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CRISE UKRAINIENNE D. Trump dans un «brouillard» clausewitzien

par Abdelhak Benelhadj

« Il ne peut pas y avoir de crise mondiale la semaine prochaine. Mon emploi du temps est déjà rempli. » (Henry Kissinger,1969)

Croire que le président américain et son équipe sont de grands enfants qui se jouent du droit, de la morale et du monde, participe du vade-mecum médiatique servi aux citoyens européens. Il est certes difficile, depuis la mi-janvier 2025, de discerner la trame géostratégique de la Maison Blanche. Mais si on ne sait pas comment, on sait peut-être pourquoi. Sauf plus amples événements et informations, les ennemis des Etats-Unis sont parfaitement identifiés : tout ce qui résiste à l'Oncle Sam est son ennemi.

Dès lors, l'Amérique ne se reconnaît que deux interlocuteurs qui méritent considération : la Chine et la Russie, à partir desquels dérive toute leur stratégie.

Hors de ce texte, tout est contexte.

Après le 28 février, advient le 17 octobre. « Eté comme hiver, c'est toujours l'hiver. »

V. Zelensky a été de nouveau proprement humilié (ainsi que l'Europe), alors qu'un conflit militaire majeur se déroule sur leur sol.

Le président ukrainien n'a rien obtenu et semble s'être déplacé à Washington pour rien. Il avait déclaré qu'il était venu à Washington avec une « proposition » : l'Ukraine fournirait aux Etats-Unis ses drones avancés, tandis que Washington vendrait à Kiev les missiles de croisière à longue portée Tomahawk (payés par les Européens).

Sa « proposition » a été clairement et explicitement rejetée. D. Trump a déclaré qu'il pensait que l'Ukraine fabriquait de « très bons » drones, mais a exprimé son refus net de fournir à l'Ukraine des Tomahawk.

On ignore dans quelle mesure l'échange téléphonique avec le président russe a pesé dans cette décision. Mieux. Sans que l'affront n'atteigne la méchante admonestation que V. Zelensky avait subie le 28 février dernier à la Maison Blanche, le président Ukrainien et toute la délégation qui l'a accompagnée, dont la Première ministre, ont été soumis à un traitement dégradant. La mise à mort a été relativement discrète (barbare après le retrait des journalistes et des caméras) mais tout aussi impitoyable. Chacun a pu en juger.

- Le président américain et les membres de son gouvernement faisaient face aux médias alors que la délégation ukrainienne et son président, placée face à D. Trump, devait se contorsionner pour écouter les questions posées par les journalistes et y répondre.

- L'accoutrement de Zelensky a fait l'objet de commentaires ironiques et déplacés de la part de D. Trump qui n'avait pas hésité à le critiquer en février. - Les questions posées avaient manifestement pour but de déstabiliser le président ukrainien qui a, tant bien que mal, évité les pièges qui lui étaient tendus par quelques journalistes résolus à le perturber.

- Des médias, ont fait état d'une rencontre houleuse, avec des interpellations du genre « Poutine va te détruire ». Pete Hegseth, secrétaire d'Etat à la Guerre, s'était même permis de porter une « cravate arborant les couleurs russes », blanc, bleu, rouge.

Le fait est que cette réunion est un échec patent pour l'Ukraine.

Washington enfonce le cloud en annonçant un prochain sommet Trump-Poutine.

Pour que le cloud soit bien enfoncé, D. Trump précise que la réunion devrait se tenir en Europe, toujours sans les Européens et pas n'importe où, à Budapest, le pays le plus rétif, le plus opposé à la politique étrangère de Bruxelles et (avec la Slovaquie et quelques autres) le plus proche de Moscou.

