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Pour une diplomatie apaisée et constructive entre la France et l'Algérie: Retrouver le sens de l'avenir partagé

par Salah Lakoues

Le nouveau cycle diplomatique ouvert par Emmanuel Macron et Laurent Nuñez peut marquer un tournant dans les relations franco-algériennes - à condition d'assumer les blessures du passé, de clarifier les positions régionales et de replacer le dialogue au coeur de la Méditerranée multipolaire.

Une crise plus politique que mémorielle

Les relations entre la France et l'Algérie traversent l'une des périodes les plus délicates depuis la rupture des années 1990. Une crise que d'aucuns réduisent à un désaccord mémoriel, mais dont les racines sont avant tout politiques, diplomatiques et stratégiques. Derrière les mots, les symboles et les silences, c'est la question du respect mutuel, de la souveraineté et du rôle de chaque pays dans la région qui est posée. Le point de bascule est bien identifié : la reconnaissance implicite, en 2023, par Emmanuel Macron, de la « marocanité » du Sahara occidental.

Ce geste, interprété à Paris comme un signe de réalisme diplomatique pour consolider la relation franco-marocaine, a été perçu à Alger comme une trahison de la doctrine gaullienne d'indépendance et une atteinte à un principe cardinal de la politique étrangère algérienne : le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes.

L'Algérie, pour qui la cause sahraouie reste une question de décolonisation, y a vu un alignement français sur les thèses de Washington et de Madrid, contraire à l'esprit d'équilibre que la France revendique sur la scène internationale.

Le résultat fut immédiat : gel des visites bilatérales, tensions consulaires, méfiance généralisée. Le dialogue, déjà fragilisé par les polémiques sur la mémoire coloniale et les visas, s'est figé.

Cette fois, ce n'était plus une querelle de mots, mais une véritable fracture stratégique.

Les blessures du passé toujours présentes

Si la crise actuelle a une dimension géopolitique, elle reste indissociable des blessures historiques. Plus de soixante ans après l'indépendance, la mémoire de la colonisation et de la guerre d'Algérie demeure vive, chargée d'émotion et de rancune. Les gestes présidentiels de reconnaissance - du massacre du 17 octobre 1961 à la mort d'Ali Boumendjel - ont ouvert des brèches, mais jamais un chemin clair vers une réconciliation durable. Le 17 octobre 2025, plusieurs cérémonies de recueillement ont eu lieu à Paris.

Les collectifs associatifs engagés dans la défense de la mémoire des victimes du 17 octobre 1961 ont organisé leur rassemblement sur le pont Saint-Michel.

La Ville de Paris, de son côté, a tenu une cérémonie officielle et une minute de silence, à laquelle a pris part l'ambassadeur de France en Algérie, Stéphane Romatet, envoyé par l'Élysée.

Un geste discret mais hautement symbolique : Macron choisissait ainsi de relancer un dialogue gelé depuis près de deux ans, tout en évitant de transformer l'hommage en événement politique.

En Algérie, les commémorations se sont déroulées dans un cadre institutionnel et associatif, avec la participation de ministres, de représentants de la communauté nationale à l'étranger et le lancement d'un timbre commémoratif.

Ces gestes croisés - citoyens, municipaux et diplomatiques - traduisent une volonté d'apaisement, mais aussi un constat : le travail de mémoire ne peut plus être dissocié des enjeux politiques du présent.

Le changement de ton au ministère de l'Intérieur

La nomination de Laurent Nuñez à la place de Bruno Retailleau au ministère de l'Intérieur a marqué un tournant silencieux, mais significatif.

Le premier, réputé pour sa rigueur et sa fidélité institutionnelle, tranche avec son prédécesseur, dont les postures d'autorité et les déclarations tonitruantes semblaient davantage orientées vers les ambitions présidentielles de 2027 que vers la stabilité gouvernementale.

Retailleau parlait pour convaincre les plateaux télévisés ; Nuñez parle pour reconstruire la confiance. Son approche, pragmatique et respectueuse, vise à rétablir un dialogue technique avec Alger sur les questions migratoires et sécuritaires, loin des surenchères électorales. L'objectif est clair : sortir la politique algérienne du ministère de l'Intérieur de la logique punitive qui a miné la coopération bilatérale.

Ce changement de ton, encouragé par l'Élysée, a permis de renouer des échanges discrets entre les deux administrations.

Pour Macron, affaibli sur la scène intérieure et contesté sur la scène internationale, l'apaisement avec Alger devient une nécessité diplomatique et stratégique.

