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Pour mobiliser le potentiel de production nationale, réajuster le taux de change du dinar

par Mourad Benachenhou

L'indépendance de la banque centrale est systématiquement présentée comme un principe de bonne gouvernance économique et monétaire dont le respect garantit la gestion saine de la monnaie nationale, assurant à la fois la croissance économique et la prospérité des citoyens, donc renforçant l'assise sociale des Etats et contribuant à la stabilité politique.

Mais, tout comme les principes de la démocratie, de la liberté d'expression, du respect des droits de l'homme, ce principe, lors qu'on examine de près son application par les «Etats exemplaires» qui dictent au reste du monde leurs propres règles de conduites, n'apparaît comme rien d'autre qu'un slogan.

La banque centrale est, dans tous les pays du monde, une institution dont la création et le fonctionnement ressortissent de lois et règlements établis par les autorités publiques, et dont les politiques, dans le moindre de leurs aspects, que ce soit les politiques d'émission monétaires, de taux d'intérêts, de taux de change, de contrôle des banques primaires, sont imposées par ces autorités en fonction de leurs propres orientations et des intérêts politiques et économiques qu'elles représentent et qu'elles sont chargées de mettre en œuvre.

LA POLITIQUE MONETAIRE DES BANQUES CENTRALES EST DICTEE PAR LES CHOIX BUDGETAIRES DES GOUVERNEMENTS

Les choix politiques sur lesquels les gouvernants fondent leurs actions sont reflétés par le budget, tant dans son ampleur que dans les dépenses qu'il couvre ou l'origine des recettes destinées à assurer la bonne exécution de ces dépenses. La politique monétaire est dictée par les choix budgétaires, qui sont le fait des gouvernements non de la banque centrale et ce, quel que soit le système économique, ultra-libéral ou entièrement étatisé.

Si un état décide de s'engager dans une guerre coûteuse à l'étranger, guerre qu'il ne peut financer que par l'accroissement du déficit de son budget, l'augmentation de ses emprunts, et probablement aussi la chute de la valeur de sa monnaie par rapport aux autres devises, et quel que soit le régime politique en place, il apparaît difficile, si ce n'est impossible pour la banque centrale d'imposer, au nom de la bonne gouvernance monétaire, des règles restrictives de gestion des liquidités monétaires pouvant empêcher le gouvernement de cet Etat de mener une guerre qu'il juge indispensable -à tort ou à raison- pour la défense des intérêts nationaux -quelque soit leur définition.

Les décisions politiques prises par le gouvernement priment, et primeront toujours, les bonnes décisions monétaires de la banque centrale qu'elle pourrait prendre pour lutter contre les risques inflationnistes, contre l'érosion de la valeur internationale de la monnaie nationale, contre la mobilisation excessive des liquidités disponibles au profit des dépenses de l'Etats exigeant leur financement par l'appel aux emprunts publics.

LE GOUVERNEUR DE LA BANQUE CENTRALE N'EST PAS UN CHEF D'ETAT BIS

Le gouverneur de la banque centrale, qu'elle soit uniquement nationale ou qu'elle couvre un groupe de pays dans le cadre d'une zone monétaire unique, comme c'est le cas pour la zone «euro» ou pour les deux zones monétaires se partageant le système du franc «africain», n'est pas un chef d'Etat bis, encore plus puissant que le chef d'Etat officiel (ou les chefs d'Etats pour les pays intégrés dans une zone monétaire) ; les instances consultatives dont ce gouverneur s'entoure ne sont pas des super-gouvernements dont les délibérations et les décisions l'emporteraient en poids sur les délibérations et les décisions des gouvernements en place.

Dans tous les pays du monde, comme dans toutes les zones monétaires, les banques centrales sont des institutions à la disposition des autorités publiques, dont elles sont tenues d'appuyer les politiques économiques et les choix politiques ayant un impact direct ou indirect sur ces politiques, par des mécanismes propres à la sphère monétaire dans laquelle ces banques centrales ont une compétence certaine.

