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Les nouveaux harkis d'Israël : quand Ghaza rejoue la tragédie algérienne
par Laala Bechetoula
«L'histoire ne se répète
pas, elle insiste.» Albert Camus
Tribune Alors que Ghaza s'enfonce dans un chaos soigneusement entretenu, Israël réactive une vieille stratégie coloniale : fabriquer des collaborateurs locaux pour combattre à sa place. Comme en Algérie autrefois, l'occupant délègue sa guerre à des supplétifs qu'il abandonnera ensuite dans la honte. Les «nouveaux harkis» de Ghaza rejouent aujourd'hui la tragédie morale de 1962. I. L'histoire se répète sous d'autres uniformes Dans les années 1950, la France coloniale inventait un mot qu'elle ne savait pas qu'elle allait maudire : harki. Derrière ce mot, il y avait des hommes souvent pauvres, souvent manipulés enrôlés pour combattre leurs frères, encadrés par l'armée française, sous prétexte de «maintenir l'ordre» dans un pays en insurrection. Ils devaient «protéger les civils», «stabiliser les villages», «aider la France à rétablir la paix». En réalité, ils étaient l'arme morale du désordre colonial. Soixante-dix ans plus tard, sur les ruines fumantes de Ghaza, l'histoire se rejoue presque mot pour mot. Des clans palestiniens armés, financés et protégés par Israël, sont utilisés pour «combattre le Hamas» et «aider à rétablir l'ordre». À la télévision, Benjamin Netanyahou parle d'eux comme de forces locales anti-terroristes ; dans la rue, les Ghazaouis les appellent déjà les harkis de l'occupation. II. Le précédent algérien : quand l'occupant fabrique la trahison Pendant la guerre de libération algérienne, la France avait compris que les bombes ne suffisaient pas. Elle avait besoin d'Algériens pour combattre d'autres Algériens. Ainsi naquirent les groupes de supplétifs, enrôlés par promesse de sécurité, de salaire, ou de pardon. Ils étaient les yeux, les oreilles et les bras d'un empire en fin de souffle. Quand la guerre prit fin, la France les abandonna. Et l'Algérie les rejeta. Leur sort reste à ce jour l'une des plaies ouvertes les plus douloureuses de notre mémoire nationale. Ce que la France avait appelé «pacification» n'était qu'une instrumentalisation du frère contre le frère. L'ennemi n'était plus seulement extérieur ; il devenait intime, domestiqué. Le colonisateur, lui, se drapait dans la moralité : «Ce sont eux qui se tuent entre eux.» Israël reprend aujourd'hui cette logique coloniale, presque mot pour mot. III. Les clans activés de Ghaza : Israël et la fabrication du chaos Depuis juin 2025, des médias internationaux The Guardian, Le Monde, Associated Press, Haaretz ont révélé qu'Israël a armé et protégé plusieurs groupes palestiniens opposés au Hamas, notamment celui de Yasser Abu Shabab à Rafah. Ces groupes, parfois présentés comme forces locales anti-terroristes, sont en réalité des milices criminelles, issues de tribus frontalières engagées dans la contrebande et le trafic d'aide humanitaire. «Nous avons activé des clans à Ghaza pour nous aider à combattre le Hamas», a déclaré Netanyahou, «cela permet de sauver des vies de soldats israéliens.» Mais derrière la rhétorique de la sécurité, c'est une stratégie coloniale classique : diviser pour régner, déléguer pour dominer. Les clans activés fonctionnent comme les harkis d'hier : des collaborateurs armés, rendus indispensables à la machine militaire de l'occupant, puis destinés à être sacrifiés dès que leur utilité s'éteint. IV. Une guerre par procuration morale La tragédie des harkis d'hier et celle de Ghaza d'aujourd'hui ont un point commun : le mensonge moral. Dans les deux cas, le colonisateur prétend ne pas faire la guerre au peuple, mais au terrorisme. Dans les deux cas, il recrute des indigènes pour dire : «Regardez, ce sont vos frères qui combattent le mal.» Et dans les deux cas, il s'en lave les mains lorsque les corps s'empilent. La France disait : «Ce ne sont pas nos bombes, ce sont vos haines.» Israël dit : «Ce ne sont pas nos balles, ce sont vos clans.» Le principe est identique : externaliser la violence, internaliser la division. Faire de la victime un instrument de sa propre destruction. V. L'arme du chaos À Ghaza, ces milices n'ont pas ramené la paix : elles ont ajouté la peur. Elles pillent les camions d'aide humanitaire, rackettent les réfugiés, imposent des barrages dans les zones protégées. Leur rôle n'est pas d'administrer, mais d'affaiblir toute idée d'État palestinien autonome. Ce sont les relais du désordre. Israël n'a pas simplement sous-traité sa guerre : il a sous-traité sa culpabilité. VI. Les leçons de l'Histoire : l'honneur ne se privatise pas Les harkis de 1962 et ceux de 2025 partagent un même destin : celui de l'homme piégé entre la misère et la peur, entre la survie et l'honneur. Dans les deux cas, la trahison n'est pas née du mal, mais du désespoir organisé. On a armé des ventres affamés pour leur faire croire qu'ils combattaient pour un idéal. Mais la faim ne fait pas de doctrine. Et l'arme donnée par le colonisateur finit toujours par pointer vers son donateur. VII. Une mémoire pour Ghaza L'Algérie a payé cher ses harkis. Non parce qu'ils étaient traîtres, mais parce qu'ils rappelaient au peuple tout ce que l'oppression peut faire de l'humain. Aujourd'hui, Ghaza vit la même fracture morale. Demain, lorsque les bombardements s'arrêteront et que la poussière retombera sur les ruines, il restera ces questions : Qui a trahi ? Qui a survécu ? Et surtout : qui a manipulé cette trahison ? L'histoire retiendra que dans Ghaza 2025, comme dans l'Algérie 1959, le colonisateur n'a pas seulement bombardé des maisons : il a fabriqué des collaborateurs pour mieux détruire l'âme du peuple. |
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