Ainsi, l'Union Européenne est cantonnée à regarder passer les trains, à servir de carpette fidèle et servile -comme elle le fait depuis 1945- à payer les armes américaines fournies aux Ukrainiens. Comment s'étonner dès lors que les Européens, comme d'habitude, aient été ignorés. Personne ne les a invités à participer à la moindre réunion. Personne, pour autant qu'on le sache, n'a sollicité leur avis, ni avant, ni après la réunion Trump-Zelensky. A l'évidence, l'Europe n'existe pas. C'est ainsi que le général G. Marshall l'avait inventée en 1948 à la suite d'un « Débarquement » qui était plus préoccupé de contrer l'avancée de l'Armée Rouge et d'occuper le plus d'Europe possible, que de libérer qui que ce soit.

L'Ukraine subit. Elle n'a aucun choix, aucune liberté de manoeuvre.

Seul, V. Zelensky a pris l'initiative personnelle vendredi, à la suite de l'entretien avec D. Trump à Washington, d'informer ses alliés européens (selon une source au sein de la délégation ukrainienne). Aucune précision n'a été donnée, sur l'identité des dirigeants européens concernés par cet appel téléphonique. Pour ainsi dire, les Européens suivent de manière clandestine le déroulement des événements. Cela ne les empêche pas de commenter et d'entretenir leurs illusions comme on peut le lire dans ces échanges dont l'incohérence semble échapper au média qui les rapporte :

« Nous soutenons fermement la position du président Trump selon laquelle les combats doivent cesser immédiatement, et que la ligne de contact actuelle doit servir de base pour les négociations », écrivent dans un communiqué conjoint Volodymyr Zelensky et certains dirigeants européens, parmi lesquels ceux de la France, du Royaume-Uni et de l'Allemagne. « Nous restons attachés au principe selon lequel les frontières internationales ne doivent pas être modifiées par la force », ajoutent toutefois ces dirigeants, qui s'engagent également à maintenir leur soutien à l'Ukraine afin qu'elle reste « dans la position la plus forte possible, avant, pendant et après tout cessez-le-feu ». (Le Monde, mardi 21 octobre 2025)

Géopolitique du Big Stick

La doctrine du Big Stick, ou diplomatie du gourdin, est une expression désignant la politique étrangère menée par le président Républicain Theodore Roosevelt (deux mandats 1901-1909) au début du XXe siècle1. Cette doctrine confère aux États-Unis le rôle de gendarme du continent américain et justifie leur intervention dans les affaires internes d'autres pays pour y maintenir une politique compatible avec les intérêts de ses entreprises. L'actualité sud-américaine en Equateur, en Colombie, au Pérou et la semaine dernière en Bolivie renseigne sur la volonté états-unienne de reprendre pied sur le versant sud de ce continent. On voit ce qu'il en est de l'agressivité belliciste de Washington contre le Venezuela. La différence est qu'aujourd'hui cette politique est étendue à toute la planète.

L'Europe et l'Ukraine sont dans une mauvaise passe. Entendons-nous bien : les dirigeants européens le savent parfaitement, depuis longtemps, et s'exécutent sans rechigner. Ce sont les citoyens européens qui ne sont pas dans la confidence probablement parce que c'est à eux que la facture de toute cette politique est destinée. « Quand on n'est pas à la table, on est au menu », dit l'adage.2

Il est à craindre que la situation de l'Europe soit infiniment plus grave : le pire qui puisse lui arriver est de n'être ni à table ni au menu.

De l'article V à la « loi F35 »

Pour comprendre la situation on peut prendre pour exemple pédagogique l'achat par les Européens de l'avion de combat F35 américain fabriqué par Lockheed-Martin.

Presque tous les pays européens l'ont commandé. Pêle-mêle : le Royaume uni, l'Allemagne3, les Pays-Bas, la Belgique, la Norvège, la Grèce (qui vient de renoncer à l'achat de nouveaux Rafale), la Roumanie, le Danemark, l'Italie, la Pologne, la République Tchèque, la Finlande...

Le F35 s'est imposé à l'Europe (Union ou pas, vu de Washington cela ne fait aucune différence). Plus exactement, c'est l'Europe qui se l'est imposée avec entrain à elle-même.