Les institutions et les canaux par lesquels les banques centrales sont conduites à conformer leur gestion de la monnaie aux exigences que dictent les politiques des gouvernements au pouvoir sont tellement complexes et tellement secrètes dans leur mode de fonctionnement que la liaison directe entre les décisions prises par les instituts d'émission dans le domaine strictement monétaire, d'un côté et de l'autre les choix budgétaires des gouvernants dictés par des considérations exclusivement politiques, est difficile à mettre à nu, d'autant plus que le principe sacro-saint d'autonomie de la banque centrale est rappelé ad libitum.

Si les banques centrales gouvernaient le monde, il n'y aurait plus de crises économiques

Si les banques centrales avaient ce pouvoir immense d'en faire à leur tête en ne tenant compte que de considérations de bonne gestion de la monnaie nationale en vue d'assurer une croissance économique saine et non-inflationniste, les crises économiques, qui commencent toujours dans le secteur financier, censé être régulé par l'institut d'émission, n'existeraient pas, la valeur d'échange internationale des monnaies serait stable, les règles de bonne gestion monétaire étant universelles; les taux d'intérêts à travers le monde auraient tendance à être proches les uns des autres, c'est-à-dire égaux au taux d'inflation plus les charges de gestion des liquidités par les institutions spécialisées. Tout le système de payement international «baignerait dans l'huile.

On pourrait même, dans cette situation idéale où, dans chaque pays ou union monétaire, la banque centrale régirait la monnaie nationale ou inter-étatique, en imposant aux gouvernants des choix budgétaires, donc politiques, uniquement basés sur des critères de bonne gestion monétaire, envisager non seulement la libre convertibilité des monnaies nationale mais également une seule monnaie internationale ayant cours partout dans le monde!

Mais, hélas, ce sont les choix budgétaires, ressortissant exclusivement des attributions des gouvernements, qui dictent les politiques monétaires, dans tous leurs détails, et la banque centrale doit gérer ses missions sur la base de ces choix, que son gouvernement se réclame de la légitimité populaire telle qu'elle ressort des résultats d'élections libres ou qu'il s'appuie sur la force brute pour se maintenir au pouvoir et imposer ses décisions.

LA BANQUE D'ALGERIE : L' INSTITUTION MONETAIRE DU GOUVERNEMENT

L'indépendance de la banque centrale n'est qu'une fiction bien entretenue, certes, mais malgré tout une fiction, si ce n'est un mythe fondateur qui donne l'impression au commun des mortels que les gouvernants se sont donnés des limites à leur pouvoir de décision, en chargeant une institution de mettre le holà à leurs éventuels dépassements pouvant porter préjudice à la valeur de la monnaie nationale, et donc au pouvoir d'achat des revenus distribués, sous la forme de profits ou de salaires, et par voie de conséquence aux activités économiques de production et de distribution de biens et services.

La Banque d'Algérie dispose, dans les compétences que le gouvernement lui a désignées, des instruments à la fois humains, institutionnels et réglementaires lui permettant d'effectuer ses missions; son indépendance ou son autonomie ne sont ni plus ni moins étendues que celles de n'importe quelle autre banque centrale. La politique monétaire qu'elle gère est la résultante de décisions politiques prises à d'autres niveaux de l'Etat, et non de réflexions internes se fondant exclusivement sur des considérations techniques propres au domaine monétaire et financier.

Cette subordination aux orientations de l'Etat est d'autant plus visible que la banque dispose d'un potentiel accru de création monétaire généré par l'accroissement des ressources externes liées à l'augmentation du prix des hydrocarbures au cours des récentes années, et jusqu' à ces dix derniers mois, qui ont connu une inversion de la tendance.

Du fait de l'accroissement du prix des hydrocarbures, source principale des recettes d'exportations, et donc des devises que la Banque d'Algérie transforme en dinars, et du fait que les ressources fiscales qui couvrent les dépenses prévues par le budget se sont également accrues grâce à cette embellie liée à des causes non contrôlées par les autorités publiques, la Banque d'Algérie s'est trouvée dans la position idéale où elle n'a pas eu à créer de liquidités supplémentaires soit pour pallier aux besoins de trésorerie des banques primaires, soit pour couvrir temporairement les appels de fonds de l'Etat liés à l'exécution du budget. Le pouvoir de seigneuriage de l'Etat qui réside dans le fait que ce dernier, dans les périodes de vaches maigres, a tendance à exiger de la banque centrale d'émettre plus de monnaie qu'elle n'a de contrepartie en devises, a laissé la place à un fort excédent en ressources, dont une partie est maintenue dans le bilan de la banque centrale au titre du « fonds de péréquation des recettes.»

