvoir : sans colère, sans vengeance, mais avec la calme certitude de celui qui a connu la faim. MUSULMAN ET MAIRE DE NEW YORK Vingt-quatre ans après le 11 septembre, la ville des tours jumelles élit un musulman à sa tête. C'est un symbole d'une force inouïe, dans un pays encore hanté par sa propre peur. Issu de la communauté Khoja Shia, Mamdani défend un islam social, inclusif, presque universaliste : «L'ummah, pour moi, c'est tous ceux qui refusent l'indignité.» Ses adversaires y voient une menace, ses partisans un modèle. Mais ce qu'il impose, c'est un ton : celui d'un islam américain apaisé, qui ne cherche ni à s'excuser ni à s'imposer. Une foi comme moteur d'équité. Ce simple fait un musulman élu à New York suffira à occuper Trump quelque temps. UNE COALITION POPULAIRE INATTENDUE Sa victoire repose sur une alliance inhabituelle : immigrés bangladais, jeunes blancs progressistes, familles latinos, retraités juifs libéraux, chauffeurs de taxi, livreurs, professeurs. Tous ceux qui, d'ordinaire, ne se parlent pas. Tous unis par la fatigue du système. Mamdani ne leur a pas promis la lune, mais un peu de justice. Et cela a suffi. Sa campagne a redonné sens à une vieille idée que l'Amérique croyait perdue : que la politique peut encore servir à améliorer la vie ordinaire. LE POUVOIR ET SES LIMITES Reste à gouverner. Et là, les obstacles sont légion : un budget colossal mais contraint, une gouverneure hostile à toute hausse d'impôts, un président vindicatif, une bureaucratie tentaculaire. Ses promesses crèches gratuites, loyers gelés, bus municipaux gratuits coûtent des milliards. Mamdani le sait : il devra choisir entre le rêve et l'équilibre budgétaire. Mais il ne donne pas l'impression de vouloir trahir. Ses premières nominations annoncent un style sobre, collectif, ouvert aux syndicats et aux ONG. Un socialisme municipal du réel : moins de slogans, plus de solutions. CE QUE CETTE VICTOIRE RACONTE Le succès de Mamdani ne concerne pas que New York. Il révèle trois fractures profondes de l'Amérique contemporaine. 1. Le rejet de l'establishment : Cuomo a payé pour tous, symbole d'un système épuisé. 2. Le retour de la question sociale : Mamdani a remis la pauvreté au centre, un socialisme du quotidien. 3. La revanche de la jeunesse : les moins de 35 ans ont voté massivement, retrouvant un sens à la politique. ENTRE MYTHE ET IRONIE Mamdani ne fera pas de miracles. Trump, lui, fera tout pour l'en empêcher. Mais l'histoire n'est pas là. Ce qui compte, c'est que la plus grande ville du monde ait choisi un autre type d'homme : ni messie, ni homme d'affaires, mais un citoyen convaincu que la politique peut encore avoir une âme. Et si tout cela ne change pas le monde, cela aura au moins un mérite : faire réfléchir Donald Trump, peut-être même l'occuper un peu. Un peu de repos, après tout, ne lui ferait pas de mal. |
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