Le coût moyen unitaire d'un F-35A est de 82,5 millions de dollars (71,43 millions d'euros), de 109 millions de dollars pour un F-35B et de 102,1 millions de dollars pour un F-35C. Ces chiffres n'intègrent pas les coûts de maintenance à long terme. (Le Monde, 15 juin 2025) L'heure de vol d'un F35 : 60 000 euros. (Entre 2 et 6 fois plus qu'un Rafale selon les sources) La maintenance de l'avion est entièrement américaine. Elle implique un logiciel (de préparation de mission) à bord qui permet à tous les systèmes de fonctionner.

Il doit être connecté tous les mois aux Etats-Unis sous peine de rupture. Les Américains peuvent ainsi, à partir du Texas, réduire les capacités de l'avion, dégrader sa furtivité par exemple. En fait, les Européens n'ont pas acheté un avion pour se défendre, mais des menottes, ruineuses surcroît, pour les livrer pieds et poings liés à leur cynique et hyperpuissant « allié ». Ils y laissent leur prospérité et leur liberté, sans d'ailleurs aucune garantie de sécurité.

Singularité helvète

« Dans un monde de gangsters, il faut bien qu'il y ait un receleur », disait si justement le gaulliste (de l'époque où il en avait) Alexandre Sanguinetti, le frère d'Antoine.

Les pays « arriérés » ne devraient pas désespérer. La Suisse est la démonstration vivante et évidente qu'il est possible de faire des diamants avec du verre, de l'or avec du cuivre et du bon fromage avec de la bouse de ruminants. La géopolitique européenne, en moins de deux siècles, a fait d'une horde de mercenaires désœuvrés et de gardiens de troupeaux de vaches miséreux, une nation de gardiens de coffres-forts.4

Le « Bravos »5 du monde occidental a l'ambition de se placer là où la résultante des forces qui l'animent est nulle. C'est pourquoi, protégée par tous les gangsters de la planète, la Confédération n'a en réalité nul besoin de glaives et de boucliers.

Ne participant d'aucun système intégré de Défense, la Suisse entretient malgré cela un service militaire désuet et une armée (dont une marine...) qui tient à se doter d'une aviation sophistiquée composée de F35. Qui a vanté la frugalité des banquiers ?

Cet achat ne s'est pas fait sans accrocs.

L'Amérique rançonne le banquier helvète.

1er juillet 2025. Une commission parlementaire suisse annonce l'ouverture d'une enquête sur la gestion par le gouvernement de l'achat des 36 avions de combat américains F-35, pour lesquels les États-Unis réclament le 25 juin jusqu'à 1,3 milliard de dollars supplémentaires - en raison de surcoûts liés notamment à l'inflation (AFP). Selon Berne, la Suisse et les États-Unis avaient convenu contractuellement d'un prix ferme en 2022, d'un peu plus de 6 milliards de francs suisses (6,4 Md€). 05 août 2025. Sous la menace de droits de douane de 39%, la présidente de la Confédération helvétique, Karin Keller-Sutter, est dépêchée en urgence à Washington. Elle en repartira le lendemain les mains vides, sans avoir pu rencontrer ni D. Trump, ni les secrétaires chargés du commerce. Le « patron du monde libre » n'a pas de temps à consacrer à l'intendance.

11 août 2025. « A la niche ! ». Les Etats-Unis mettent leur menace sur le commerce suisse à exécution. Berne, par la voix de son ministre de la Défense6 se déclare alors prêt à acheter plus d'armes américaines pour apaiser la tension entre les deux pays : « Les achats militaires sont importants pour les relations avec les États-Unis ». Dans la foulée, il « maintient son projet d'acquisition des F35 », malgré les surcoûts.

A quelle autre tâche servirait le Big Stick ?

Un mythe français, le Rafale.

1.- Après avoir subi des échecs successifs, l'avion de combat français a eu plus de succès après 2015, grâce aux commandes de l'Inde, de l'Egypte et surtout du Qatar. Mais on oublie souvent de noter que c'est grâce à un seul pays que le Rafale a du succès : la France avec plus de 230 livraisons et plus de 50 commandes. La flotte française sert en même temps d'espace-tampon entre défense nationale et ventes à l'étranger.

