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Y a pas plus blanc que neige

par El Yazid Dib

Les intempéries de la semaine ont fait fléchir le bonheur de tout un chacun. Comme le plaisir, la sensation du bonheur en pleine neige est une culture. La vallée de Bousselam, vaste prairie séculaire est surplombée par le mont de Megrèss. Megrèss est en fait un mastodonte pierreux, formant un djebel culminant à plus de 1800 mètres d'altitude.

Auprès de la proximité de son flanc, exactement au niveau 1200 ; le col de Takouka constitue un pic d'hameau glacial et froid. A une exception près, l'on dirait, à le voir, un morceau des Hautes Alpes. La neige en cette saison y est permanente. Le verglas et le givre y sont comme des lois immobilisant la vie et l'activité. Cette bourgade contient en son sein une agglomération de quelques pauvres âmes. Cette fois-ci les « les pouvoirs publics » n'ont pas déçu les gens. Ils ont même été à la hauteur de la neige qui, contrairement à février 2012, n'a pas totalement enseveli chaumières et gourbis. Le butane est disponible. Aucune disconcordance n'est à enregistrer. Les engins ont mangé, en léchant la chaussée la matière poudreuse. Un travail de veille a été efficacement accompli. Que ce soit en ces lieux si hauts ou sur les hauts plateaux qui les contiennent. Du chef lieu à la plus éloignée des bourgades, les moteurs des engins tous azimuts ont grondé. Chapeau. Sauf que, encore cette fois-ci la faille venait de l'homme. Ce chauffeur, aventurier, insouciant. Pourtant les services habiletés ont émis un BMS, qui est devenu maintenant une culture générale, tout le monde en parle, sans toutefois aller au fond des choses. La température est affichée sur des portables, les thermomètres garnissant les tableaux de bord de véhicules n'avaient pas outre mesure poussé à plus de prudence les gens munis, à en faire grande attention. La radio nationale ou l'unique se sont intimés uniquement dans l'interprétation du phénomène de la normalité climatique et du mouvement éolien. Choses incompréhensibles pour le commun des frileux. Si le citoyen savait la teneur d'un BMS, il ne saurait avoir la culture du comportement en temps de neige. Dès les premiers flocons, toutes les voitures se mettent dans un tohu-bohu indescriptible voulant, qui de droite regagner sa demeure, qui de gauche rebrousser chemin. Tous les sens sont inversés. Du sens unique au sens giratoire. Le sens interdit est vite levée par l'invisibilité et la pression atmosphérique. Dans ces conditions jugées extrêmes, tout paraissait permis. Plus de code de la route, tout est à l'urgence et au sauve-qui-peut. L'idéal aurait été, sans verser dans l'épouvante, de dire aux gens de ne pas sortir. Mais bien à l'avance, non une fois sortis et empêtrés dans la glace. Même avec d'énormes moyens on ne pourra pas tout déneiger. Ailleurs dans les pays à forts moyens modernes de souffleuses et de chasseuses de neige ; la nature a fait des siennes. Que ce soit aux Amériques ou en Russie, la neige a fait des morts, gelé toute activité. Durant la seule journée du vendredi 8 février dans le nord-est des Etats-Unis plus de 4 900 vols ont été annulés et le trafic routier et ferroviaire a été totalement bloqué en raison de fortes chutes de neige et de vents violents, qui ont conduit cinq Etats à déclarer l'état d'urgence. Pourtant la poudreuse blanche ne dépassait pas les 25 cm en grande accumulation. Ainsi pour un seul Etat ; le Massachusetts plus de 255.000 foyers et commerces se sont retrouvés privés d'électricité. Qu'aurait fait la Sonelgaz devant un tel désastre ? A New-York le scenario était pratiquement le même. Seulement le maire Michael Bloomberg avait recommandé aux New-Yorkais de stocker des produits de première nécessité, invoquant d'éventuelles pannes de courant, régulièrement craintes en ce cycle de l'année. Il l'avait fait suffisamment à l'avance. Il a aussi Il a invité ces concitoyens « à rentrer tôt chez eux, et à ne plus en bouger jusqu'à la fin du blizzard ». C'est ce genre de communication préalable et à priori que devaient lancer nos responsables locaux et non intervenir à postériori pour rendre des statistiques, liées aux nombres de secourus, de blessés, de bombonnes de gaz distribuées ou de routes déneigées.

Alors, les souvenirs remontent pour parler des agents des services des ponts et chaussée, que l'on appelait « boussissi ». Ils commençaient leur labeur en été, à l'aide d'une simple pelle, pioche et d'une brouette. Le travail manuel se faisait certes avec conscience, car sous contrôle d'un chef de subdivision, engagé au même titre que ses éléments. Nos chaussées ne sont plus garnies de ces balises à la pointe rouge, délimitant la voie dans les zones enneigeables. Aucun panneau indicatif n'est apposé pour identifier le caprice naturel, pourtant prévisible en période hivernale. Ceci serait essentiellement du à la rareté qui s'est faite les derniers temps. Maintenant l'on parle de stations de ski, comme projets d'investissement à Megrèss. Louable initiative si ce n'est qu'un désir hivernal.