L'Algérie, pilier d'un monde multipolaire

Face à une Europe fragmentée et à un monde en recomposition, l'Algérie s'affirme comme une puissance régionale autonome.

Sa politique étrangère, marquée par le non-alignement actif, lui permet de dialoguer à la fois avec Moscou, Pékin, les BRICS, et ses partenaires africains.

Cette diplomatie d'équilibre, héritée du mouvement des non-alignés, place Alger dans une position de pivot entre le Nord et le Sud, entre la Méditerranée et l'Afrique.

Mais l'Algérie sait que sa stabilité intérieure et son développement économique passent aussi par une relation apaisée avec l'Europe - et d'abord avec la France, partenaire historique et première destination de sa diaspora.

C'est pourquoi Alger préfère aujourd'hui la fermeté à la rupture : elle exige le respect de ses positions régionales, tout en restant ouverte à une coopération fondée sur la réciprocité. Sur le plan intérieur, le pays consolide ses réformes économiques et son développement social, notamment à travers la mise en valeur du Sud et des Hauts Plateaux, le développement des énergies renouvelables et la modernisation agricole.

Cette transformation structurelle donne à la diplomatie algérienne une nouvelle assurance : celle d'un pays qui n'attend plus la validation d'autrui pour exister sur la scène internationale. La Méditerranée, un carrefour stratégique à réinventer. Le monde multipolaire qui émerge ne redéfinit pas seulement les rapports de force globaux ; il transforme aussi la Méditerranée.

Entre l'Afrique du Nord, le Moyen-Orient et l'Europe, cet espace redeviendra, dans les décennies à venir, un centre de gravité stratégique pour les équilibres énergétiques, migratoires et sécuritaires. L'Union européenne, longtemps repliée sur elle-même, ne peut plus se permettre d'ignorer ce fait. La France a, dans cette recomposition, une responsabilité particulière.

En Méditerranée, elle ne peut pas prétendre au leadership si elle n'est pas capable de construire des partenariats équilibrés avec ses voisins du Sud. Le temps des tutelles symboliques et des « petits arrangements » diplomatiques est révolu. Les peuples réclament du respect, de la clarté et de la cohérence.

L'Algérie, forte de sa légitimité historique et de son poids énergétique, peut être un acteur central de cette nouvelle Méditerranée.

La coopération énergétique, la gestion des flux migratoires, la lutte contre le réchauffement climatique ou encore la sécurité régionale sont autant de domaines où Paris et Alger peuvent avancer ensemble - à condition de dépasser les réflexes de suspicion mutuelle.

Pour une diplomatie lucide et sincère

La relation franco-algérienne n'a jamais été une relation comme les autres.

Elle est affective, souvent passionnelle, parfois blessante. Mais elle reste unique, parce qu'elle mêle la mémoire, la langue, la diaspora, la culture et la géographie.

Pour sortir de la crise, il faut désormais une diplomatie du respect.

Une diplomatie lucide, débarrassée des postures moralisantes et des calculs électoraux.

Les deux peuples, fatigués des polémiques, aspirent à une relation fondée sur la vérité et la réciprocité.

Cela suppose des gestes forts :

La reconnaissance pleine et entière des crimes coloniaux en France, sans relativisme ni équivoque ;

La réouverture d'un dialogue d'État à État sur les grands dossiers (économie, migration, culture, environnement) ;

La valorisation des diasporas comme acteurs de ponts culturels et économiques ;

Et enfin, une vision partagée de la Méditerranée comme espace de coopération, non de confrontation.

Tourner la page des rancunes pour écrire celle des solutions

La crise née du dossier sahraoui a montré combien les relations franco-algériennes restent fragiles.

Mais elle a aussi rappelé leur profondeur.

Aucune autre relation bilatérale, pour la France, n'a autant de résonance humaine et symbolique.

Et aucune autre, pour l'Algérie, n'a autant de poids diplomatique et culturel.

En envoyant son ambassadeur à la cérémonie du 17 octobre, Emmanuel Macron a tenté d'amorcer une désescalade prudente.

L'Algérie, en répondant avec retenue, a préféré la dignité au conflit.

Ces signaux faibles, dans un monde instable, valent plus qu'une poignée de main officielle.

Le moment est venu de passer de la diplomatie des émotions à celle de la lucidité.

Dans un monde multipolaire où l'Europe et la Méditerranée doivent redéfinir leurs équilibres, la France et l'Algérie ont une responsabilité partagée : transformer le poids du passé en moteur d'avenir.

Leur histoire les lie.

Leur avenir les oblige.

Et leur dialogue, s'il redevient sincère, pourrait redevenir un modèle - non pas d'amnésie, mais de maturité politique.