Depuis près de 15 ans, le guichet d'avances de trésorerie aux banques ne fonctionne plus, faute de besoins des banques primaires qui, qu'elles abritent ou non les comptes de la Sonatrach ou de ses succursales, bénéficient toutes, dans le cadre de leurs activités bancaires normales, des liquidités supplémentaires générées par les recettes d'exportations d'hydrocarbures.

UNE ECONOMIE EN ETAT DE SUR-LIQUIDITE

L'économie algérienne demeure en état de sur-liquidité; et jusqu'à présent, malgré les démentis qu'on entend ça et là, ce n'est pas l'argent qui manque dans les banques comme chez les particuliers, d'autant plus que, depuis 2011, les revendications salariales ont donné lieu à des redistributions massives de la rente des hydrocarbures, à partir du fonds de péréquation des recettes fiscales détenu auprès de la Banque d'Algérie.

A cette accroissement des revenus disponibles n'a pas correspondu une réduction des subventions de toutes formes -représentant, selon le FMI, 18,5 pour cent du PIB- dont bénéficient non seulement les couches les plus pauvres, mais également la nouvelle classe des riches, et des super-riches, qui ont accumulés des fortunes dans les quelque vingt ans de libéralisation de l'économie qu'a connue notre pays grâce quasi-exclusivement à la capture de la rente pétrolière, et sans apport qui mérite d'être mentionné d'activités productrices de valeur ajoutée autre que celle découlant de la distribution de la rente sous la forme directe de revenus salariaux ou à travers les bénéfices provenant en majorité des grands chantiers de l'Etat.

ACCROISSEMENT DU POUVOIR D'ACHAT = ACCROISSEMENT DES IMPORTATIONS + REDUCTION DE LA PRODUCTION NATIONALE

L'accroissement de la consommation, qui n'aurait pas été possible sans les ressources supplémentaires provenant des hydrocarbures, continue à être la source exclusive des richesses de la nouvelle classe supérieure algérienne qui a choisi la voie facile de l'importation pour couvrir les besoins accrus de la population. En fait, la privatisation, si vantée, et qui était supposée permettre à l'Etat de se débarrasser des activités de production de biens industriels au profit des nouveaux «entrepreneurs algériens,» a abouti à la désindustrialisation et à la transformations d'industriels en importateurs pour la revente en l'état.

On est en mal de donner le nom d'un seul entrepreneur algérien, si riche soit-il, et si bien introduit qu'il soit dans les rouages du pouvoir, qui puisse montrer que la valeur ajoutée que ses activités génèrent n'a rien à voir avec les facilités d'importer que lui a permis l'aisance financière de l'Etat.

ETABLIR LA BALANCE-DEVISE DE LA PRODUCTION NATIONALE

Le trompe-l'œil de l'intégration à 95 pour cent que proclament certains disparaîtrait rapidement si l'on effectuait une simple petite opération à deux colonnes et deux opérations: une colonne additionnant les dépenses en monnaie locale sur le produit, et l'autre les dépenses en devises, multipliées par le taux de change du marché parallèle, le seul réaliste, car c'est sur lui que les importateurs appuient les calculs de leurs prix de revente en l'état pour les produits qu'ils importent.

Quant à ceux qui se vantent de participer de manière massive aux exportations, et qui ne font que raffiner un produit brut qu'ils réexportent en le mettant en sacs normalisés, ce petit calcul ramènerait à sa juste proportion cette contribution tant vantée à «la diversification des exportations.» Et dire qu'ils bénéficient d'exonérations fiscales leurs permettant d'accroître encore plus la part de la rente pétrolière qu'ils siphonnent tout en donnant si peu en valeur ajoutée supplémentaire originale en retour à l'économie nationale!

En fait, le tout récent rapport conjoint du FMI et de l'Algérie, connu sous le nom de consultations en vertu de l'article IV des statuts du Fonds, ( qu'on peut consulter sur le site internet du FMI http://www.imf.org/external/pubs/ft/scr/2014/cr14341.pdf ) classe les entrepreneurs algériens au bas de la classe pour l'innovation. Cette institution jette même des doutes sur la capacité du secteur privé algérien -au vu de la source de ses richesses- de créer des emplois en nombre suffisant pour absorber la masse des jeunes, de plus en plus instruits, qui arrivent chaque année sur le marché du travail.

