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Le commissionnaire en douane : Haro sur le baudet

par Djelloul Aouidette *

« Est considérée comme commissionnaire en douane toute personne physique ou morale agréée par l'administration des douanes pour accomplir pour autrui les formalités douanières concernant la déclaration des marchandises en détail sur l'ensemble du territoire national ». Prévue par les articles 78 ,78 bis et 78 ter du code des douanes, cette activité est consacrée par le décret 10-288 du 14 novembre 2010 relatif aux personnes habilitées à déclarer les marchandises en détail.

Les gens du métier désignent le commissionnaire en douane sous le vocable générique de transitaire, ce qui est faux, car cette activité n'existe pas encore en Algérie. L'exercice de l'activité du commissionnaire en douane, une activité réglementée, dépend d'un agrément accordé par le directeur général des douanes, sous réserve de satisfaire à un certain nombre de conditions. Dans ce domaine précis, il y a lieu de remarquer que le pouvoir administratif conféré à l'autorité du directeur général de l'administration douanière par les textes légaux et réglementaires est exorbitant. Il est même à la limite du respect de la notion d'impartialité de l'administration telle qu'énoncée à l'article 23 de la constitution.

Il y a en effet une concentration de compétences en un unique organe personnel. C'est le directeur général des douanes qui octroie l'agrément, c'est la même autorité qui peut le suspendre et c'est le même représentant de l'État qui peut procéder à son retrait définitif. Il existe bien une commission de recours pour faire contrepoids de cette sujétion, mais celle-ci n'a qu'un avis consultatif et la décision finale appartient toujours au directeur général des douanes. A cet égard, il faut souligner que les travaux de cette commission de recours ont été gelés depuis au moins sept (07) ans. Résultat : 887 commissionnaires en douane suspendus qui attendent toujours de passer devant cette commission de recours. Réactivée sur un plan tout à fait protocolaire au mois d'avril 2014, les travaux de cette commission n'ont pas encore débutés.

Etre commissionnaire en douane aujourd'hui, est une activité lourde, oppressante et risquée et où la concurrence, souvent déloyale, fait rage. Insuffisamment encadrée, cette corporation est devenue un véritable salmigondis. Être commissionnaire en douane aujourd'hui c'est accepter mais en même temps subir des obligations d'un autre temps, d'une autre époque, c'est aussi engager sa responsabilité pleine et entière sur le plan du droit douanier mais aussi et surtout sur le plan pénal, sans oublier les sanctions disciplinaires. De tous ses « partenaires » de la chaîne logistique du commerce extérieur, le commissionnaire en douane est devenu au fil du temps leur bête de somme. Le code des douanes, considéré de droit étroit et donc ne devant souffrir d'aucune interprétation restrictive ou extensive charge le commissionnaire en douane en même temps qu'il l'accable d'une responsabilité immense. En accomplissant une formalité douanière pour autrui, dans le cadre d'un mandat clairement établi, c'est-à-dire une prestation de service et ce par l'établissement et la signature d'une déclaration en douane, l'article 5 du code des douanes définit le commissionnaire en douane comme étant le « déclarant ». Et par cette qualification, il subit automatiquement les affres du contentieux répressif douanier.

 Pour toute inexactitude dans la déclaration qu'il signe et dépose en douane, quelle que soit sa gravité, il en est responsable exclusivement, article 79 du code des douanes. Pire, la confiscation des marchandises saisies peut être prononcée contre les « déclarants » sans que l'administration des douanes soit tenue de mettre en cause les propriétaires des marchandises. Article 287 du code des douanes.

Et pourtant, le commissionnaire en douane qui ne connaît ni l'importateur ni l'exportateur, encore moins leur fournisseur ou leur client, n'a rien négocié, n'a rien acheté ou vendu, ni même expédié dans un sens ou dans un autre une quelconque marchandise. En établissant et en signant la déclaration en douane, il n'a fait que retranscrire fidèlement les renseignements établis et mentionnés sur les documents qui lui ont été remis par son mandant. Il agit en fait, au nom et pour le compte de son mandant dans le cadre d'une représentation directe.

Bien que le propriétaire des marchandises ait la possibilité de les déclarer lui-même en douane, il fait généralement appel à un commissionnaire en douane. Tout simplement parce que l'établissement de la déclaration en douane et toutes les formalités relatives aux visites physiques des marchandises et à leur livraison nécessitent des connaissances aiguës en matière de classement tarifaire, des qualifications en matière de fiscalité douanière mais aussi des notions sérieuses en matière de transactions commerciales et financières avec l'étranger.

C'est un métier qui suppose du savoir faire, une expertise, du dynamisme, beaucoup de courage et qui en plus emploie beaucoup de gens, mais c'est la galère ! Car en face et tout d'abord au niveau de la douane, les procédures de dédouanement sont immodérément denses et complexes, la douane toujours très gourmande en informations se distingue dans sa réglementation par :

-Une surabondance de textes d'application. Causée probablement par un cumul croissant de ses compétences, en sus de ses missions traditionnelles, elle rend difficile et complique d'avantage les choses en matière de compréhension et d'interprétation de ces mêmes textes.

-Un ensemble de règles, souvent différentes d'un bureau à un autre, contraignantes et parfois même humiliantes et qui ne sont le fruit que de décisions locales qui n'apparaissent nullement dans les radars du canevas du contrôle interne imposé par la hiérarchie.

