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Livres
Chroniques de la démesure - Recueil de nouvelles de Mohamed Sari. Manchourat El-Hibr, Alger 2025. 233 pages, 1200 dinars Nous avons donc, ici, des nouvelles mais aussi des chroniques de vie qui se croisent et qui nous décrivent avec détails toute une époque, avec ses hauts et ses bas, mais aussi et surtout avec ses instants de joie, d'amitiés et de bonheur tout simple... tout en ne manquant pas de dénoncer, clairement, les extrémismes et le charlatanisme. On notera seulement quelques éléments du discours qui semblent revenir sans cesse chez l'auteur et qui démontre sa grande sensibilité aux relations humaines. Quand il décrit son enfance et son adolescence au milieu d'une nature de (presque) rêve et un environnement humain (encore) supportable. Quand il raconte sa première rencontre avec son idole de l'époque, « l'homme au béret » (Tahar Ouettar) au temps béni du « Lotus » et quand il raconte sa grande peine à la disparition de Tahar Djaout. Quand il évoque ses « repères littéraires », qu'ils soient produits en français ou en arabe. Quand il décrit sa curiosité et son admiration pour sa « reine préférée », Cléopâtre Séléné. Quand il clame son rejet de la démence religieuse extrémiste qui a sévi et qui avait introduit la fitna au sein même des familles. Tout cela c.o.n.t.é et non pas seulement et simplement écrit, c'est-à-dire, mélangeant contes et réalités, faits vécus et espoirs, prose et écriture poétique,... le tout à lire sans s'arrêter. Et, comme le dit si bien l'auteur en 4ème de couverture: « Installez-vous à votre aise, sur la terre, sur des pierres, cramponnez-vous aux arbustes. Donnez-moi seulement vos oreilles, c'est tout ce que je demande, vos oreilles, rien de plus ». Un recueil de nouvelles et de chroniques de vie... qui s'écoute. Mais attention, pour les lecteurs d'un âge certain, gare à la nostalgie. Car, on ne guérit jamais de l'Algérie des années 60, 70 et 80. L'Auteur : Né à Cherchell en 1958. Diplômé de littérature moderne (Université d'Alger), romancier, traducteur, critique littéraire, journaliste. Il a traduit, entre autres, Mohamed Dib, Yasmina Khadra... Et écrivain bilingue (arabe-français). Il dit être « un polygame qui aime deux femmes » .Auteur de plusieurs ouvrages... Prix Escale littéraire d'Alger en 2016, avec « Pluies d'or » (Chihab Editions, Alger 2015), déjà présenté in Médiatic. A noter qu'il avait écrit un roman « La carte magique » sur les faux moudjahidine... refusé alors en Algérie, mais publié, plus tard... à Damas. Sommaire : 21 nouvelles... et chroniques Extraits : « Les fous, on les laissait errer tranquillement de jour comme de nuit, sans s'inquiéter de leur sort. Ils avaient leurs anges gardiens pour veiller sur eux » (p 77), « En Suède, les gens vivent comme dans un paradis et ils trouvent des raisons de se suicider. Et nous, on s'agrippe comme des forcenés à cette vie de rat d'égout » (p 120), « Les livres de bandes dessinées nous ont ouvert les yeux sur le monde, son histoire, ses contrées lointaines, ses guerres, ses villes mythiques. Ils nous avaient surtout appris à maîtriser un tant soit peu la langue française. Le cinéma a aussi joué un rôle important dans notre épanouissement, notre culture et notre apprentissage du français » (p 190), « Seule la démocratie et l'alternance du pouvoir avec des lois garde-fou en cas de dérive peut apporter le changement pacifique qui permet d'expérimenter de multiples projets de société, sans violence, et dans le respect de toutes les franges de la société » (p 215), « Après deux (ou, peut-être trois) générations qui ont goûté aux fruits mirifiques des livres, voilà qu'on rebrousse chemin, à travers d'autres sentiers, il est vrai, mais c'est quand même un retour vers le Livre unique qui n'accepte pas de concurrents. Seuls ceux qui gravitent dans son orbite ont droit au mouvement. Les autres, ceux qui ont la prétention de semer d'autres germes, d'autres senteurs, sont fustigés et menacés de pires châtiments » (p 220). Avis - Des nouvelles (et chroniques) qui ratissent large une société « à problèmes » et... le parcours de l'auteur. Un ton très réaliste et direct. Pour ce qui concerne les chroniques, je pense qu'il faut obligatoirement les dater, ceci pour mieux situer le moment du discours tenu. Citations : « Les histoires, ça fait rêver, ça fait aimer la vie, ça éloigne les angoisses, les désespoirs, voire les