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Le Malg et ses «Malgaches» : Lumière et ombres

par Belkacem Ahcene-Djaballah

Le Malg (ministère de l’Armement et des Liaisons générales). Abdelhafid Boussouf ou la stratégie au service de la révolution. Ouvrage (bilingue) documentaire de l’Association nationale des moudjahidine de l’armement et des liaisons générales. Houma Editions, 216 pages en arabe et 190 en français, 700 dinars, Alger 2014 (2e édition)

L’ouvrage, à but simplement documentaire, est très riche en informations concernant aussi bien les structures (et il y en eut beaucoup, de la plus connue à la plus secrète, de la plus bureaucratique à la plus «pratique» : Ecole des transmissions en 56 / La Radiodiffusion ou RDA en décembre 56 / La Commission de contrôle et d’investigation ou CCI / L’Ecole des cadres en août 57 / Le ministère au sein du GPRA / La DDR / La DVCR / La Base Didouche Mourad / La Logistique / Le Service spécial S4 / La DGL…), leurs activités (dont la formation à grande échelle à partir de 60 : aviation, paras, marine, officiers, services spéciaux…) que les hommes. Ainsi, sa lecture nous permet de resituer les parcours de bien des personnalités de ces dernières décennies et même de comprendre le pourquoi du comment de leur carrière politique, économique ou militaire.

Chouhada recensés : 122. Et un autre ouvrage (voir plus bas) rapporte que plus de 1.500 cadres et 800 opérateurs ont été formés à l’école Boussouf… et, selon Dahou Ould Kablia, Boussouf a légué à l’Algérie post-indépendante : 8 généraux, 65 colonels, 2 chefs de gouvernement, 21 ministres, 19 walis et 35 ambassadeurs.

L’auteure : l’Anmal est une association nationale assez active (présidée aujourd’hui par Daho Ould Kablia, ex-ministre de l’Intérieur), regroupant tous les anciens d’une structure du Fln/Aln qui agit dans le plus grand secret durant la guerre (efficacité oblige !), mais qui a fait beaucoup parler d’elle (à travers l’Association) après l’indépendance et surtout durant les décennies 2000-2010. Plus qu’une Amicale, plus qu’une association d’entraide…, un lobby politique ? En tout, une force qui compte… encore… et qui n’a pas l’air d’apprécier «les chercheurs algériens et étrangers qui, peut-être par ignorance (sic !), continuent à faire des confusions et d’accuser le Malg de diriger le pays et même de le considérer comme un service policier» (p32).

Avis : A parcourir. Une œuvre de recherche et de compilation utile.

Extraits : «La violence de la crise générée par les appétits politiques des uns et des autres ne lui (A. Boussouf) a malheureusement pas permis de continuer sa mission au service de son pays à l’indépendance» (p 28). «Les Français avaient tous les moyens, les Algériens avaient la foi» (p 50). «Pour lui, le renseignement n’a pas de limites. Il peut être militaire, politique, technique, économique, social…

La sécurité intérieure de la Révolution, c’est-à-dire la Vigilance, est plus claire. Il ne fallait pas qu’il y ait des traîtres parmi les combattants de l’Aln et les militants du Fln que l’ennemi infiltre dans les rangs de la Révolution, que des étrangers à la Révolution essaient de voir ce qui s’y passe» (p 99).

Aux origines du Malg. Témoignage d’un compagnon de Boussouf. Ouvrage mémoriel et historique de Abderrahmane Berrouane, nom de guerre «Saphar». Editions Barzakh, 315 pages, 800 dinars, Alger 2015

Saphar est un des pionniers des transmissions de l’Aln. Ce fut un (très) proche collaborateur de Boussouf «Si Mabrouk». C’est dire quand on sait que ce dernier n’était pas homme à trop se confier et encore moins à avoir beaucoup d’amis intimes. Boulot ! Boulot ! La Révolution avant tout ! Il est vrai que les conditions de la lutte, l’environnement sécuritaire et les objectifs politiques obligeaient à l’extrême prudence.

Saphar a, aujourd’hui, 85 ans mais il n’a rien oublié, les épreuves comme les succès ou les désillusions, tout particulièrement au moment de l’indépendance.

Etudiant en France, il rejoint l’Aln en passant par le Maroc. Il est rapidement pris en charge… après un «examen oral de passage»… par Boussouf et Boumediène… eux-mêmes. La grande aventure commence et ne se terminera qu’en 62. Il préférera la vie civile comme son boss, d’ailleurs. A 85 ans, toujours bon pied, bon oeil. Boussouf, lui, mourra… le 2 janvier 1981 à Paris, à 54 ans à peine.