-Des mécanismes qui vous obligent à procéder à plusieurs manipulations successives d'une même marchandise mais espacées dans le temps, pour satisfaire aux exigences réglementaires réclamées par la douane, le commerce, l'agriculture, les mines, l'industrie, chacun en ce qui le concerne mais dont personne ne se soucie ni ne tente de reconnaître que ces opérations de contrôle physique pourraient et devraient être réalisées de façon harmonieuse et coordonnée afin d'éviter des risques certains de détérioration des marchandises, de la perte de temps et des délais de stockage importants.

-Un enchaînement et une juxtaposition des contrôles qui reposent sur des pratiques ancestrales et qui, devenues simplement mécaniques entraînent évidemment un traitement chronophage des déclarations en douane.

Dans sa relation avec le commissionnaire en douane, la douane est toujours dans la posture de « service public à usager », pas encore dans le concept « d'entreprise à client »

Certes des facilitations ont été concédées, mais même consenties à doses homéopathiques ; elles rencontrent souvent, dans leur application, une résistance farouche des services chargés de leur exécution.

Nous sommes encore loin des recommandations de la VI ème Conférence des cadres tenue le 16 avril 2013 à Alger où le directeur général des douanes, conscient des enjeux et défis, souhaitant investir son administration d'un plan de modernisation ambitieux engageait celle-ci :

- D'être une force de productivité.

- D'être un levier de compétitivité.

- De développer un partenariat fort avec les intervenants du commerce extérieur.

- De concevoir un concept de concertation et de facilitation tendant à l'assouplissement des procédures afin d'être au service de la promotion des échanges commerciaux.

- D'être un élément fondamental dans la réduction des coûts de l'acte commercial.

 Malheureusement, le terrain et la pratique ne reflètent pas du tout l'ambition et le respect de la parole de la plus haute autorité de l'administration des douanes. Elle est en fait démonétisée au fur et à mesure qu'on s'éloigne de la sphère décisionnelle. Mieux, elle est même offensée, dans beaucoup de ses aspects et notamment :

Par le manque de respect des horaires d'ouverture et de fermeture des salles de saisie.

- Dans l'établissement des mandats par les services concernés où l'on vous réclame encore des documents non prévus par la réglementation.

- Dans l'exigence de la recevabilité préalable des déclarations en détail alors même que les bureaux de douane sont dotés du système informatique.

- Par le manque de respect du circuit de la déclaration en détail et notamment le circuit orange.

- Dans les horaires de visites physiques des marchandises, où dans certains bureaux, elles sont réalisées tout à fait en fin de journée alors qu'on vous oblige à vous présenter et faire présenter vos marchandises en début de matinée.

- Par le manque cruel et permanent des imprimés de la déclaration (primatas).

- Par l'exigence de chèques de banque pour des sommes ridicules alors que l'article 105 du code des douanes en convient autrement.

Dans les ports, la situation du commissionnaire en douane n'est guère enviable. Usant et abusant de leur double casquette (établissement dans le fait et société commerciale dans la forme) les ports, en général, gèrent des surfaces où s'exerce une puissance excessive par l'intermédiaire de leurs services encore et toujours terriblement bureaucratiques, l'enlèvement des marchandises demeure encore un éternel parcours du combattant.

Le guichet unique, prévu pour MARS 2014, fait toujours défaut. Au port d'Alger, dans des espaces qui s'étalent sur une dizaine de kilomètres linéaires, il n'existe pour le commissionnaire en douane aucune place de stationnement, aucune fontaine publique et pas du tout de toilettes publiques, aucune structure pour faxer, photocopier, transmettre des mails, aucun point de restauration. Le port n'appartient pas encore à ses usagers.

L'Union nationale des transitaires et commissionnaires en douane algériens (UNTCA), union à caractère syndical professionnel et donc supposée défendre les droits et les intérêts de la corporation ne peut s'enorgueillir d'avoir été à la hauteur de sa charge. Minée par des luttes intestines, décriée par la majorité des commissionnaires en douane, elle peine et depuis longtemps déjà à retrouver sa cohésion et sa sérénité. Devant cette situation, les commissionnaires en douane n'ont pas tout à fait tort de tourner le dos à cette union syndicale, mais ils n'ont pas raison. La défense de leurs intérêts professionnels ne peut se faire que dans cette enceinte légale à l'intérieur de laquelle ils peuvent lutter pour la préservation de leurs intérêts professionnels dans le respect de la loi. Le commissionnaire en douane ne bénéficie d'aucune considération parmi les acteurs de la chaîne logistique du commerce extérieur. Pourtant il s'agit là d'une profession qui nécessite tout juste un encadrement, une plus grande attention; tout au moins une visibilité. Pour l'importateur, c'est un laquais qu'on peut changer comme on change de chemise. Pour les ports, les compagnies maritimes ou aériennes, c'est tout juste un client d'une grande chaîne commerciale, pour la douane c'est, et par moments seulement, un simple auxiliaire.

Faudrait-il pour autant baisser les bras. Je ne le pense pas. Au contraire, je crois en la capacité de la famille douanière, portuaire, aéroportuaire à mutualiser les intelligences, toutes les intelligences, à se mettre en réseau, s'asseoir autour d'une table où il n'y a ni dominant ni dominé pour débattre et pourquoi pas réécrire l'histoire de nos liens en tant que partenaires, de vrais partenaires.

* Commissionnaire en douane agréé, ancien cadre supérieur de l'administration des douanes.