2.- Certes, le Rafale est polyvalent et coûte nettement moins cher qu'un F35. Il est relativement bien adapté à la Défense de pays comme l'Indonésie ou l'Egypte.

3.- Mais il ne fait pas le poids face aux armadas américaines constituées d'avions sophistiqués très nombreux et surtout spécialisés, dédiés à une mission unique. Les attaques aériennes américaines sont conçues dans un ensemble qui intègre une multitude d'appareils et pas seulement des avions avec une orchestration sophistiquée où chacun d'eux entre en scène à tour de rôle. On en a eu un aperçu lors de l'attaque de l'Irak en 2003 et de l'Iran en avril dernier.

4.- Aucun pays européen d'importance n'achète l'avion français. Cela montre à la fois que la France pèse peu en Europe et surtout, plus grave, il n'existe pas de défense européenne et a très peu de chance de voir le jour. Les Etats-Unis ne le permettraient pas.

5.- Des pièces essentielles de la catapulte nécessaire au décollage du « Rafale marine », installée sur le Charles de Gaulle, sont américaines, ce qui pèse notablement sur la liberté de décision de Paris.

L'application des normes ITAR (International Traffic in Arms Regulations) soumet les exportations de missiles scalp (homologues des storm-shadow britanniques) au visa américain en raison de l'incorporation de « pièces » matérielles ou non venues de l'autre côté de l'Atlantique. Un Rafale sans scalp (Ô ironie !), c'est comme un fusil sans cartouches.

6.- C'est Dassault qui construit, qui vend des Rafale et qui en encaisse les bénéfices. Ce n'est pas la France. Les ministres français (de la Défense et des Affaires Etrangères)7 et leur président ne sont que des VRP au service du complexe militaro-industriel français et non au service d'une géopolitique proprement nationale. Il fut un temps où l'armement était une exclusivité de l'Etat français, au seul service de la France. Ce n'est plus le cas depuis longtemps. Même si la France avait une entière maîtrise de la production de son avion, cela ne changerait pas grand-chose à sa situation : la défense d'un pays n'est pas une addition d'armes. Une arme ne peut être pensée que dans un cadre systémique, un ensemble cohérent, de sa conception à son emploi avec une carte géostratégique qui sert les intérêts du pays dans sa globalité. L'intégration de la France dans l'OTAN, militairement et politiquement, réduit notablement l'intérêt stratégique de sa « force de dissuasion », comme celle d'ailleurs de sa voisine britannique qui de surcroît est entravée par un système de « double-clé ». Le résultat courant avant impôts de Dassault a triplé entre 2020 et 2024 (passant de 302 à 923 millions d'euros). Sur la même période, la marge opérationnelle est passée de 4,42 à 8,19. Il en est de même des autres producteurs et marchands d'armes (de moins en moins français) et les centaines de PMI qui gravitent autour : Thalès, Safran, MBDA, Naval Group, Nexter...

Nexter est devenu KNDS France, filiale du groupe européen franco-allemand KNDS, dirigé à partir des Pays-Bas par Tom Enders, un Teuton bon teint, ancien patron d'EADS.8

De même, le fusil d'assaut français (le « Famas ») a discrètement été remplacé par le HK 416 allemand que personne ne connaît. Les politiques et les médias français ont d'autres sujets de conversation.

L'européanisation des entreprises françaises, par-delà l'industrie de défense, a deux conséquences : Paris n'a que très marginalement la maîtrise des leviers de la décision et le contrôle de la fiscalité sur ces conglomérats échappent à Bercy.

S'étant décidé à se passer de stratégie autonome depuis l'époque gaullienne (la séquence giscardienne – cf. « Opération Apollon » - et surtout mitterrandienne sous les deux mandats Reagan, continuées fidèlement de N. Sarkozy à la présidence actuelle), la France est devenue une étagère où l'Amérique vient se servir en compétences (startup, ingénieurs, produits...) et en marchés9, ainsi qu'elle l'a fait depuis la fin de la dernière guerre dans le reste de l'Europe, en particulier au Royaume-Uni qui a été profondément et systématiquement saigné par son plus intime « allié ».

