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Congrès, conclaves et universités d'été : demandez le programme !

par Cherif Ali

La grande nouvelle, c'est que décidément, il n'y a rien de nouveau. Le FLN a tenu son 10ème congrès, Saâdani a été élu Secrétaire général et Belayat et consorts ont été renvoyés à leurs foyers. Quant au RND, il s'apprête à accueillir Ahmed Ouyahia au «perchoir».

Pour le reste, nous revenons à la case départ avec le sentiment que le pays est en train de plonger et que l'Algérie est en train de se défaire. Pas de catastrophe immédiate en vue, le pétrole se stabilise au-dessus des 60 $ le baril. Pas d'ennemi à l'horizon, quoique. Non, c'est une impression de langueur qui s'insinue partout, telle la goutte de sueur qui dégouline, le long du corps, à partir du front. C'est la routine qui gagne tous les secteurs de la vie politique, de l'économie qui se rétracte comme une peau de chagrin, l'industrialisation qui tarde, l'école qui n'a pas été redressée et autant le dire qui continue à se dégrader, en passant par la mercuriale qui s'affole à l'approche du mois sacré du Ramadhan, jusqu'à la société toute entière, élites et masses confondues, en proie au sauve-qui-peut individuel. Et les congrès « cousus de fil blanc » pour les uns, de « redressement », ou de recentrage « clanique » pour d'autres, n'y changeront rien ! De cet immobilisme sans précédent, la conséquence s'appelle déclin économique et social. Et surtout politique. Sinon comment expliquer la position de tous ces élus qui président à la destinée des Algériens sans les voir, décident de leur sort sans éprouver la fermeté de leur poignée de main, sans les entendre crier, ni leur répondre les yeux dans les yeux. Pourtant ces responsables ont commencé par faire campagne, dans les marchés, les boutiques des rues commerçantes, les cafés, sans oublier les mosquées pour un certain nombre, avant de disparaître, une fois élus, sous prétexte d'agendas surchargés. Mais les temps ont changé, et ils rendent, insupportable, toute coupure délibérée entre élus-administrés, gouvernants-gouvernés, que rien ne justifie, sinon la peur de la confrontation et la réalité des choses. Comment les politiques, qui persistent à cultiver « l'entre-soi », peuvent-ils espérer briser la glace de la défiance des citoyens à leur égard, qu'ils mesurent, pourtant, par l'abstention, sans cesse croissante, et les votes de refus, en choisissant de s'isoler ? Aucun rapport de wali, aucune note d'un conseiller spécial, pas plus que la lecture des éditorialistes ne remplaceront cette confrontation de terrain, toute aussi nécessaire que désagréable quand elle tourne parfois à la « chiquaya » personnelle du citoyen, en mal d'emploi ou de logement. Alors, faut-il réformer ? Oui, sans doute ! Mais nos dirigeants ont des excuses, car il faut être fou pour prétendre réformer ce pays. A peine un projet est-il lancé, qu'il se forme, immédiatement, dans les partis, chez les « élites intellectuelles » et dans l'opinion publique, une majorité de refus fondée sur l'increvable triptyque : on n'a pas consulté les intéressés (le plus souvent c'est faux)

les solutions vont à l'encontre du but poursuivi (comme si tout médicament ne comportait pas des effets secondaires néfastes), les moyens ne sont pas à la hauteur des ambitions (on exige l'impossible dans l'espoir de conserver le statut-quo). Telles sont, donc, les postures des dirigeants des partis dits « d'opposition » ; ils n'ont de cesse de tirer la sonnette d'alarme pour surfer sur les problèmes récurrents des Algériens : chômage, crise de logement et pouvoir d'achat, notamment à l'approche du mois sacré du Ramadhan. Mais, ce serait gravement sous-estimer l'intelligence politique des Algériens que les croire, uniquement, sensibles à de telles thématiques. Sinon les partis qui spéculent, presque exclusivement, sur ces ressorts en auraient profité en termes électoraux. Tel n'est pas le cas. Et jusqu'à preuve du contraire, ce sont les partis du FLN et du RND, ou leurs sympathisants, qui sont aux commandes des institutions du pays. Au nom de la sécurité et de la stabilité, nous-a-t-on affirmé. Par la fraude électorale, rétorquent ceux d'en face, pour poursuivre ce qui ne marche pas et, si possible, faire pire, ajoutent les plus radicaux parmi eux. Oui mais, comment voulez-vous, alors, que le peuple vous croit ? Si vraiment tous les dangers menacent le pays comme vous persistez à le répéter, oserez-vous continuer de refuser de vous parler entre républicains, patriotes, sous prétexte que parmi vous, il y a des démocrates, des laïcs, des islamistes et d'autres partisans de courants, fondamentalement, opposés aux vôtres ? Il est incompréhensible que des hommes politiques de la stature d'Ahmed Benbitour, Ali Benflis ou encore Mouloud Hamrouche plastronnent, gonflent leur poitrine avec l'assurance de détenir « la solution » et en même temps privent le pays de leurs bons conseils ! Quelle défaite pour l'intelligence démocratique qui subsiste, encore, dans ce pays, que de laisser comme alternative au citoyen que l'option de choisir entre la stagnation de ceux qui sont au pouvoir et la fuite en avant de ceux qui aspirent à y être ! Mais, ne nous y trompons pas, c'est cette défaite intellectuelle que le pays paye, actuellement, et qui transparaît à travers un taux d'abstention, le plus fort depuis l'instauration du suffrage universel, dans l'Algérie indépendante.