UNE GESTION PASSIVE DE LA SUR-LIQUIDITE SANS ACCELERATION DE LA CROISSANCE

Assise, donc, sur une masse de devises à 98 pour cent composée de dollars, la Banque d'Algérie n'a pas eu à intervenir pour émettre des liquidités supplémentaires en vue soit de re-financer les activités de distribution de crédits des banques, soit de couvrir les déficits de trésorerie de l'Etat causés par les besoins d'exécution de son budget. Elle n'a pas eu à mettre en place des mécanismes de facilités financières, (monetary easing) à la mode du FED américain, de la BCE européenne, ou de la banque du Japon.

En fait, si l'on adopte la simple règle que -et cela va de soi- la progression des liquidités monétaires suit la progression des transactions finales dans l'économie, telles que celles-ci apparaissent à travers le taux de croissance du produit intérieur brut, on constate que notre économie continue à être en état de sur-liquidité malgré la chute de 50 pour cent du prix des hydrocarbures au cours de ces 10 derniers mois. Il suffit de soustraire le montant du taux de progression des liquidités, voisin en moyenne de 10 pour cent d'une année à l'autre, du taux de croissance du PIB ( évalué à 200 milliards de dollars), autour de 3 pour cent, et on aura un taux moyen de sur-liquidité de l'économie égal à 7 pour cent. Il y aurait donc environ l'équivalent de 14 milliards de dollars de liquidité de plus que ne le demanderaient les transactions qui constituent les activités économiques du pays. Ce surplus de liquidité, dont une bonne partie ne se retrouve pas dans les banques primaires, a des effets inflationnistes certains, quoique quelque peu cachés par le système de subventions aux produits de large consommation et aux produits énergétiques, qui réduit le taux d'inflation tel que calculé par les institutions spécialisés.

UN TAUX DE CHANGE DONT L'EVOLUTION N'A PAS SUFFISAMMENT INTEGRE LE PHENOMENE DE SUR-LIQUIDITE DE L'ECONOMIE

 Une telle situation de sur-liquidité n'a pas été suffisamment reflétée dans le taux de change du dinar, qui continue à être fixé, non par les mécanismes du marché, mais par la Banque d'Algérie sur la base d'un panier de monnaies pré-établi, dont le mode de détermination et la composition restent secrets, et qui donne lieu à des ajustements en fonctions de données elles-mêmes tenues secrètes.

La Banque d'Algérie, reprise par le rapport sur l'article 4 du FMI, rappelle systématiquement que le taux de change qu'elle fixe unilatéralement, place la valeur du dinar aux environs de son taux réel effectif d'équilibre. Mais, comme tous les critères précis, en dehors de généralités faisant référence au différentiel de taux d'inflation et de productivité du travail entre l'Algérie et les principaux partenaires économiques et commerciaux étrangers, ne sont pas révélés, un observateur objectif n'a aucun moyen de vérifier qu'effectivement, en fonction des critères choisis par la Banque d'Algérie, le taux de change du dinar est proche de son niveau d'équilibre effectif réel.

De plus, et les économistes professionnels sont d'accord sur ce point, un taux de change proche de sa valeur d'équilibre réel implique une intervention automatique et non gérée des mécanismes du marché, ce qui n'est pas le cas pour la cotation du dinar.

Les manuels d'économie donnent, sur ce chapitre, des précisions sur la signification du taux de change d'équilibre qui ne laisse aucun doute sur le fait que c'est un taux unique, dans le sens où tous ceux qui veulent acheter ou vendre du dinar seraient d'accord unanimement sur le prix à lui fixer en monnaie étrangère. L'existence d'un marché parallèle, où la décote du dinar par rapport à sa cotation officielle atteint actuellement 40 pour cent, prouve qu'il existe des acheteurs et des vendeurs, si marginaux soient-ils qui considèrent que le taux de change officiel n'est pas un taux d'équilibre.

