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La nouvelle mission du ministre de l'Energie

par Abed Charef

Le nouveau ministre de l'Energie, M. Salah Kherbi, n'a guère d'alternatives. Sa principale mission sera de convaincre le pays qu'il faut changer de cap, non de produire plus de pétrole.

L'Algérie n'a rien à attendre de l'OPEP. La réunion mi nistérielle tenue vendredi dernier à Vienne a maintenu le statuquo sur les quotas, signifiant clairement que l'organisation refuse de s'engager à peser sur les prix durant les six prochains mois. Alors que les prix oscillaient autour de 60 dollars le baril, reprenant près de 20 dollars par rapport au creux du début de l'année, l'OPEP maintient donc une démarche fondée sur une abondance de l'offre, en vue de reconquérir ses parts de marché et de mettre en difficulté les nouveaux concurrents producteurs de pétrole de schiste.

Rien, non plus, à attendre de l'Arabie Saoudite qui, non seulement a poussé les prix du pétrole vers le bas, mais qui s'est permis de narguer l'Algérie en lui reprochant de ne pas en faire assez dans la lutte antiterroriste. Ryadh montre ainsi clairement qu'elle n'a pas l'intention de ménager l'Algérie, ni de tenir compte de la fragilité de ses équilibres financiers.

Sur les autres fronts liés au pétrole, il n'y a pas d'embellie à attendre. La Russie, premier producteur mondial, inonde elle aussi le marché, et se montre peu disposée à jouer le rôle de régulateur abandonné par l'Arabie Saoudite. L'Iran veut mettre rapidement un million de barils supplémentaires dès que la levée des sanctions occidentales, prévue à la fin du mois de juin, le lui permettra. L'Irak veut doubler sa production pour satisfaire les besoins d'un pays en guerre et en état de dislocation. Il en est de même de la Libye, alors que le marché du pétrole enregistre déjà un excédent significatif.

LA DISCRETION DE M. KHERBI

Ailleurs, l'Europe s'installe dans une ère post-pétrole: la consommation d'énergie y a baissé de 4.5% en 2014, en partie à cause du mauvais état de l'économie, mais essentiellement à cause de politiques volontaristes d'économie d'énergie et de transition énergétique.

Il ne reste donc que la Chine et, à un degré moindre, les autres pays émergents pour remonter le moral des pays exportateurs de pétrole. Les émergents continuent d'enregistrer une hausse des importations de pétrole, selon une tendance sur laquelle s'accordent les spécialistes: Inde et Chine continueront à augmenter leur consommation, qui part encore de très bas, pour de longues décennies encore. Jusqu'à ce que le niveau de vie se rapproche de celui des pays dits riches. Ce qui revient, pour l'Algérie, à devenir un grand supporter des pays émergents, pour espérer conserver des recettes extérieures suffisantes en vue de maintenir les grands équilibres et préserver la paix sociale. C'est un enjeu déterminant. Dans le court et moyen termes, l'Algérie n'a pas la possibilité de se lancer dans un programme de réformes susceptible de relancer son économie et d'y diminuer le poids des hydrocarbures. Il faudrait, pour cela, un gouvernement disposant d'un minimum d'assise populaire et d'un savoir-faire avéré. Ce qui n'est pas le cas. Il suffit d'écouter les mesures préconisées par MM. Abdelmalek Sellal et Amara Benyounès pour s'en rendre compte.

Le nouveau ministre de l'Energie, M. Salah Kherbi, reste de son côté dans un silence quasi religieux. En dehors d'un texte très convenu, prononcé lors d'une rencontre avec les cadres du secteur, le jour même de l'installation du nouveau PDG de Sonatrach, il n'a pas dit un mot. Même à Vienne, où il participé à la réunion de l'OPEP, il n'y a pas eu d'écho de ses déclarations. Comme s'il avait admis que l'Algérie n'est plus en mesure d'influer sur les décisions de l'OPEP.

DETERMINATION

Il ne lui reste plus qu'à en tirer les conséquences pour l'économie algérienne. Il est, théoriquement, le mieux placé pour convaincre ses collègues du gouvernement d'abord, et l'Algérie ensuite, que le temps des vaches maigres est là, et pour longtemps. Pour les convaincre aussi que le pays a besoin de changer de comportement, et que même si le prix du pétrole devait un jour repartir vers le haut, le pays a tout intérêt à changer de modèle.

En a-t-il la force, le courage politique et la détermination ? C'est une autre histoire. Mais c'est sur ce terrain que M. Kherbi est attendu.

Personne ne lui en voudra si la production algérienne d'hydrocarbures ne connaît pas un boom dans le court terme. Il n'aura rien à se reprocher si le prix du pétrole ne remonte pas, et si les recettes extérieures du pays ne se rétablissent pas.

Par contre, M. Kherbi portera une lourde responsabilité si le pays continue à vivre de la rente, ou de l'illusion que la rente reviendra un jour.

Il portera le fardeau de l'échec si l'Algérie ne freine pas la hausse effrénée de la consommation interne, si elle ne réussit pas à s'engager dans une transition énergétique raisonnable, et si les prix du carburant continuent à être soutenus à près de 80%. L'Algérie, qui a subi les frasques de Chakib Khelil et l'immobilisme de Youcef Yousfi, ne peut pas supporter un nouveau mandat à blanc de M. Kherbi.