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Premiers signes d'une succession en douceur : l'Algérie se prépare à l'après-Bouteflika

par Abed Charef

Le grand nettoyage a commencé. Tout sera soldé avant la rentrée. Pour organiser la succession dans un climat apaisé ?

Par petites touches, un nouveau dispositif politique est en train de se mettre en place en Algérie. Une Algérie qui se veut apaisée, normalisée, lisse. Les aspérités les plus criardes ont été éliminées, les rebords ont été limés, les éléments de surprise exclus. Il ne reste que quelques rares points à pacifier pour retrouver, à la rentrée prochaine, un nouveau pays, installé dans une configuration différente, même si elle n'est pas vraiment nouvelle.

Premier symbole de cette normalisation, le FLN. Amar Saadani a tenu son congrès. Des assises réglées comme du papier à musique. Une organisation « sans le DRS », insistent de nombreux congressistes. M. Saadani a fait adopter de nouveaux statuts, qui accordent de larges prérogatives au président du parti, M. Abdelaziz Bouteflika, qui était jusque-là président d'honneur du FLN, sans disposer de réels pouvoirs de décision. Qui va exercer ces pouvoirs attribués au chef de l'Etat ? Le nouveau militant du FLN, Abdelmalek Sellal, ou bien M. Saïd Bouteflika et son ami Ali Haddad ? Dans la foulée du congrès du FLN, est annoncée une réunion du conseil national du RND. M. Abdelkader Bensalah a sagement remis le tablier. Il se dit qu'il n'ira même pas au conseil national du 10 juin. Pas de frasques au RND, pas de bagarres, pas de baltaguia. M. Ahmed Ouyahia devrait reprendre les clés de la maison, dans une opération admirablement synchronisée.

Seront-ils rejoints par Abderrezak Makri, ou par un MSP dont M. Makri aura été éjecté, en vue de reconstituer l'alliance présidentielle ? Ou bien se dirige-t-on vers une alliance présidentielle 2.0, à laquelle se joindront Taj de M. Amar Ghoul et le MPA de M. Amara Benyounès ?

Gouvernement new-look

Au gouvernement aussi, le nouveau dispositif se met en place. Il a commencé laborieusement, avec des maladresses assez primaires, avant d'être rectifié. Deux hommes ont été choisis pour symboliser la nouvelle étape, le ministre de l'Energie Salah Khebri et le ministre des Finances Abderrahmance Benkhalfa. Le toilettage n'est cependant pas achevé. Pour pouvoir affirmer que le pays est entré dans une nouvelle phase, il faudra se débarrasser de quelques ministres encombrants, comme Amar Ghoul, et ceux dont le nom a été cité dans différents scandales. Dans la logique de la mise en place d'un nouveau dispositif, même les dirigeants des appareils liés au pouvoir, comme Abdelmadjid Sidi-Saïd, devraient être remplacés. Il n'était pas possible de les écarter avant les procès de ce printemps 2015, car il y avait un risque de mauvaise interprétation. Ils ont donc été momentanément préservés, pour être éjectés en douceur au lendemain des procès. Même un acteur comme Ali Haddad, qui avance avec ses gros sabots, devrait être appelé à plus de retenue pour ne pas abîmer un décor soigneusement mis en place.

Le premier signal de ce grand toilettage avait été donné par les procès du printemps 2015. Le pays traîne depuis des années des affaires difficiles à gérer, avec de redoutables rebondissements possibles, et un impact déplorable sur l'image du pays. Il fallait s'en débarrasser. Tout a été soldé en quelques semaines.

A la rentrée, tout ceci sera oublié, les nettoyeurs seront passés dans le sillage des juges. Khalifa, Sonatrach, CNAN, autoroute, DGSN, rien ne doit traîner. Tout le volet « scandale » de l'ère Bouteflika sera derrière nous. Pour que la mariée qui sera présentée à la rentrée soit la plus belle possible. Particulièrement si, d'ici là, le prix du pétrole connaît une petite embellie, et si les partenaires politiques font preuve de la docilité souhaitée.

Impossible de ne pas voir

Mais au fait, à qui est destinée cette mariée qu'on bichonne ainsi ? A quoi sert ce dispositif mis en place, entretenu avec tant de peine ? Pourquoi est-il devenu nécessaire de se doter de deux grands comités de soutien, le FLN et le RND, tous deux dirigés par des hommes sûrs, issus de la maison? Pourquoi veut-on que le pays soit débarrassé de ces personnages dont le compagnonnage apparaît désormais comme une tare, et insiste-t-on pour oublier ces affaires qui ternissent tant l'image du pays?

Dans de nombreux milieux, une seule réponse s'impose : l'heure de la succession a sonné. Le montage mis en place il y a un an pour imposer et gérer le quatrième mandat ne peut pas tenir. La dislocation des institutions et l'émiettement du pouvoir ont débouché sur une situation ingérable. L'éclatement des centres de décision suscite une très grande inquiétude. A ce rythme, la situation peut déraper à tout moment. Rétablir un minimum de cohérence et de discipline au sein du pouvoir devient urgent. Dans un an, ça risque d'être trop coûteux. Les lobbies qui se sont installés, pour s'accaparer des pans de pouvoir, constituent un danger pour l'existence de l'Etat. Il suffit de rappeler comment le gouvernement a été contraint de reculer sur certaines décisions, comme le nouveau cahier de charges des concessionnaires, pour s'en rendre compte.

De même, l'empreinte de certains de certains clans, groupes, cercles et lobbies est si visible dans la composition du gouvernement, et l'impunité dont bénéficient certains dirigeants est si évidente, que l'Etat apparaît clairement comme le vassal de ces clans. Les gens au pouvoir ne pouvaient ignorer ce qui saute aux yeux des Algériens. La situation est si inquiétante qu'elle les a probablement poussés à envisager une révision de la feuille de route du quatrième mandat, car il n'est, décemment, pas possible de continuer comme si de rien n'était.

Il reste à savoir quand interviendra la grande décision, et sous quelle forme.