Mais, comme dans tous les moments où l'enjeu n'est autre que le salut du pays, il ne faut pas compter sur les partis politiques, incapables de se hisser au niveau de l'intérêt national, ou plus encore, de présenter un projet de sortie de crise, à même de réconforter les citoyens. Mais à quoi donc servent toutes ces universités d'été organisées, ponctuellement, par le FFS, le PT et Madani Mezrag, même si concernant ce dernier, personne ne se fait d'illusions concernant les objectifs qu'il poursuit ? Et puis, franchement, l'opposition décrépite serait-elle en mesure de gouverner, un jour, si les électeurs le lui demandaient ? Privées de chefs légitimes, fracturées par des querelles idéologiques et de « leadership », sans oublier les coups de boutoir des « redresseurs », ces formations politiques qui foisonnent, auraient, sans doute, du mal à assumer, demain, de telles responsabilités. Surtout, il y a fort à parier que le manque de cap, de vision et d'autorité, raillés depuis des mois par les Mokri, Sofiane Djilali, Touati et consorts seraient, au moins, aussi criards dans leurs rangs.

Et comme les syndicats sont aux abonnés absents ou préoccupés par leur propre carrière, que les intellectuels se sont mis, eux-mêmes, hors jeu, le peuple ne peut, désormais, compter que sur lui-même. Il faut dire, aussi, que le charme secret de l'élite, c'est sa capacité à reprendre, en boucle, des idées surannées. Ces gens sont, malheureusement, les seuls que l'on écoute en haut lieu, alors que tant de voix iconoclastes poussent des cris d'alarme. En vain ! Mais pas en Espagne où les gens l'ont bien compris et ne comptent plus sur les partis politiques en place ; ils n'ont pas hésité, pour un grand nombre d'entre eux, à suivre le mouvement citoyen des « Indignés » et « Podemos » qui sont en voie de décrocher les mairies de Madrid et de Barcelone. Il y a, enfin, le fameux « c'est mieux ailleurs ! » qui fait florés dans nos contrées d'ici-bas; certes, beaucoup de pays ont réussi à transformer les crédits immobiliers en produits financiers, booster leur BTP ou ont pu attirer les entreprises, grâce à des facilités fiscales. Oui, mais ce qu'il faut savoir, c'est qu'ils n'ont imité personne mais inventer, à partir de leurs spécificités respectives et de leur génie particulier, leurs modes de développement originaux. Alors, question : l'Algérie seule, serait-elle dépourvue de qualités propres et de ressources autres que celles que lui procure son sous-sol ? Pourquoi les Algériens ne sont pas happés par le génie créateur qui leur permettrait, les mains dans les poches, d'extirper les trésors nichés sous leurs pieds ? L'école, le pouvoir, le système, le déracinement familial et culturel et l'ensemble des lourdes chapes de plomb ne découragent, pourtant, pas ceux qui viennent d'ailleurs pour s'installer ici. En Algérie, des hauts plateaux, aux confins du Sahara, la terre n'attend que le courage des hommes et la floraison de leurs idées pour donner le meilleur d'elle-même? Quelle définition faudra-t-il donner au courage et aux idées quand tous les deux poussent les uns à quitter le grand Nord (1.000 ressortissants français, par exemple, se sont installés en Ethiopie, ont fondé une famille et y prospèrent, loin de toute velléité néo-coloniale) et les autres, attirés par le Nord, d'aller se noyer en mer ! (*)

En conclusion, touchons du doigt cette situation dramatique pour se persuader de sa propre responsabilité ; selon le mot de JF Kennedy, que chacun ne se demande pas ce qu'il peut attendre de la nation, mais ce qu'il est capable de lui apporter, et l'histoire, qui a plus d'imagination que les romanciers et plus de hardiesse que les politiques, se chargera du reste.

(*) M.Abdou Benabbou : édito-QO «ici c'est mieux qu'ailleurs»