Des noms et des lieux (dont la «mort» de Abane Ramdane… et «les archives du Malg, quand elles seront rendues publiques, dévoileront la vérité sur tous les dossiers»… car il y avait des fiches bien tenues sur tous). Des exploits, beaucoup, et des échecs, rares. Des soutiens et des «coups fourrés». Des erreurs aussi ! Quelques petites révélations mais beaucoup d’informations (ainsi, pour ma gouverne, j’ai appris qu’avant l’agence APS lancée avec Mohamed Merzoug le 1er décembre 1961, avait été créée le 9 janvier 1959, l’Agence télégraphique de presse et d’information, l’ATPI, juste après le lancement de la Radiodiffusion algérienne, la RDA. Les deux, au départ, sont restées sous la tutelle du Malg). On apprend aussi que «visionnaire Si Mabrouk avait prévu qu’après l’indépendance, des opportunistes ou de faux cadres, à l’instar des faux moudjahidine qui ont défrayé la chronique, viendraient se réclamer indûment du Malg. Il eut alors l’idée de faire établir un «livret individuel» contenant toutes les données personnelles de chaque membre qu’il a désigné de sa propre main». Une remarque, cependant, sur les critiques assez communes à (presque) tous les «anciens» et reprises par le préfacier: tout ce qui s’écrit par ailleurs, en dehors d’«eux» n’est que «contrevérités sur la guerre de Libération nationale», «stéréotypes colportés par des historiens nourris à la littérature colonialiste», qu’«intoxication de l’opinion», que «dénigrement de tout ce qui vient du Malg et des services spéciaux de l’Aln en général»… Mais l’essentiel reste l’œuvre.

L’auteur : né à Relizane en 1929. Sciences Po’ Toulouse. Mais grève générale des étudiants. Rejoint la wilaya V en 56. Première promo d’opérateurs radio «Promo Zabana». Nommé par Boussouf en 58 à la tête de la Direction de la Vigilance et du Contre-renseignement (Dvcr) et ce, jusqu’à l’indépendance du pays. 62 : Air Algérie puis Agence touristique algérienne puis Oncc, puis Tourisme… jusqu’à la retraite.

Avis : A lire. Une œuvre de recherche, de réflexion et de compilation utile, surtout pour ceux qui s’intéressent au Malg et à la personnalité de Boussouf.

Extraits : «On peut avancer, sans exagérer, que le service d’écoute de l’ALN a contribué à permettre de vaincre l’armée française » (p 98); «Pour pénétrer et avoir accès aux secrets d’Etat, la morale, le sentiment, n’existent pas» (p 120); «On arrive à savoir tout ce qui s’est passé, mais il faut toujours prévoir ce qui va «venir» (A. Boussouf, p 158).

Abelhafid Boussouf. Le révolutionnaire aux pas de velours (préface de Brahim.Lahrèche dit Ghani, ex-cadre du MALG). Une œuvre historique de Chérif Abdedaïm. 309 pages, 330 dinars. Editions ANEP, Alger 2009

Mohamed (Abdelhafid) Boussouf dit Si Mabrouk restera, pour longtemps encore, un “illustre inconnu” car il est parti, décédé le 31 décembre 1980… à Paris, sans laisser de “mémoires”, sans s’être confié à quiconque… Un mystère. Le mystère (encore un !) de la lutte de libération nationale.
Pour l’instant, la recherche historique scientifique (universitaire) n’a pas abordé frontalement le personnage et son parcours, côté lumière comme côté obscur. Nous n’avons donc que des ouvrages généralistes, pour la plupart positivant (quand ce n’est pas encensant) l’action révolutionnaire de nos grands hommes.

C’est ce que fait l’auteur qui s’est attelé à reconstituer le parcours d’un héros de la guerre de libération nationale, un “révolutionnaire aux pas de velours” qui, engagé dans l’action dès l’âge de 16 ans, a pu et a su construire un véritable appareil s’occupant des liaisons, des communications, de l’information et de la contre-information de combat, de l’armement aussi... le fameux MALG que l’on retrouve encore de nos jours avec ses Malgaches; un véritable lobby (presque une ‘’secte’’ avec son rituel, ses secrets, sa solidarité… et son efficacité) qui, dit-on, a eu (a toujours ?) son mot à dire ‘’dans le grand et le petit’’ de ce pays.

L’auteur : né à Constantine en 55, psychopédagogue de formation, journaliste, proche des maîtres de la musique andalouse (malouf), auteur d’autres ouvrages comme «Constantine : la saga des beys»…

Avis : A parcourir. Une œuvre de recherche et de compilation utile, surtout pour ceux qui s’intéressent à Boussouf et au Malg. Aucune révélation mais beaucoup d’informations. L’ouvrage est disponible en arabe après sa traduction. Une initiative à saluer et à élargir à tous les ouvrages de tous les éditeurs !

Extraits : «Boussouf, boîte noire de la Révolution» (selon Brahim Lahouassa, ex-cadre du Malg, p 16); «C’est Boussouf qui me recommanda de lire «Que faire ?» de Lénine et «l’Ère des organisateurs» de James Burnham» (Mohamed Harbi, p 125).