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Novembre - La patrie qui a choisi de renaître de ses cendres

par Laâla Bechetoula

Prélude : Quand la patrie a respiré pour la première fois

Connaissez-vous cet instant où le noyé sort de l'eau et emplit ses poumons d'air ? Cet instant où le cœur se remet à battre après avoir failli s'arrêter ?

La nuit du premier novembre 1954 fut exactement cet instant-là.

Ce n'était pas une simple date à retenir, ni un anniversaire à célébrer machinalement. C'était un souffle — le souffle d'une Algérie qui sortait de sous les montagnes du silence et de l'oppression. C'était le cri d'un amant qui refusait de voir mourir son bien-aimé, qui décidait de l'arracher aux griffes de la mort, même si cela devait lui coûter la vie.

Cette nuit-là, l'Algérie n'a pas dit au monde «Je suis là», mais plutôt : «Je vis, je vivrai, et personne d'autre que moi ne m'écrira.»

Novembre n'était pas qu'un soulèvement politique. C'était un poème d'amour écrit avec du sang, une lettre d'un peuple à sa terre, dans laquelle il disait : « Je ne t'abandonnerai jamais, quelle que soit la longueur de la nuit. »

Et depuis cette nuit, l'Algérie n'a plus été un simple pays sur la carte. Elle est devenue une idée qu'on étreint, une patrie qui habite l'âme avant d'habiter les pieds.

Chapitre Premier : Quand les amoureux ont écrit leur manifeste avec des larmes et de la poudre

Imaginez avec moi :

Vingt-deux jeunes hommes, sans fortune ni pouvoir, sans armées ni ambassades, assis dans une petite pièce, leurs cœurs battant plus vite que les horloges, leurs mains tremblant en tenant la plume.

Ils savaient qu'ils écrivaient leur testament, mais ils l'ont écrit avec l'amour de celui qui ne craint pas la mort parce qu'il meurt pour ce qu'il aime.

La Proclamation du 1er novembre n'était pas un document politique aride. C'était une lettre d'amour adressée à chaque Algérien pas encore né, lui disant :

« Nous mourrons maintenant, pour que tu vives libre. »

Quand vous lisez les mots de la Proclamation aujourd'hui, vous sentez qu'ils ne sont pas simplement écrits, mais que ce sont des cœurs qui palpitent :

« Nous voulons un État démocratique et social dans le cadre des principes islamiques. »

Entendez-vous le pouls dans cette phrase ?

Sentez-vous l'amour dans cette promesse ?

Ils ne demandaient pas le pouvoir. Ils rêvaient d'une patrie digne de ses martyrs, d'une république qui traiterait l'homme comme un homme, pas comme un numéro ou une ombre.

Mais entre le novembre du rêve et le novembre d'aujourd'hui, certains mots se sont perdus en chemin. La Proclamation s'est transformée, passant d'un cri du cœur à un texte qu'on récite lors des commémorations.

Nous évoquons les martyrs dans les discours, mais nous avons oublié de les aimer comme ils nous ont aimés. Nous avons oublié que novembre n'était pas seulement une révolution contre la France, mais une révolution contre l'oubli, contre l'indifférence, contre la trahison.

Chapitre Deux : L'Algérie qui cherche son reflet dans le miroir brisé

Soixante-dix ans, et l'Algérie se demande encore chaque matin :

« Suis-je à la hauteur du rêve ? »

Dans les grandes villes, on célèbre novembre comme un festival : banderoles, drapeaux, discours officiels. Mais dans les villages lointains, dans les montagnes qui ont été témoins des batailles, on le célèbre par le silence.

Un silence lourd, chargé de regrets, comme s'il murmurait :

«Nous avons tout sacrifié... où est passé tout cela ?»

Allez dans n'importe quel petit village d'Algérie, vous trouverez la tombe d'un martyr dont personne ne connaît le nom, mais que les vieilles femmes visitent chaque vendredi. Elles y déposent des fleurs et disent d'une voix étouffée :

« Que Dieu ait ton âme, mon fils... Tu méritais mieux que cela. »

Quand vous lisez la Proclamation de novembre aujourd'hui, vous avez l'impression qu'elle parle de l'avenir, pas du passé :

« Indépendance complète, justice sociale, dignité pour tous... »

Comme si la révolution n'était pas terminée. Comme si elle attendait encore que nous l'achevions. L'indépendance politique a été réalisée, oui. Mais l'indépendance spirituelle, cette indépendance qui fait marcher l'homme la tête haute, reste un rêve.

Novembre ne réclamait pas un siège, mais réclamait la dignité.

Et nous aujourd'hui, dans un pays qui possède tout sauf la confiance en lui-même, nous devons nous rappeler que la liberté ne se mesure pas aux cartes, mais aux cœurs.

Chapitre Trois : Le colonialisme n'est pas parti, il a juste changé d'habit

Nous parlons du colonialisme comme s'il était un souvenir du passé. Mais la vérité, c'est que le colonialisme ne meurt pas, il se réincarne sous de nouvelles formes.

Aujourd'hui, ce n'est pas la terre qu'on colonise, mais les esprits.

On n'occupe pas la patrie avec des chars, mais avec des idées empoisonnées qui nous font nous mépriser nous-mêmes, douter de notre histoire, avoir honte de notre langue.

Novembre était une rébellion contre l'idée de capitulation. C'était un refus d'accepter la mort lente.

Et aujourd'hui, quand nous voyons des jeunes émigrer parce qu'ils ne trouvent pas leur place dans leur patrie, quand nous voyons un simple citoyen avoir peur de rêver, nous réalisons que la bataille n'est pas terminée.

L'esprit de novembre ne se mesure pas au nombre de morts, mais au nombre de vivants qui croient encore.