suicides, individuels et collectifs » (p10), « Avec la pratique, les frontières entre les deux langues s'éclatent, ou plutôt s'investissent l'une dans l'autre, s'enrichissent mutuellement car ce n'est pas le sens uniquement qui se transvase de l'une à l'autre, mais aussi les tournures de phrases, la sonorité des mots, le déplacement des mots de l'une à l'autre » (p 201), « La langue tire sa puissance de la puissance économique et scientifique du pays auquel elle appartient car les recherches et les découvertes se font par elle et pour elle » (p 209), « Notre société est soumise à une pression historique qui la garde prisonnière dans un carcan de vieilleries religieuses dont elle a du mal à s 'en sortir. Au lieu de chercher des solutions aux problèmes actuels, on se contente de regarder le passé et d'en tirer les plus mauvaises expériences, celles qui ont échoué à bâtir un État stable, durable, prospère » (p214), « La littérature algérienne est d'essence réaliste depuis toujours. Elle ne peut pas être à l'écart du mouvement et des pulsions de la société qui bouge à une cadence trop rapide» (p 217), «L'histoire est impitoyable envers les imposteurs qui dénaturent sa vérité. Elle finit toujours par ressortir à la surface et éclabousser ses auteurs, réhabiliter la mémoire des victimes. Les pouvoirs changent et les vérités cachées ou travesties finissent toujours par se savoir, et les criminels toujours dénoncés et leurs mémoires salies » (p 228). Aïzer, un enfant dans la guerre - Récit de Mohamed Sari, Editions Barzakh, Alger 2018, 800 dinars, 249 pages (Fiche de lecture déjà publiée en février 2029. Extraits pour rappel. Fiche complète inwww.almanach-dz.com/histoire/bibliotheque d'almanach) Aïzer, un village haut perché sur les hauteurs de Cherchell. C'est la guerre. Mohamed la raconte... sur la base de ses souvenirs de tout petit enfant (à peine 5 ans en 62... juste l'âge de souvenirs en flashes que le temps a effacé en bonne partie). En revenant sur les lieux de sa prime enfance, en compagnie de sa mère ; lieux auparavant défrichés, labourés et semés et, aujourd'hui, abandonnés, laissés en jachère... avec, pour seul habitant, un vieil homme, « le dos légèrement courbé... qui suivait un maigre troupeau vers l'oued aux quelques mares restantes... et aux illusions éteintes depuis belle lurette ». Mais, surtout, en faisant parler son père, un homme de la montagne, d'une témérité sans bornes, et ayant grandi à la « dure » (à quatorze ans, il était déjà parti travailler chez les colons, dans les fermes... pour gagner de l'argent et acheter ce qui manquait... « et Dieu sait que nous manquions de tout » ! ), qui va participer en tant que « moussebel » à la guerre de libération nationale et que les risques, les emprisonnements, la torture, les blessures n'arriveront jamais à décourager. Au contraire... (...) Il fait, aussi, parler sa mère... (...) Il fait parler la société environnante, faite de Berbères des montagnes et de citadins... se rencontrant à « Cherchell, la cité tant convoitée » (...) Il fait « parler » aussi les camps de « regroupement » (...) Lui aussi, le petit Mohamed, devenu un peu plus grand, parle... de l'indépendance et de la liesse populaire... et, surtout, de la découverte de la grande ville, Cherchell, une certaine et inoubliable journée du 5 juillet 1962. Un autre lieu de vie, un autre homme, une autre vie. Mais toujours un passé présent. L'Auteur : Voir plus haut Extrait : « Dans nos montagnes, les gens étaient pauvres, mais généreux et partageaient tout, pas comme aujourd'hui. Les richesses de l'indépendance ont perverti toutes nos valeurs » (p 18). Avis - Récit à la gloire de la famille, du père et de la résistance populaire (rurale) au colonialisme. (...). Et, que de vérités sur un passé trop idéalisé ! Citations : « La ville, c'était le rêve tant souhaité, surtout après le départ des Français. Le pays était à nous, et nous avions payé cher pour avoir enfin la liberté » (p 61), (...), « La vie en liberté et la ruée vers les biens abandonnés par les colons ont tout chamboulé : les hommes et les valeurs. On a vu les frères d'armes s'entre-tuer à coups de couteaux et les ennemis d'hier se transformer en amis de toujours pour gérer leurs intérêts communs. On ne distinguait plus le moudjahid du harki ou le chahid de celui qui avait été éliminé pour trahison et collaboration avec l'armée française » (p 96). |
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