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Jeu et enjeu d'un Front historique

par El Yazid Dib

Est-il marqué dans les tables du FLN que la prospérité du pays devait passer par un seul nom, une seule composante ? Le FLN, est-il toujours ce front historique ou s'est-il contenté, démocratie oblige, de se moudre formellement dans un paysage politique balbutiant ?

Pour le jeu et l'enjeu, l'on se contente d'apporter des doses de fraîcheur par des visages novices, chérubins et fortement gentils. Ce sont la devanture d'un slogan. C'est drôle de ne pas voir des anciens secrétaires généraux et d'anciens membres du bureau politique figurer dans le Comité central actuel. C'est politiquement incorrect de faire comme ça, d'un seul trait, par simple humeur pour effacer leur engagement. Rien ne justifie leur évincement, pas même la grande commission de discipline, organe inquisiteur et de règlement de compte. Ces gens-là, ces hauts dirigeants avec leurs tares, leurs prouesses, leurs écarts, leurs inélégances en face d'un pouvoir en place ont bel et bien, à un moment, servi différemment le parti, la nation et leur propre personne. Ils ont été chacun dans son temps, selon des exigences factuelles, des auteurs d'une politique donnée. Ce ne serait qu'un égard honorifique si leurs noms s'inscrivaient dans le répertoire des nouveaux membres du CC. Par cette mesure irréfléchie, provenant de pensées étourdies et avachies, l'on encourage le reniement et la disgrâce. Pourtant, la majeure partie des détenteurs actuels des rennes du parti ou partiellement de l'Etat ont été un jour propulsés ou carrément créés par ces mêmes personnes à qui l'on refuse maintenant tout honneur, tout mérite.

Le FLN a de tout temps attiré des convoitises. Il a attisé aussi des amours et des haines. Plus qu'un parti, moins qu'un Etat, le FLN était un conte. Il peut être un producteur de noms mais il est surtout un chariot-élévateur d'hommes. Il n'y a qu'à voir la dernière composante du Comité central. Une grosse équipe au service d'un petit groupe. Ils étaient tous contents de figurer dans ce listing qui a perdu toute sa brillance d'antan. Juste un organe vivant sur les reliquats d'anciens clichés vermoulus par le temps, la gabegie et la désinvolture de ceux qui ont accaparé la gloire du Front. Ces nouveaux membres se réunissent sous le même toit sans qu'aucune idéologie ne soit capable de les réunir. Ils sont là, venus en congressistes à force de bras. Ils ne sont représentatifs que de leur dessein.        

«Le rajeunissement et le renouveau» et autres concepts enrobés sciemment d'une terminologie politicienne ne sont pas encore aptes à créer de la conviction chez les adhérents qui perdurent à pouvoir assurer idéologiquement un militantisme avéré. Comment une population locale qui ne connaît de certains noms que l'habitude de les voir revenir aux instants propices puisse croire le discours volubile tendant à faire du renouveau et du rajeunissement un credo sacro-saint du parti, alors que le plateau candidatural qui lui serait présenté n'offre que du réchauffé ? Qu'ont-ils fait ces perpétuels postulants, ratés à tout métier, pensionnés et en perpétuelle attente de meilleures opportunités électorales ? Ils jugent avoir sous la main les instances élues alors qu'ils arrivent avec difficulté à faire un semblant de quasi unanimité dans leur cité.

Il subsiste, néanmoins, au sein de la corporation la plus ancienne dans la pratique politique un certain mépris d'admettre en toute sérénité, le passage, avec bonté naturelle, d'une chose à l'autre. D'une station temporelle à une dimension définie comme impérative par les fortunes du temps que nous vivons. Le tumulte des séances et le bruit des couloirs semblent avoir fait des plis indélébiles dans le front du Front. Car en fait, chez ce Front la politique fut une affaire dorée pour quelques traînards, oisifs ou d'illusoires retraités. En revanche, elle fut chez d'autres un dynamisme qui ne cessa de mouvoir, par effet de dynamique de groupe, toute une génération qui, malgré ceci et cela, assemblait en son sein, non sans rechigner, des esprits, des âmes, des sièges capitonnés parmi les bancs des assemblées nationales, de wilaya ou communales. Le mirage de la haute fonction politique provoque des vertiges et partant fait vite sombrer son titulaire dans la vapeur du moment. Si à 60 ans et plus, l'on vient de s'inscrire sur le registre des adhésions, tel un enfant dans une école primaire, la notion de lutte exige que l'on soit d'abord un militant de base. L'on ne vient pas d'en haut. Ce n'est pas le poste de ministre qui vous octroie d'emblée la qualité de membre d'une instance dirigeante, alors que vous ne connaissiez même pas comment est faite une kasma de la plus petite bourgade de votre lieu de naissance.   

Le redressement tant affiché, convoité, galvaudé à grands coups n'avait abouti, en fait, qu'à chasser les uns pour faire installer les autres. «Les vieux réflexes», «les caciques», «les apparatchiks» et autres images, avilissant leurs porteurs, n'auront pas radicalement disparu. Alors qu'en pratique l'on aurait voulu assister à un inversement de rôles, un changement de personnes et un renforcement de neurones. La réunification maintes fois avortée ne suffit plus pour un corps déjà moribond. Il faudrait un traitement de choc. Un renouvellement révolutionnaire. Il aura à emporter dans son élan rénovateur l'exclusivité, le régionalisme, la micro-famille et la jalousie de voir venir des gens, non des néophytes en matière politique, ou de gestion des collectivités locales, nonobstant leur haut degré de recherches scientifiques et universitaires. Mais tout aussi rompus qu'eux aux pratiques des coulisses, de l'ombre, de béni-ammis et autres vices politiciens. Ceux qui connaissent le mode de fonctionnement intestinal, le broyage des petits boyaux, la domination des gros intestins, la bile qu'éjecte le diaphragme à force de faire l'équilibrisme entre ceux-ci et ceux-là, ne seront jamais embarqués dans ce train rénové sans garantie aux arrêts quinquennaux et aux bivouacs électoraux. Le Xème congrès en fait n'avait pas apporté plus que n'auraient fait ses précédents. Il s'est limité, en toute obséquiosité, à s'offrir au système. Avec cependant une touche imprégnée du souci de récupérer un pouvoir momentanément perdu.      