Du Sahara à la mer, de l'Aurès à Tlemcen, la voix de novembre résonne encore dans les rues, mais elle est devenue faible, attendant quelqu'un pour la capter, pour lui redonner son sens.

Les patries ne meurent pas quand elles sont vaincues, mais quand elles cessent de rêver.

Chapitre Quatre : De l'Aurès à Gaza - L'amour qui ne connaît pas de frontières

Novembre n'était pas seulement algérien. C'était un message à tous les opprimés :

«Ne vous rendez pas. La liberté s'arrache.»

Quand vous voyez aujourd'hui un enfant palestinien courir sous les bombardements, vous le voyez comme si c'était un enfant algérien des années cinquante.

Quand vous voyez une mère serrer contre elle son fils martyr à Gaza, vous la voyez comme si c'était une mère de la Casbah ou de Batna.

L'esprit de novembre n'est pas mort, il s'est déplacé. Des montagnes de l'Aurès aux ruelles de Rafah, des forêts de Kabylie aux rues de Jénine.

Le message est le même :

« Ne transige pas sur la dignité, même s'ils t'offrent le monde entier. »

Celui qui abandonne la Palestine abandonne novembre.

Celui qui justifie l'injustice n'importe où éteint une bougie de notre révolution.

Novembre n'appartient pas qu'aux Algériens. Il appartient à tous ceux qui refusent de vivre à genoux.

Chapitre Cinq : Le Sud - Là où bat le cœur de la patrie

Au cœur du Sahara, sous le vaste ciel de Laghouat, où la nuit est plus longue et les étoiles plus proches, novembre n'est pas une date, mais une âme qui flotte dans l'air.

Là-bas, dans les petits cafés, dans les conversations des bergers au crépuscule, dans les regards des vieilles qui portent mille histoires, on raconte novembre comme s'il s'était produit hier.

Personne ne parle de politique, mais tout le monde parle d'amour.

L'amour de la terre, l'amour de la liberté, l'amour de mourir debout plutôt que de vivre à genoux.

Ici, où la terre connaît le sens de l'attente, se révèle le véritable sens de la patrie :

La patrie n'est pas la grande capitale, ni les palais luxueux. C'est ce village où l'électricité arrive en retard, et qui pourtant hisse le drapeau chaque matin en disant :

« Vive l'Algérie. »

Novembre n'est pas un événement annuel, mais une habitude quotidienne :

Le paysan la pratique quand il sème malgré la sécheresse,

L'enseignant quand il enseigne malgré le salaire dérisoire,

Le jeune quand il décide de ne pas émigrer et de construire sa patrie de ses propres mains,

Chapitre Six : Un nouveau manifeste - Pour une révolution inachevée

Aujourd'hui, nous avons besoin d'un nouveau manifeste de novembre.

Non pas pour déclarer une guerre, mais pour déclarer une renaissance.

Un manifeste qui dit :

« Nous avons libéré la terre, maintenant nous devons libérer l'homme. »

Le libérer de la peur, de l'ignorance, du désespoir.

Si le manifeste de 54 disait :

« Libération de la patrie et construction d'un État démocratique et social »,

Le manifeste d'aujourd'hui doit dire :

« Construction d'un homme libre qui pense, qui rêve, qui construit, et qui n'a pas peur. »

La liberté dont rêvaient les martyrs n'était pas simplement hisser un drapeau. C'était la liberté de dire « non » sans être emprisonné, la liberté de rêver sans être accusé, la liberté d'aimer sa patrie sans être obligé de se taire.

C'est le véritable examen d'une indépendance encore en phase d'expérimentation.

Chapitre Sept : L'Algérie à venir - Quand l'aube naît du ventre de la douleur

Certains diront que l'Algérie est fatiguée. Mais les patries ne se fatiguent pas — ce sont leurs enfants qui se fatiguent parfois.

Et l'Algérie, comme une mère, plus le temps l'épuise, plus elle devient tendre.

Dans les visages des jeunes qui plantent l'espoir malgré le chômage,

Dans les yeux des paysans qui attendent la pluie comme on attend un miracle,

Dans les voix des intellectuels qui écrivent sans récompense,

Il y a quelque chose qui s'appelle le deuxième novembre.

Une révolution silencieuse, mais elle arrive.

Elle ne tirera pas de coups de feu, mais elle libérera la conscience.

Elle ne lèvera pas de drapeaux, mais elle plantera la question.

Et la question, en temps de stagnation, est la forme de résistance la plus dangereuse.

Épilogue : Vive l'Algérie - Car l'amour est plus fort que la mort

Au final, novembre n'est pas une célébration, mais un rendez-vous entre nous et nous-mêmes.

Chaque année, nous nous demandons :

«Méritons-nous encore le nom d'Algérie ?»

La réponse n'est pas dans les discours officiels,

Mais dans les consciences des gens, dans la sincérité des actes, dans l'amour que nous portons à cette terre.

Novembre ne veut pas nos larmes,

Ne veut pas nos applaudissements,

Mais veut que nous soyons à son image :

Libres, courageux, amoureux.

Amoureux d'une patrie qui peut nous décevoir parfois, mais que nous ne décevrons jamais.

Parce que le véritable amour ne se rend pas,

Et la véritable patrie ne se vend pas.

Vive l'Algérie

Parce que le rêve n'est pas mort,

Parce que dans cette terre naît toujours une aube après chaque longue nuit,

Parce que dans le cœur de chaque Algérien brûle une bougie qui ne s'éteindra jamais, quels que soient les vents.

Novembre n'est pas une date. C'est un cœur... Et ce cœur bat encore.

Et dans chaque battement résonne une promesse, une mélancolie, une espérance : que nous saurons, un jour, être dignes de ceux qui sont tombés pour que nous puissions marcher libres.