A QUOI RIME UN PANIER DE MONNAIES POUR LA COTATION DU DINAR SI LE DOLLAR CONSTITUE 98 % DES RECETTES EN DEVISES?

D'autre part, au vu du fait que 98 % des avoirs en devises originellement en provenance des recettes d'exportation des hydrocarbures sont perçus en dollars, on se demande à quoi cela rime de coter le dinar sur la base d'un panier de devises, puisque 98 pour des transactions commerciales ou autres faites vers l'étranger impliquent de changer du dollar pour les devises de payement de biens et services. Les emprunts financiers à l'étranger ayant cessé depuis longtemps, la Banque d'Algérie n'a d'autre recours pour satisfaire les besoins de sa clientèle en monnaies étrangères autres que le dollar, de les acheter au cours du jour du dollar, ou de puiser dans sa trésorerie maintenue dans ces monnaies auprès de ses correspondants étrangers.

De plus, outre que le terme de taux d'équilibre n'a pas sa place dans la fixation du taux de change, selon ce qu'affirme le FMI qui classe le système de fixation du taux de change parmi les systèmes gérés «autres,» le terme en lui-même fait allusion à des critères d'offre et de demande de la monnaie qui limitent le champs de réalisme du taux de change à des considérations de type mathématique.

UN TAUX DE CHANGE EFFECTIF REEL : UN TAUX QUI ENTRAINE LE PLEIN EMPLOI DES FACTEURS DE PRODUCTION NATIONAUX

Qu'importe donc, suivant cette méthode, l'impact du taux de change sur l'économie nationale, à condition que sa valeur soit aussi proche que possible de critères d'équilibre que ne connaît personne d'autre que ceux qui gèrent sa cotation?

Il ne s'agit nullement ici ni d'ouvrir un débat académique, ni de s'essayer à mettre en cause la légitimité ou la qualité technique des critères appliqués par la Banque d'Algérie, ou la compétence des fonctionnaires de cette institution en charge de gérer ce dossier.

On ne peut que le répéter de nouveau ici: l'autonomie de la Banque d'Algérie n'est pas la question, puisque aucune banque centrale au monde n'est indépendante des autorités politiques. Il s'agit essentiellement de se demander si derrière ce système de gestion du taux de change il n'y a pas une volonté politique délibérée dont l'expression se fait de manière plus ou moins opaque et qui contraint la Banque d'Algérie à coter le dinar sans tenir compte de l'impact de son taux de change sur les équilibres globaux de l'économie algérienne, en particulier l'équilibre entre les importations et les exportations, dans leurs composition comme dans leur valeur, sur l'équilibre entre potentiel de production nationale et capacité de production effectivement utilisée, sur l'équilibre entre l'offre et la demande de dinars sur le marché intérieur, comme sur la stabilité des prix, perturbée qu'elle est par l'excès de liquidités qui pousse à la spéculation immobilière et foncière et à la fuite devant le dinar.

En fait, et dans la logique de l'impact du taux de change du dinar sur l'économie du pays et le comportement des agents économiques, producteurs ou consommateurs, comme sur la mobilisation des facteurs de production nationale, loin d'être proche de son niveau d'équilibre face au dollar, comme face aux autres monnaies utilisées dans les transactions internationales, le taux de change du dinar est déséquilibré en défaveur de la production nationale hors hydrocarbures, si faible soit-elle, de la force de travail algérienne, si réduite soit sa productivité par rapport à celle des pays avec lesquels nous avons des échanges commerciaux, et en faveur des importations tous azimut, si peu technologiquement complexes soient-elles; comme le prouve la visite coutumière quotidienne de la ménagère dans le moindre centre commercial ou la plus petite épicerie de quartier; on importe de la sauce tomate, des sardines, de la confiture, de la glace, de la vinaigrette, des fruits et légumes, des vêtements, des produits de cuir, du carrelage, des seaux, des fleurs, etc. dont les prix restent concurrentiels par rapport au potentiel de production ou à la production nationale, et sur lesquels, malgré les frais de transactions et de transports, les importateurs font des bénéfices exorbitants et réussissent à se construire des fortunes en l'espace d'une transaction.

