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Le changement, c'est pour quand ?

par Mohammed Beghdad

Après chaque nouvelle nomination d'un ministre comme le fut au début du week-end précédent, ce sont tous les responsables du secteur, plus particulièrement ceux qui ont été placés par l'ancien ou par ses collaborateurs les plus proches, qui commencent à s'inquiéter de leur étoile montante et de leur percée fulgurante.

C'est la panique à bord surtout lorsqu'on vient de nulle part en grillant au passage toutes les étapes conventionnelles.

Quand on a été nommé, pas sur une liste d'aptitude de compétences et d'intégrité morale, mais sur une liste noire à partir de son carnet d'adresses ou par des méthodes loin d'être universelles.

En attendant, ils se font actuellement tout petits en attendant que leurs sorts soient définitivement scellés. Ils réfléchissent comment changer d'attitude en fonction de la pensée du nouveau, selon ses désirs et ses interdits. Il faut imaginer ce qu'il adore de ce qu'il exècre. Ils sont prêts à effectuer si nécessaire le grand écart de 180 degrés. Ils sont aussi disposés à se jeter en mer pour la cause en comblant le nouveau locataire qui peut décider de leur vie comme de leur mort sur une simple signature sauf s'ils ont les bras longs et les épaules très larges pour conserver le précieux fauteuil.

On ne joue pas de son avenir avec les anciens sentiments. Il faut chercher les hobbys du nouveau afin de lui plaire coûte que coûte, quitte à jouer le rôle du bouffon dans la cour. On efface tout de son passé qui puisse déranger ou fâcher le frais patron. La première chose, c'est d'activer ses réseaux pour percer les secrets du nouveau décideur. Il faut chercher même les petits détails les plus infimes et intimes. La conservation du poste en dépend, cela mérite tous les sacrifices et en grimpant tous les obstacles.

La première nuit de l'annonce du nouveau ministre fut reçue comme un véritable cauchemar par certains sur qui pèse le doute ou avaient des histoires avec l'inattendu chef. Dommage qu'on ne leur a pas laissé le temps afin de déchiffrer les sources de cette annonce qui a pris de court, comme des novices, les responsables les plus aguerris. Ils auraient pu déceler le futur nom du néo-ministre qui leur permet d'anticiper toute action en se rapprochant de son entourage avant qu'il ne soit trop tard. Il faut anticiper les choses. Ils auraient même préfabriqué en privé devant les autres collègues d'éventuels désaccords avec l'ex pour bien s'engager à changer la face. Tous les bienfaits de son ex-protecteur sont purgés instantanément de leur mémoire au moindre changement. Ainsi va la vie pour ceux qui n'ont pas d'amis mais juste des alliés de circonstance et d'influence qu'ils changent au gré des mutations brusques du système.

Il faut choisir le temps du retournement de la veste, ni avant, ni après, mais exactement au moment opportun. Si on ne l'avait pas fait à temps, on doit maintenant se terrer en attendant des jours meilleurs ou pires selon la température du climat ambiant. Les prémices du pain noir commencent à voir le jour. Les années des vaches maigres, c'est dans quelques semaines pour certains zélés. Leurs ventres sont pleins de foin à allumer. C'est ce qui arrive lorsqu'on ne sert pas le pays mais on se contente de satisfaire les besoins de l'homme fort du moment.

L'ancien va devenir le pestiféré, il sera considéré comme de la mauvaise compagnie qu'on tente d'éviter comme de la peste sauf s'il sera appelé à vivre d'autres hautes fonctions. Dans le cas où il est appelé à manger son pain rassis, les subalternes ne doivent plus évoquer son nom ou son passé à la tête du ministère, devant son successeur. Il devra être banni à jamais du vocabulaire des subordonnés sinon sa destinée sera la traversée du désert jusqu'à ce que le système fasse appel à lui comme si de rien n'était.

Par contre, l'arrivée à la tête du ministère doit être sentie comme une liberté par certains qui se désengagent de la tutelle des anciennes cautions. Ils vont pouvoir sévir dans leur fief surtout contre ceux dont les fils les liant à leurs soutiens sont brisés. Ils vont avoir la main libre et lourde. Ils vont pouvoir enfin rattraper le temps perdu en frappant de toutes leurs forces sans avoir la crainte d'être éjectés. C'est pour cette raison que les petits vont aussi se faire tous tout petits pour ne pas subir fortement la revanche qui les attend au tournant.

Pour ceux qui n'ont pas eu la chance de prendre le départ dans les précédents starkings-blocks, ils vont à nouveau postuler pour un mandat en décidant maintenant de s'allier avec le diable pour recevoir les faveurs du nouveau maître. Ils sont déterminés à vendre leur âme à n'importe quels acheteurs qui leur montrent la voie des cimes et du mirage du bonheur. C'est une occasion inouïe, impossible à rater, autrement ce sera une grande amertume de plus. Il faut faire valoir leurs services et ce qu'ils proposeront en échange par rapport à leurs prédécesseurs. Ils doivent faire monter les enchères jusqu'aux plus offrants. La montée vers les hauteurs doit être très onéreuse. Le prix à payer est sans aucun doute très cher. Toute ascension mérite récompense.

C'est une bataille terrible entre les prétendants identiquement aux jeux d'échecs. Ce sont des candidats qui ne se contentent pas seulement des pions sur l'échiquier mais sortent au fur et à mesure moult tours de leurs poches dorés. Ce n'est pas une guerre virtuelle de PlayStation mais c'est à un véritable combat sans merci qu'ils se livrent sur le terrain en cherchant à brouiller les cartes de l'ennemi et en promettant monts et merveilles. Les champions dans les ruses et les flèches doivent absolument remporter les mises haut la main. Les antagonistes, qui sont pour la plupart des opportunistes et qui cherchent à accéder là-haut par les moyens les plus usurpatoires, deviennent comme des fauves dangereux lancés dans la nature et préparés à dévorer tout sur leur passage pour défendre leurs biens mal acquis.

Quant aux autres, qui constituent la majorité, qui ne sont habitués à vivre ces pratiques infectes et toutes ces filouteries, ils assistent malheureusement en observateurs presque amorphes et sans aucune réaction ni un quelconque réflexe. Ils encaissent la mort dans l'âme toute nomination imposée. Ils n'ont aucun contre-pouvoir pour équilibrer la balance. Ils savent que ce sont des va-et-vient incessants qui ne vont pas tous dans l'intérêt du pays. Qui, si c'était un être humain, il devrait souffrir profondément dans son âme. Heureusement qu'il ne sent rien de ce que l'on endure tous les jours. Lui, qui est arrosé du sang du sacrifice de ses meilleurs enfants, il ne perce rien de cette valse de ces perpétuels mouvements de responsables qui sont désignés, sans aucun programme d'action ni vision sur le long terme, selon les lobbys, le système des quotas et en fonction du centre de gravité de l'indéniable premier garant.

Tout le monde a entendu certainement, lors des multitudes campagnes qui ont dilapidé beaucoup d'argent au pays, des devises sur le changement. On est lassé d'entendre ce type de slogans vides qui sont à des années-lumière de la réalité. Il y a plus de 50 années, les Algériens rêvaient d'une Algérie où le mot « démocratique » devrait avoir une signification tangible pour bâtir main dans la main un pays à la hauteur de nos espérances de l'époque. Plus d'un demi-siècle après, on ne peut que se poser la question sur le choix des critères et des paramètres qui décrètent le choix de la nomination des responsables dans ce pays.