Moins la neige produit l'éclair et abasourdit les rétines, c'est à-dire l'aveuglement superficiel, et plus le travail de sape, de compromission et de fausses amours populaires ou syndicales est supplanté par celui, si ce n'est des catastrophes humaines, de ceux qui sourient sous cape, font le clin d'œil ou froncent les sourcils. En l'état, la nature, malgré I' informatique, les promotions technologiques restera toujours indomptable et capricieuse. La citadinité est recalée au profit d'une ruralité qui commence à récupérer ses valeurs. Dans le temps, l'algérien, calculait sa survie. Le congélateur et les conserves ont supplanté le « mezoued » ce conditionnement grégaire fait de peaux brutes de caprins. Ils ont fait déménagé la quête ménagère d'avoir au moins sous la main quelques semoules, raisins secs, dattes, figues, tomates séchées? pour des temps dures? économiquement ou climatiquement.

La tombée des neiges est justement parfois obscurcie et éclaboussée par le fonctionnement et le mode opératoire de la décharge publique. En temps de neige tout le monde semble heureux. Revivifié, il sourit à tout le monde. La fantaisie toute changeante de la météo, ne peut-elle aussi laisser, sans surprise, dans une stabilité climatique, l'arrivée probable des cyclones, des anticyclones et des tempêtes. Car la vie n'est qu'un tourbillon et un simple bulletin de climat le plus souvent versatile et paradoxal. Devant cet état de climat, le jeu des enfants n'est plus fait de bonhomme de neige. Mais de boules à lancer sur les automobilistes. Cette habitude ludique n'a pris dimension que depuis une, deux ou trois années. Drôles de jeux, diront nos vieux, qui ont vu se faire par leurs mômes des igloos et des glissades improvisées à même le sol, sur une pente, une rampe ou un flanc urbain adéquat. Abdellah dit la « grinche » un sexagénaire, typiquement citadin me tenait cette profession de foi « Même la neige ne tombe plus. Sauf l'année dernière et celle en cours. Elle ne fait plus le bonheur de ces enfants, qui malgré la doublure de chaussettes trouées ou la vétusté de pantalons encore rapiécés ; trouvaient innocemment un immense plaisir à essayer de faire « leur papa noël » en dehors de tout esprit rituel. Noël, n'était qu'une grosse boule de neige à forme humaine, et la neige qu'un jouet divin, devant l'indisponibilité d'autres jouets » Cette génération se souvient qu'en termes de jouets, le génie enfantin en faisait des miracles. Des bidons d'ESSO ou de Shell, elle usinait des voitures et des camions où les boites à chiquer servaient de roues. Les boites à sardines, de remorques. Des épées, faites de cerceaux de fils barbelés, se créaient sous des doigts efflanqués et qu'aiguisait le passage des trains sur les rails de la voie ferrée, dont les acteurs ignoraient la provenance, la destination et ce qu'ils transportaient.

C'est justement cette culture rattachée au comportement devant les phénomènes naturels que tout un chacun se devait d'avoir. De la collectivité au citoyen, la tache est à repartir. S'aventurer en pleine brousse avec bambins en quête de villégiature et enquiquiner les sauveteurs n'est pas une bonne manière de jauger l'efficience de l'intervention. Le séisme au Japon est un pli routinier, qui après tant de victimes a pu être maitrisé dans ses détails. Les cyclones dans le pacifique sont en voie de l'être. C'est l'instinct de maintien qui prime et non la frime et la démonstration de joie inconvenante. Le verglas est une autre culture qui entraine une conduite de prudence et de circonspection. Or chez nous, à la faveur du boom auto-concessionnaire, c'est par un malin plaisir que des pneus lisses, non faits pour la circonstance croient tenir la route sur une route glacée, gelée, satinée comme un miroir congelé. Ces conducteurs s'amusent à se voir virevolter ou bien provoquent la culbute. Quel est ce sens managérial qui pousse un patron à autoriser ses gros porteurs d'entre camions, semi et autres dangers routiers à circuler et persévérer à assurer leur rotation malgré les BMS, le gel, le givre ?

La culture d'une société est un produit provenant de ses entrailles. Qui marche sur la neige ne peut cacher son passage, disait un vieux proverbe chinois. Si éclairants soient les grands travaux de voirie, si visibles sont les indices de modernisation, ils donnent moins de lumière que les derniers flocons de neige. La transparence dans la gestion des affaires de l'hiver ou l'art de conduire une politique de saison ne saurait être moins opaque que la neige. Car il n'y a pas plus banc que neige.