Le général de Gaulle se retournerait encore une fois dans sa tombe s'il n'en avait pas pris une régulière habitude depuis des décennies.

Comment les Américains (et les Européens) en sont-ils arrivés là ?

Un travail de fond ancien, limpide depuis 1945 mais qui a commencé dès la Première Guerre mondiale, avant, pendant et après. La peur des bolcheviks a sans doute contribué à rassembler en une légion commune les bourgeois des deux rives. La plus vieille a consenti à céder le gouvernail à la plus jeune, officiellement dès 1931 avec la dévaluation de la Livre Sterling. Trois guerres ont aussi affaibli durablement le « vieux continent » qui a perdu l'essentiel de ses empires coloniaux (britannique, espagnol, portugais, néerlandais, français...) au profit de Washington. Le centre de gravité de « l'Occident » a franchi l'Atlantique.

Le Big Stick de Théodore Roosevelt avait été précédé par une autre doctrine, celle de Monroe dès le début du XIXème siècle.

Tout cela demanderait un développement utile mais malheureusement incompatible avec l'espace dévolu à cet article.

La Bombe, un facteur majeur.

Pourquoi Russes et Chinois échappent-ils à ce sort, à cette si pesante domination ?

Il y a eu l'intermède B. Eltsine qui a guéri les Russes des vertus de la « liberté ». Pauvreté (locale et globale), inégalité, violence... plus aucun Russe ne voudrait en refaire l'expérience. En 2000, le PIB russe atteint à peine 65% de celui de l'URSS de 1989.

De nombreuses raisons expliquent le « retour » de la Russie, mais il y a une raison essentielle : l'armement nucléaire et les moyens nécessaires pour menacer de manière crédible le territoire des Etats-Unis d'une destruction totale, imparable et certaine. Et cela quel que soit le nombre et la sophistication des avions, des missiles, des satellites... américains. La puissance économique, technologique, commerciale... irrépressible de la Chine. Pékin se dote peu à peu de tous les moyens nécessaires pour que Washington n'ait aucune envie d'en troubler la sécurité.

En résumé, la stratégie américaine n'a jamais cessé d'être transparente. Sont ennemis tous ceux qui résistent à sa puissance et à sa volonté. « Avec moi ou contre moi » lançait Bush Jr. en 2003. Seule sa communication est sciemment brouillée pour troubler les esprits simples et aider les dirigeants européens à la faire consentir par leurs opinions publiques.

Guerre et territoires.

Pour ce qui concerne la crise en cours, les commentateurs se fourvoient à en faire une question territoriale. Les questions de frontières et partage de l'Ukraine son secondaires. La Russie, le premier pays du monde en surface, n'a que faire de kilomètres-carrés en plus. Un média allemand (Katapult magazin) insiste sur cette dimension territoriale qui remonte à une pensée archaïque d'avant le XXème siècle. (Cf. cartes plus bas)

Pour que les opinions publiques européennes qui renâclent à soutenir leurs gouvernements, se sentent concernées, il publie des cartes figurant ce que représentent les oblasts ukrainiens conquis par la Russie projetés sur leurs territoires nationaux : près de la moitié de l'Italie, un tiers de l'Allemagne, près de quatre fois la Belgique, un quart de la France. Si certaines régions ukrainiennes revêtent une dimension critique, comme c'est le cas des rives de la mer d'Azov, de la Crimée ou d'Odessa, le principal enjeu c'est le statut de l'Ukraine, ses futurs dirigeants et la dynamique otanienne d'extension vers l'est de l'Europe.

Ce n'est pas l'espace mais le temps qui l'enjeu majeur.

