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L'Egypte peut surmonter ses problèmes économiques

par Mohamed A. El-Erian *

Confrontée à une instabilité politique et à des manifestations récurrentes, l'élite politique égyptienne serait bien inspirée de considérer les conséquences économiques des désordres actuels, qu'ils tiennent du gouvernement ou de l'opposition. Elles découvrirait alors 7 éléments prouvant indiscutablement qu'une attitude plus collaborative serait dans l'intérêt du pays et dans le leur.

1°) Si les désordres sociaux et politiques persistent, l'économie égyptienne va sombrer dans l'inflation, souffrir d'une crise du budget et de la balance des paiements. Le risque d'une spirale descendante perverse qui s'autoalimente augmenterait alors considérablement.

 Plutôt que de s'effondrer (à la manière des économies des pays d'Asie et d'Amérique latine lors de crises antérieures), l'économie égyptienne pourrait rebasculer sous un contrôle rigide, avec en parallèle un marché noir. L'économie, les investissements et l'emploi en souffriraient. Le ralentissement de la croissance s'accompagnerait d'une hausse des prix, notamment des produits alimentaires. La plus grande partie de la société serait affectée, en particulier les pauvres, les chômeurs et les jeunes. Les objectifs légitimes de la révolution qui a éclaté le 25 janvier 2011 (la croissance pour tous, la justice sociale et la dignité humaine) paraîtraient s'éloigner encore davantage.

2°) Aucune solution économique ou financière durable n'est possible sans mettre un coup d'arrêt à l'embourbement politique du pays. Aussi talentueux et bien intentionnés puissent-ils être, les technocrates ne peuvent garantir l'application des mesures voulues et les résultats espérés. Ils doivent être soutenus par une vision nationale qui rassemble le pays, un leadership crédible et la population.

3°) Les Egyptiens se plaignent de plus en plus de voir leur révolution «confisquée», ce qui nourrit la méfiance envers l'élite au pouvoir. Animés d'un sentiment de puissance depuis qu'ils ont réussi à renverser le président Moubarak et à renvoyer par la suite l'armée dans les casernes, beaucoup d'Egyptiens sont prêts à redescendre dans la rue pour demander des comptes aux dirigeants actuels.

4°) La combinaison de manifestations à répétition et de la faiblesse de la police alimente des poches de criminalité. Des groupes de voyous profitent de la situation pour susciter la peur du chaos et des désordres sans commune mesure avec leur petit nombre et leur potentiel de nuisance limité. Mais cela amplifie le sentiment général de malaise dans le pays.

5°) Une aide financière extérieure ne repoussera pas éternellement le moment fatal. L'aide d'urgence de quelques pays amis a permis jusqu'à présent de limiter l'érosion des réserves en devise étrangère, alors que les revenus du tourisme s'effondrent et que les importations de nourriture et de produits de première nécessité sont à la hausse. Mais il est de plus en plus difficile au gouvernement d'assurer les financements nécessaires. Dans l'obligation de faire des versements à l'étranger alors que sa monnaie est sous pression, le gouvernement va s'intéresser à nouveau à une offre de prêt de 4,8 milliards de dollars du FMI et à un cofinancement d'origine multilatérale et bilatérale.

6°) Il ne faut pas sous-estimer le potentiel de développement de l'économie égyptienne. Dans le contexte actuel, ses résultats sont largement inférieurs à son potentiel. Il faut remédier rapidement à cette situation. Réorienter les institutions mises en place par l'ancien système au bénéfice d'une minorité et supprimer les obstacles à leur bon fonctionnement permettrait d'accroître considérablement le potentiel de production.

7°) Les dirigeants peuvent s'inspirer des expériences étrangères. L'Egypte n'est pas le premier pays à traverser la période charnière conduisant d'un passé répressif à un futur prometteur. Elle n'est pas non plus le premier pays à connaître une transition politique incertaine dans un contexte économique et financier préoccupant.

Certains pays sont tellement différents de l'Egypte qu'il serait imprudent qu'elle suive leur exemple. Il est tentant de rejeter l'expérience des autres pays, surtout après qu'un mouvement de jeunes parti de la base ait permis ce que personne n'aurait imaginé : le renversement en 18 jours d'un président qui gouvernait d'une main de fer depuis 30 ans.

Pas un seul pays en transition ne peut servir de modèle à l'Egypte. Par contre l'expérience combinée de quatre pays - l'Afrique du Sud, le Brésil, l'Indonésie et la Turquie - pourrait lui être utile et inspirer de nombreux segments de la population en matière de transition politique et économique.

Chacun de ces pays a été confronté à des obstacles qui paraissaient insurmontables. Néanmoins, en apportant une réponse adéquate à leurs problèmes économiques et politiques, ils ont réduit la pauvreté et les injustices sociales et augmenté les libertés publiques.

En Afrique du Sud, le président Nelson Mandela est parvenu à canaliser le sentiment populaire de la vengeance vers le renouveau national. Aucun dirigeant égyptien n'a à lui tout seul la crédibilité suffisante pour faire passer le message de Mandela, «Pardonner sans oublier». Mais s'ils travaillaient tous ensemble main dans la main, ces dirigeants pourraient contribuer à ce que le pays se tourne résolument vers l'avenir.

Le Brésil du président Lula a montré qu'il est possible de réaliser des réformes fondamentales malgré l'instabilité due à une transition politique majeure, à la fuite des investisseurs et à un contexte international défavorable. Durant la période 2004-2008 le Brésil, connu depuis longtemps pour son immobilisme, a enregistré une croissance de 5,5% de son PIB annuel. Il a diminué la part de la population vivant sous le seuil de pauvreté de 40% à moins de 25% et amélioré de 5 points le coefficient de Gini (qui mesure les inégalités sur une échelle de 0 à 100).

Enfin, l'Indonésie après la crise financière asiatique de 1997 et la Turquie après la crise qu'elle a traversée en 2001 sont des exemples de pays à majorité musulmane qui ont surmonté leurs difficultés économiques lors d'une transition politique majeure.

Plus le désordre persiste en Egypte, plus son élite politique va perdre la confiance d'une population qui revendique à juste titre pain, dignité, justice sociale et démocratie. Mais avec un leadership éclairé et des responsables politiques disposés à coopérer, l'Egypte pourrait surmonter ses difficultés.

Dans le passé, le pouvoir réagissait par toujours plus de répression au fossé croissant entre lui et les aspirations légitimes de la population. La nouvelle Egypte ne permettra pas cela. La prise en main de leur vie par les Egyptiens a fondamentalement changé la donne. L'élite politique égyptienne ne dispose pas d'un temps illimité. Compte tenu de la situation économique il est urgent d'agir.

Traduit de l'anglais par Patrice Horovitz

* Président-directeur général de la société de fonds PIMCO