La qualification de taux de change effectif réel du dinar, qui stérilise le potentiel de la production nationale existante, qui encourage la sur-consommation des produits importés les plus banals, est à la fois une qualification fausse et trompeuse. Fausse car elle ne traduit pas un équilibre mais reflète une décision politico-administrative, et trompeuse car elle donne l'impression d'être le résultat de calculs précis fondés sur la maîtrise complète des éléments sur la base desquels se construit l'équation économétrique la donnant.

De plus, le FMI n'est pas très convaincu que le taux de change du dinar reflète un équilibre quelconque, dont il faudrait déterminer les composants -car l'équilibre renvoie à l'image d'une balance à deux plateaux sur un fléau et qui se trouvent au même niveau horizontal si ces plateaux portent des poids identiques. Même ses fonctionnaires expriment leurs réserves avec politesse.

Ajoutons à ce scepticisme venant d'une institution internationale spécialisée, l'image d'une économie complètement déstructurée au profit d'activités commerciales, peinant, malgré les multiples facilités fiscales et autres, malgré le bas prix de l'énergie défiant toute concurrence, à attirer des investissements productifs étrangers fiables, ou à encourager la création d'une classe d'entrepreneurs réels et non de simples capteurs de rente; cette économie est même incapable de mettre un terme à la quasi totale destruction de la production nationale industrielle, dont il ne reste plus que des lambeaux. On peut constater, sans se targuer de compétences académiques reconnues dans le domaine de l'économie, que les «entrepreneurs» algériens, dans leur immense majorité, se gardent bien de produire ou de commercialiser «national,» malgré les campagnes «patriotiques,» menées de temps à autre, et qu'ils font toutes leurs «courses» à l'étranger, tout en transformant les espaces qui leurs sont donnés dans les zones industrielles, soit pour la spéculation foncière, soit pour établir des entrepôts où ils stockent les produits qu'ils importent et qui font leur richesse.

En fait, les annonces publiques claironnées à tout vent de relancer la production nationale et de raviver l'industrie de transformation sont contredites par l'inertie constatée dans le domaine de la gestion de la sur-liquidité monétaire et du taux de change.

Les mesures de caractère administratif ou s'appuyant exclusivement sur des mécanismes fiscaux sont vouées à des résultats limités qui auront un impact limité sur la diversification de la production nationale tant que ne sera pas abordée dans le fond la question du taux de change.

En conclusion

Tant que le taux de change du dinar n'aura pas atteint un niveau qui ait un impact mobilisateur sur le potentiel de production nationale, immense suivant le FMI ; tant que les importateurs ne se transformeront pas en producteurs, parce que le taux de change du dinar leur coupera la voie facile de l'enrichissement par l'exploitation du différentiel de prix entre produits importés et produits nationaux du fait de la faible productivité du travail en Algérie ; tant qu'un travailleur étranger payé en devise rapportera plus qu'un travailleur algérien payé en dinar ; tant que la construction des routes et des immeubles reviendront moins cher s'ils sont confiés à des entreprises étrangères? etc. tout cela parce que le dinar est évalué sans prendre en considération l'impératif de servir de protecteur du potentiel de production nationale et d'aider à sa mobilisation, la monnaie nationale n'aura pas atteint son niveau de taux de change effectif réel. D'autres pays, maintenant sur la voie du développement auto-entretenu ont montré la voie.

Le gouvernement aura-t-il le courage de veiller à l'ajustement du taux de change du dinar pour tenir compte de la réalité de l'économie algérienne? Donnera-t-il le signal fort nécessaire pour que la Banque d'Algérie propose et mette en œuvre les mesures de «stérilisation» des liquidités en surplus dans notre économie, pour lesquelles les techniques sont connues et ont été appliquées avec succès ailleurs? Ou attendra-t-il que la situation financière et économique atteigne un point de détérioration -comme cela s'est passé entre 1986 et 1993- échappant à tout contrôle, pour prendre des mesures encore plus dures que celles que dicte l'état actuel des choses? Ce sont-là des questions auxquelles seules les autorités publiques peuvent répondre, la Banque d'Algérie n'ayant pas le pouvoir de se substituer à ces autorités, car elle n'a pas plus d'autonomie que celle que ces autorités sont disposées à lui reconnaître, étant en cela dans la même position que d'autres banques centrales à l'égard de leurs autorités politiques.