Que les Ukrainiens et ses alliés consentent à regarder la réalité en face pour espérer en tirer le meilleur parti ne change rien à l'affaire : « Nous soutenons fermement la position du président Trump selon laquelle les combats doivent cesser immédiatement, et que la ligne de contact actuelle doit servir de base pour les négociations », écrivent dans un communiqué conjoint Volodymyr Zelensky et certains dirigeants européens, parmi lesquels ceux de la France, du Royaume-Uni et de l'Allemagne.

Tout le monde a bien compris que dans cette déclaration équivoque, c'est l'arrêt des combats qui importe pour donner aux Ukrainiens le temps nécessaire pour reprendre les forces qui leur font de plus en plus défaut. La position russe a été constante depuis la conférence de Munich en 2007 où V. Poutine l'a clairement et calmement exposée.

Une prochaine rencontre est annoncée entre les présidents russe et américain. Les forces qui se cachent derrière les Européens et les Ukrainiens ne devraient se faire aucune illusion sur ses éventuels délibérés. Le branle-bas de combat en Europe dépêché, comme après la rencontre d'Anchorage en août, ne sera d'aucun secours à ceux qui courent éperdument derrière les événements. Qu'une nouvelle ait lieu ou non à Budapest (ou ailleurs), au fond pour les Russes cela n'a guère d'importance.

Zelensky était venu à Washington pour en repartir avec des Tomahawk. Poutine a aussitôt téléphoné à son homologue américain l'instruisant des conséquences d'une telle décision qui ne changerait pas plus l'état du front que ne l'a fait précédemment la fourniture d'armes « miraculeuses » à même de redonner à Kiev la victoire tant espérée : chars Abrams, Challenger, Leopard, F16, Himars, Canons Caesar, missiles Scalp, Shadow ou Patriot... et près de 20 paquets de sanctions n'y ont rien fait.

Zelensky est reparti les mains vides, la tête basse, de surcroît humilié par un Trump qui parlait russe comme Poutine. A quoi diable pourrait bien servir une rencontre de plus ?

Notes:

1 Un lointain cousinage les relie. Elliott, le fils de Theodore est le père d'Eleanor, la femme de Franklin.

2 Expression prêtée à l'américaine Ann Richards, régulièrement répétée par les médias, mais ses origines sont plus anciennes (remontent au moins à 1993) et a pris plusieurs formulations. C'est un politicien de Madison, dans le Wisconsin, en 2017, qui a attribué l'adage à Ann Richards, décédée plusieurs années plus tôt en 2006.

3 Qui en a acheté une trentaine, destinés à porter, comme la bombe atomique américaine (dont Berlin ne peut décider l'usage) et envisage en ce mois d'octobre 2025, d'en commander 15 F35A de plus, pour 2.5 Md€.

4 Lire la pièce de théâtre de G.-B. Shaw : Le Héros et le Soldat (Arms and the Man), 1894.

5 Cf. Games of Thrones.

6 Le nom des personnalités suisses qui dirigent le pays n'est connu de presque personne. C'est normal, il ne s'agit que de techniciens, de comptables qui arbitrent discrètement à l'ombre des transaction financières internationales. Il est bien connu que les Suisses ne font pas de politique, mais seulement des affaires...

7 Jean-Yves Le Drian, « socialiste » exemplaire, quel que soit son maroquin, payé par les contribuables de son pays, a été le plus brillant et le plus besogneux vendeur de la quincaillerie militaire française dans le monde.

8 KNDS est issu du rapprochement entre l'allemand Krauss-Maffei Wegmann (KMW) et le français Nexter. Il est un rival de l'allemand Rheinmetall tout en étant son partenaire dans la construction du char Leopard.

9 Depuis 1968, la France s'est américanisée à marche forcée, avec application et enthousiasme.

Lire. Regis Debray : Mai 68, une contre-révolution réussie. Mille et une nuits, 2008, 143 p

Civilisation : Comment nous sommes devenus américains. Gallimard, 2017, 240 p.

Ce ne sont pas les livres écrits sur la question qui manquent, mais les... lecteurs.

A titre anecdotique, la France est le deuxième marché de McDo après les Etats-Unis.