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Retrait de permis de conduire

par Kamel Daoud

Se faire flasher par un radar, de bon matin, un vendredi sur la route de Mostaganem. Puis être stoppé, démembré, arrêté et pénalisé. Puis voir son permis être retiré par les gendarmes. Puis se dire à quoi m'ont servi des années de discipline au volant, de respect des feux et des lignes et des priorités ? Puis se dire que cela sert à soi, pas à l'Autre et que la Morale est basée sur la responsabilité, pas sur la sanction. Puis être tenté par la servilité et l'obséquiosité et la supplication. Puis, face au gendarme qui ne veut pas céder à son algériannité, employer les arguments primaires : voilà : il n'y a pas de possibilité d'amende ? De sanctions intermédiaires puisque c'est la première fois ? Puis voire le gendarme vous expliquer que ce n'est pas possible.

A cause de la loi ? Non, parce que les autres collègues observent. «Entre vous et moi il n'y pas de problème mais il y a les autres». Puis songer à son téléphone.

Ange et Iblis des époques modernes. Appeler qui ? Un ministre qui vous appelle souvent ? Ou un homme d'affaires ? Ou un sénateur qui au moins peut servir ? Puis se sentir sale. Se sentir obligé d'entrer ce système de compromis et de compromissions qui vous laisse la trace d'une bave sur la peau et le signe d'une morsure sur le cou. Puis se dire que faire ? En Algérie, il n'y pas de sanction médiane : vous êtes décapité ou anobli. Président ou rien du tout. Sans permis ou avec permis. La commission se réunit chaque siècle et donc il faut vendre sa voiture ou acheter un gendarme.

On dit le pays une dictature mais ce n'est pas vrai : dans une dictature, le dictateur a le pouvoir de vie ou de mort. Dans une dictature molle, il vaut mieux connaître un portier qu'un P-DG. Puis songer à la sanction de trois mois sans volant ou plus. Juste du jogging et du taxi. Un plaisir mais pas seulement. Puis se dire: je suis Algérien, donc corrupteur et corrompu. Je m'appelle Chakib Khellil et je veux juste mon permis, pas 200 millions de dollars. Puis arrêter. Puis un ami au téléphone. Au choix: connaître un petit commis qui vous demande de l'argent ou un grand gradé qui vous demande le compromis majeur. Le premier c'est facile et facturable.

Le second, cela coûte un café seulement mais une sorte de complicité immense à dater d'avant votre naissance. Que faire ? Le temps passe et vous n'avez que trois ou quatre jours. 48 heures selon la loi avant le transfert vers la Commission ou plus, le temps que vous trouvez un moyen, un prix, un contact ou un sourire. Que faire ? Choisir : être client ou être citoyen. Faire comme tout le monde ou faire en sorte que le monde soi selon vous. Connaître ou se plier. Fixer le prix de son permis, c'est-à-dire de sa personne ou pas. C'est un beau temps mais c'est un temps qui passe. La plus ancienne question algérienne depuis le départ du colon : fixer un prix pour son âme ou un prix pour son permis. Deux prix différents.