Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Sahara occidental: Le retour des logiques de guerre froide et la diplomatie des échanges

par Salah Lakoues

Entre rivalités de puissances, marchandisation diplomatique et décolonisation inachevée, le dossier du Sahara occidental illustre les fractures d'un ordre international en recomposition.

La nouvelle guerre froide : un monde à nouveau polarisé

Depuis le milieu des années 2010, les tensions internationales ont pris une tournure rappelant la guerre froide. Mais cette fois, les lignes de front sont multiples : Ukraine, Gaza, Taïwan, mer de Chine méridionale… Le monde n'est plus divisé entre deux blocs rigides, mais en pôles concurrents où s'affrontent visions du monde, intérêts économiques et stratégies militaires.

Les États-Unis, cherchant à préserver leur leadership, font face à la Russie et à la Chine, qui défendent l'émergence d'un ordre multipolaire fondé sur la souveraineté et la coopération régionale. Cette rivalité prend des formes nouvelles : guerres hybrides, pressions économiques, désinformation et alliances de circonstance. Symbole de cette tension croissante, Donald Trump a annoncé la possible reprise des essais nucléaires américains, interrompus depuis 1992. Ce retour à la logique de dissuasion renoue avec la rhétorique de confrontation nucléaire, rappelant les heures sombres de la première guerre froide et ravivant les craintes d'une nouvelle course aux armements. Ce climat d'escalade a des répercussions directes sur les zones de tension, notamment au Maghreb.

Le Sahara occidental : une décolonisation inachevée

L'histoire du Sahara occidental s'inscrit dans la longue durée du colonialisme européen. En 1884, l'Espagne a proclamé un protectorat sur la région du Río de Oro, officialisé par la Conférence de Berlin (1884-1885). Ce territoire n'avait aucun lien administratif ou politique avec le Maroc, qui ne fut placé sous protectorat franco-espagnol qu'en 1912. Constitué des provinces de Río de Oro et Saguia el-Hamra, le Sahara espagnol a été administré séparément jusqu'à la fin du régime colonial. Lorsque Madrid s'est retirée en 1975, la question du statut du territoire est restée non résolue. L'ONU continue de considérer le Sahara occidental comme un territoire non autonome, donc non décolonisé. Le Front Polisario, soutenu par l'Algérie, revendique l'autodétermination du peuple sahraoui, tandis que le Maroc défend un plan d'autonomie sous sa souveraineté.

Le biais médiatique occidental et le prisme géopolitique

Depuis 1975, la couverture médiatique occidentale des résolutions onusiennes sur le Sahara occidental a souvent été sélective et conforme aux intérêts diplomatiques des grandes puissances. Les médias ont mis en avant les positions soutenues par les États-Unis, la France ou le Royaume-Uni, tout en négligeant la dimension décoloniale et juridique du conflit. Pendant la première guerre froide, le Sahara occidental symbolisait déjà un affrontement entre deux blocs :

Le Maroc, adossé aux États-Unis et à l'OTAN

Le Front Polisario, appuyé par les pays du Mouvement des non-alignés. Aujourd'hui encore, la narration dominante privilégie les équilibres régionaux plutôt que le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, transformant une lutte anticoloniale en simple rivalité diplomatique.

Le «deal» Trump-Maroc-Israël : la diplomatie des échanges

Massad Boulos, conseiller de Donald Trump pour l'Afrique, a révélé la logique du vote américain à l'ONU en faveur du plan marocain d'autonomie :

Le Maroc a reconnu Israël, en échange de la reconnaissance américaine de sa souveraineté sur le Sahara occidental. Ce troc diplomatique, inscrit dans les Accords d'Abraham, illustre la nouvelle diplomatie transactionnelle qui prévaut à Washington :

Les droits des peuples deviennent une monnaie d'échange géopolitique et » un commerce des peuples » entre États. Soutenu par les États-Unis, la France et le Royaume-Uni, ce «deal» a renforcé la « légitimité » du Maroc sur la scène internationale.

Une victoire apparente, un processus inachevé

Si la récente résolution du Conseil de sécurité en octobre 2025, appuyée par les puissances occidentales, a été présentée comme une « victoire diplomatique » marocaine, elle ne règle rien sur le fond. La prolongation du mandat de la MINURSO (Mission des Nations unies pour l'organisation d'un référendum au Sahara occidental) montre que le cœur du problème demeure la décolonisation. Le référendum d'autodétermination, prévu depuis 1991, n'a jamais été organisé. Le statu quo persiste, maintenant un équilibre fragile entre diplomatie d'influence et légitimité historique. Pour l'Algérie, le Sahara occidental reste une question de principe, une lutte pour le respect du droit international et des résolutions de l'ONU sur les territoires non autonomes.

Le Sahara occidental au prisme du monde multipolaire

Dans le contexte actuel, le conflit sahraoui s'inscrit dans la recomposition globale du monde.

Alors que les puissances occidentales s'alignent sur une diplomatie d'intérêts, la Russie et la Chine soutiennent une lecture du conflit fondée sur la souveraineté et la noningérence. L'Algérie, fidèle à son engagement historique dans le mouvement des non-alignés, défend cette approche, voyant dans la question sahraouie le prolongement des luttes anticoloniales africaines. Le Sahara occidental devient ainsi un miroir des fractures du système international : D'un côté, un bloc occidental attaché à ses alliances stratégiques ; De l'autre, un Sud global qui réclame un ordre mondial plus juste, fondé sur le droit international et le respect des peuples.

La paix suspendue entre droit et puissance

Le dossier du Sahara occidental révèle toute la complexité d'un monde en transition. Entre les logiques de guerre froide, la diplomatie des deals et la résurgence nucléaire, le droit à l'autodétermination reste le grand oublié des calculs de puissance.

La prolongation du mandat de la MINURSO rappelle que la décolonisation n'est pas achevée.

Tant que le principe fondateur de l'ONU-le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes-restera subordonné aux rapports de force, le Sahara occidental demeurera un symbole des contradictions d'un ordre mondial en crise.