Le rajeunissement implique un combat d'abord au plan idéologique. Puis au plan de la démarche politique. Etre porteur d'idées à même d'accepter dans un même conciliabule l'avis contraire, friser la contradiction ne s'applique pas seulement à un niveau d'âge ou de durée chronologique. Parfois pas même de génération. De conflits d'intérêts? D'instinct de conservation? Le mouvement dit de redressement serait, en fait, une façon pour un clan de reconquérir l'appareil. Les autres, anti-redresseurs seraient des soldats en perte de vitesse. Chacun veut garder ses privilèges, chacun court à la destitution de l'autre.

Ce congrès, à l'apparence exceptionnelle par le nombre ahurissant des participants, n'est pas un cas de fonctionnement normal des instances, mais un cas de force majeure politique. Il fait une trajectoire tacite vers des décisions importantes pour le devenir du pays. On y compte pour qu'il soit encore les béquilles d'une domination sans nom. Il continue à se confiner au rôle de pourvoyeur de gens de système. D'ailleurs c'est ce qui ressort des recommandations de ce Xème congrès, où il est clairement clamé que la constitution doit entériner, par une clause expresse, le droit à la majorité parlementaire de diriger tout gouvernement. Ainsi, il tend à l'évidence à prouver qu'il n'est né que par le pouvoir et pour le pouvoir.

C'est grâce au FLN que de simples noms patronymiques sont devenus des noms médiatiques. La régénérescence des momies, le transvasement des âmes éteintes et le rechapage des pneus usés est un processus de production politique dans ce conglomérat d'individus. C'est une marque déposée, un label infini. «Nous sommes dans une position confortable et nous tenons à le rester», disait à son époque Benflis, ex-secrétaire général. Mais c'était sans compter sur la trahison et la vilenie qui le guettait en ce début d'année 2004. Il croyait, le pauvre, qu'être président de la République est une affaire de simple vote, de suffrage universel ou de démocratie. Il en a pris pour son compte. Au congrès invalidé rien ne semblait sûr, sur «la position confortable». En ce moment, se triturait sous le silence des corps tout un scénario. Du renversement de l'homme aux changements de ses hommes. Il est ainsi des situations où l'homme militant n'arrive point à reconnaître la charte des droits et des obligations qui pèsent sur sa conscience d'homme ou de citoyen. Il ne saura admettre, sans coup férir, les blessures que causent l'interventionnisme et l'entrisme politique dans une corporation qui ne cesse de requérir un rajeunissement. De façade ?     

Rien, eu égard aux soubresauts internes qui le guettent, n'est donné comme assurance au parti du Front que de tels scénarios de putsch, de coups d'Etat scientifiques, de redressements itératifs, ne se répètent et mettent ainsi en dehors les actuels décideurs partisans.

Le FLN, s'il est ainsi traité avec souvent moins de contrariété et plus d'écœurement c'est qu'il n'est pas n'importe quel parti. Mais par mésaventure, il entreprend à contenir en son sein n'importe qui. L'élite étant à la base ou en knock-out, la masse s'individualise et s'accroche pêle-mêle aux sommets. Quand une énième échéance électorale n'arrive pas à transcender les us, ni couper la nostalgie pour des règnes dévolus, des personnes aigries de se revoir rejetées par la masse à force d'avoir vu leurs effigies lézarder tous les murs de la cité, ne s'empêchent de piocher le maintien dans les accointances d'un comité central ou d'un bureau politique en mal de renouvellement. Toujours les mêmes noms, toujours les mêmes personnes, toujours les mêmes méthodes, toujours les mêmes clans, finiront toujours par remettre à une date ou une autre la grogne et la fuite de la bonne sève. Pour le jeu et l'enjeu, l'on se contente d'apporter des doses de fraîcheur par des visages novices, chérubins et fortement gentils. Ce sont la devanture d'un slogan. Malgré la crise qui secoue l'équilibre des institutions élues et la détermination organique des partis à vouloir changer à peine d'extinction le mode de fonctionnement, le FLN ou, à vrai dire certains hommes du FLN, caciques par mémoire, amputés d'esprit d'éthique, maculent encore le souffle nouveau qui peine à s'insuffler dans les veines de ses rangs en dispersion. Le parti s'est ainsi transformé, pour ces gens, en un sérail et la qualité de membre du CC un ticket d'écrou dans son illusion de se voir donner un poste ou inscrit sur une liste électorale. Sait-on jamais, se disent ces apparatchiks. Ils savent attendre dans cette patience qui ne trouble personne. A défaut, le ticket en vaudra toujours une carte de rente et un permis de circuler. Pour clore anecdotiquement, une dame fraîchement « désignée » au CC à son arrêt lors d'un contrôle de la circulation, n'a pas manqué de dire à l'agent : je suis membre du Comité central monsieur !